Le virtuose de l’argent d’Iqaluit
En créant de remarquables bijoux et en offrant des ateliers fascinants, Mathew Nuqingaq, véritable maître artisan, donne vie à l’esprit du Haut-Arctique canadien.
Lorsque l’artiste Mathew Nuqingaq m’a invitée à son studio d’Iqaluit pour une initiation à la fabrication artisanale de bijoux en argent, art dans lequel il est passé maître, j’ai accepté en une nanoseconde. Les œuvres de Nuqingaq sont connues d’un bout à l’autre du Canada. Elles sont vendues dans les galeries et les boutiques les plus importantes, où les commandes s’accumulent plus vite que ne peut les satisfaire l’artiste. Dans l’édifice de l’Assemblée législative du Nunavut, à Iqaluit, les visiteurs s’extasient devant l’œuvre la plus connue à laquelle il a contribué : la majestueuse masse du Nunavut, faite d’une défense de narval, d’argent et d’autres matériaux précieux provenant du Nunavut.

Mathew Nuqingaq – Yukon, Canada – © Amanda Graham
Les bijoux de Nuqingaq font honneur aux symboles du Nord, comme c’est le cas pour la bague que nous nous apprêtons à créer. À partir d’une bande plate d’argent non poli, nous allons former un anneau qui deviendra une représentation en miniature de l’entrée d’un igloo. Nuqingaq a trois heures devant lui et une surprenante confiance en ma capacité d’apprendre.
« D’où venez-vous? », me demande-t-il. Comme je me trouve à des milliers de kilomètres de chez moi, je me dis qu’il est peu probable que Nuqingaq ait entendu parler de la petite ville de St. Catharines, en Ontario.
« De la région des chutes Niagara », dis-je. Ça devrait lui donner une idée.
Il ne faut rien tenir pour acquis.
« Des chutes? Vraiment? Vous ne venez pas de Grimsby? De Port Colborne? » demande-t-il, énumérant avec exactitude des localités de mon coin de pays. « Pas de St. Catharines ? »
Je découvre ainsi que Nuqingaq a étudié à St. Catharines dans le cadre d’un échange étudiant durant sa jeunesse. Nous avons tôt fait de déterminer que nous avons plusieurs amis communs, et notre monde rapetisse encore lorsque nous constatons une autre amitié que nous partageons : celle d’un orfèvre en argent de qui j’ai jadis suivi un cours au Nouveau-Brunswick. En fin de compte, le Canada n’est pas si grand.
La glace étant brisée, Nuqingaq me demande si j’aime la musique. Parmi ses CD se trouvent des albums classiques de Creedence Clearwater Revival, groupe rock des années 1960-1970, et, peu après, nous chantons à tue-tête. Pendant que nous chantons, il m’apprend à mesurer la circonférence de mon doigt, à réchauffer la bande d’argent avec une lampe à souder et à la façonner à l’aide de ses outils pour en faire un anneau lisse et régulier.

Auyuittuq National Park – Nunavut, Canada – © Peter Morgan / Flickr
En chantant Lookin’ Out My Back Door à pleins poumons, nous nous servons d’un burin et d’un petit marteau pour tracer les lignes de l’igloo sur la surface de la bague. Nous en sommes à la chanson Up Around the Bend lorsque nous nous servons de cisailles à argent pour former la toute petite entrée. À la fin des trois heures que nous avons passées ensemble – nous avons chanté Fortunate Son quelques fois et avons donné une interprétation assez convaincante de Down on the Corner – ma bague est maintenant polie. Rien ne vaut un professeur qui a une telle maîtrise de son art qu’il peut se détendre et chanter pendant qu’il crée de belles choses.
Nuqingaq est aussi un maître de la réutilisation. Dans presque tous les coins de son petit atelier, on trouve des signes de son aptitude à donner une nouvelle fonction à des objets que d’autres ont jetés. Ici, de vieilles têtes de bâtons de golf servent de crochets à vêtements. Là, le nez d’un avion est suspendu au plafond, constituant la hotte sous laquelle l’artiste utilise des fers à souder et des produits chimiques servant à la gravure.
Le monde de Nuqingaq est un monde isolé et d’une grande beauté. Son travail et les cours qu’il offre infusent l’esprit du Haut-Arctique dans les coffrets à bijoux et les étalages, ainsi que les cœurs des amateurs d’art du monde entier. C’est ça, la magie d’un maître artisan.
Avec la permission de la Commission canadienne du tourisme