Nous décidons de partir par l’ouest car la route est meilleure. Les paysages sont complètement différents de ceux du sud, découverts hier au parc de la Rivière bleue : Bourail est un gros bourg agricole, la plus importante ville de l’intérieur. Les magasins, les bâtiments administratifs, les stations services sont alignés le long de la route principale, comme au Far West.
La couleur fauve domine dans les champs, où les niaoulis (eucalyptus typiques de la savane de la Grande Terre) sont légion, ainsi que les troupeaux. Il ne manque plus que les cow-boys !
Nous arrivons enfin à la Roche percée (qui ne l’est plus car il y a eu un éboulement) et au Bonhomme, une falaise impressionnante qui se prolonge par un énorme roc (appelé le bonhomme) : selon la légende, c’est une des entrées du royaume des morts, un royaume sous-marin évidemment.
Seules les personnes ayant les oreilles percées pouvaient y entrer (moi, j’étais grillée pour le paradis à ce tarif-là !) et lorsque le vent mugissait en s’engouffrant dans la brèche, on disait que c’était la voix des morts qui venait se rappeler au bon souvenir des vivants… voilà pour la partie « légende et culture ».
Pique-nique ensuite à la Baie des tortues, une petite plage bordée de pins colonnaires, assez fascinants. La vue est magnifique, et la lumière superbe. C’est un peu plus loin que nous plantons la tente, à la plage de Poé… une fois plantée la tente et passée l’épreuve du feu, le spectacle peut commencer, avec le ciel qui s’illumine peu à peu d’étoiles : étoiles qui filent les unes après les autres, voie lactée qui s’étire au-dessus de nos tête, c’est le moment de faire des vœux !
Il s’agit de gagner la côte est en passant par Voh… Nous n'avons quand même pas fait vingt-deux mille kilomètres pour ne pas admirer le célèbre cœur que dessine la mangrove, photographié par Yann Arthus-Bertrand ! Alors, faute d'avion à notre disposition, nous nous lançons dans une ascension d’1h30 : ça grimpe dur, il commence à pleuvoir, mais je me dis que le jeu en vaut la chandelle et que la récompense est au bout.
Alors finalement, il faut bien l’avouer maintenant, on n’est plus sûr de rien ! Car la forme qui se distinguait en contrebas n’était pas si bien dessinée que celle du magazine Géo !
Nous reprenons la route pour Koumac, il est à peine 10h30 et nous avons déjà parcouru deux cents kilomètres et fait deux heures de marche ! Alors à Koumac, le moral des troupes n’était pas des plus reluisants : pluie, déjeuner à l’abri du porche de la Société Générale, dans une ville qui fait un peu Far West et qui vit essentiellement de la mine de Tiebaghi.
Je prends le volant jusqu’à Pouébo : nous traversons différents cols, toujours des niaoulis dans les champs, plus ou moins dispersés, et une lumière mouillée. Un arc-en-ciel nous accompagne tandis que nous longeons la corniche de la côte est : le paysage change, c’est à présent une végétation luxuriante (il s’agit de la région la plus humide de Nouvelle-Calédonie) conforme aux clichés qu’on peut avoir sur les régions tropicales : longues plages de sable blanc, cascades d’un côté et lagon bleu turquoise de l’autre, cocotiers et palmiers au bord de la route.
Nous traversons le territoire des tribus kanak, signalées le long de la route à la manière de nos hameaux : nous apercevons des cases, les jardins sont fleuris. On y aperçoit régulièrement des totems où des paréos ont été noués en guise d’offrande, des échoppes avec des coquillages, des sculptures sur bois ou pierre savon, des papayes. Pas de vendeurs, on laisse l’argent et on prend l’objet ou le fruit. Coutume d’un autre temps, celui où les tribus des montagnes troquaient avec celles du bord de mer. Parfois, un four micro-onde usagé planté sur un piquet fait office de boîte aux lettres.
La conduite de cette route est très pittoresque : Radio Jiido en fond sonore (ici le reggae est musique nationale), on lève deux doigts dès qu’on croise quelqu’un à pied ou en voiture, signe de reconnaissance amicale, et on se dit qu’il fait bon vivre par ici !
Pour arriver à Hienghène, nous empruntons le dernier bac existant en Calédonie, qui nous fait traverser la Ouaième : voici notre 3T (Twingo tout terrain) chargée sur un radeau à moteur ! À Hienghène, nous posons devant la Poule, gros roc de calcaire noir (il ne manque plus qu’un beau ruban et on se croirait à Pâques), puis palmes, masques et tubas à la plage du billet de 500, ainsi appelée car c’est elle qui figure sur les billets de 500 CFP.
Les fonds sont superbes, on longe le platier et au milieu des coraux multicolores, ça fourmille de poissons jaunes, bleus, des zébrés blancs et noirs… et il suffit de planquer devant une anémone de mer pour que ne tardent pas à sortir un ou deux poissons clowns…magique !
La route est chaotique et serpente dans la montagne. « Serpentine », c’est d’ailleurs le nom donné au convoyeur de la SLN (Société Le Nickel), un gigantesque tapis roulant qui conduit le minerai depuis la mine jusqu’à la mer. Nous découvrons donc le paysage minier : la montagne a été rongée, entamée par les machines qui extraient le précieux nickel, et elle laisse voir ses blessures rougeoyantes.
Au loin, la mer d’un bleu profond… ces contrastes de couleurs sont vraiment fabuleux. Nous décidons finalement d’emprunter la route à horaires de Canala à Thio : c’est une piste ouverte alternativement dans un seul sens, aux heures paires pour nous en l’occurrence. Nous attendons midi avant de nous lancer.
Entre montagne et précipice, sur une route de terre rouge, nous montons jusqu’au col de Pétchécara où nous attend une vue grandiose. Descente en lacets serrés, il nous a fallu trente-cinq minutes, bravo à notre pilote !
Retour à Nouméa, avec un peu plus de mille kilomètres au compteur, une twingo blanche devenue rouge et des images plein la tête.
Un récit de voyage de Delphine Lahary
Photo de couverture : Chutes de la Madeleine, Nouvelle-Calédonie © David Mark