Plus petite région de Grèce, la Thrace est une zone de transit où l’on ne s’arrête guère. La vie n’en a que mieux conservé son caractère, tout comme celles qu’on regroupe – faute de mieux – sous le nom d’« îles de l’Est ».
La Thrace, sas de l’Orient
La Thrace (Thraki) est un nom historique que portent à la fois une région de Grèce, de Bulgarie et de Turquie. C’est une survivance de la Thrace antique, qui montait jusqu’à l’Ukraine et la Hongrie actuelles. Avec ses villages turcophones et ses minarets, la région garde une profonde empreinte ottomane, voire slave. Depuis des siècles, ses habitants se consacrent à la culture du ver à soie; plus récemment, à celle du coton et du tabac brun.
Xanthi
Les rues paisibles de Xanthi ont conservé les maisons à encorbellement des barons du tabac. Avec leurs avancées posées sur des poutres qui semblent ployer sous leur poids, elles adoptent un style qu’on retrouve dans les demeures bourgeoises de Plovdiv, en Bulgarie.
Lac de Vistonida
A 20 km de Xanthi.
Bordé par ses roseaux jaunis, ce lac ravissant est le lieu de rencontre des terriennes cigognes et des mouettes maritimes : l’intermédiaire entre l’eau douce et la mer. Des milliers d’autres espèces d’oiseaux migrateurs s’y retrouvent. Le lac est fermé comme par une rosette par la ville de Lagos. Ce nom aux sonorités plutôt portugaises est connu pour son monastère lacustre de Saint-Nicolas (Agios Nikolaos) au fin clocher.
Maroneia
Cette humble ville du littoral abrite quelques maisons de bois et un théâtre antique, de facture élégante mais délabré. C’est à Maroneia qu’Ulysse se procure du vin, réputé pour avoir le goût du nectar des dieux, afin de saouler le cyclope Polyphème, qui retient prisonnier ses compagnons.
Alexandroupoli
Avion depuis Athènes.Avec son phare blanc poli comme un rouleau à pâtisserie, la très administrative capitale n’a pas beaucoup d’atouts, si ce n’est une vie insolite, marquée par les brassages de populations. Elle est l’ancienne Dedeagaç (en turc, « l’arbre du grand-père »). Elle fut longtemps disputée entre Ottomans, Bulgares et Hellènes – qui finirent par l’affubler du nom du monarque de l’époque. Alexandropole possède une vaste plage à proximité, chose rare pour une capitale régionale.
Le delta de l’Evros
A 30 km à l’est d’Alexandropole.
Longeant la frontière turque, le puissant fleuve Evros (appelé Meriç, de l’autre côté) s’achève par ce bouquet final qu’est le delta. C’est le plus riche biotope de toute la Grèce avec ses lis, ses orchidées, ses 300 espèces d’oiseaux, du héron hirsute au cygne bien lissé, et plusieurs espèces de vautours et d’aigles.
Samothrace
Bateau depuis Alexandroupoli.
Un cône en pleine mer. Samos de Thrace, alias Samothrace, serait inconnue sans sa célèbre Victoire, exposée au Louvre. Sculptée à Rhodes en marbre de Paros, la statue ailée fut dénichée entre les platanes et lauriers-roses qui cernent encore aujourd’hui les colonnes brisées du sanctuaire des Grands Dieux.
Suivez le guide !
De Samos-ville, on peut avoir accès à Kusadasi, la station chérie des francophones en Turquie, et de Chio, on peut atteindre Cesme.Les îles de l’EstLe seul lien logique de ces terres dispersées, c’est d’avoir été génoises au Moyen Age, avec Chio pour capitale.

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Samos
Accès par Le Pirée ou Kavala.
Avion depuis Athènes.Immenses plages bondées, mais un arrière-pays tranquille, la patrie du mathématicien Pythagore invite moins aux théorèmes qu’à la rêvasserie détendue. Les vignerons de la côte nord produisent le célèbre muscat de Samos. Les deux sites majeurs sont l’Heraion, sanctuaire dédié à la déesse Héra, épouse de Zeus et déesse protectrice du Mariage, ainsi que l’aqueduc d’Orugma. Ce tunnel d’un kilomètre a été construit, au VIe siècle avant notre ère, par l’ingénieur antique Eupalinos – et réalisé par la main-d’œuvre bon marché de prisonniers de guerre. Le musée de Samos-ville (ouvert du mardi au dimanche de 9 h à 15 h. Entrée payante) héberge la plus grande collection d’ex-voto de Grèce, mise au jour à l’Heraion, des figurines de bronze importées d’Assyrie et un éphèbe de 5 m de haut. A Evpalinio, on parcourt sur un kilomètre et demi un aqueduc souterrain antique.Un bateau dessert Ikaria, l’île sur laquelle s’écrasa Icare au cours de son évasion du Labyrinthe.
L’ancêtre du chewing-gum
Dans les échoppes de Chio, on vend des jarres hautes comme la main : elles contiennent du mastic, résine du lentisque, qui se mâchonne en chewing-gum, enduit les icônes et parfume l’ouzo.
Grèce et pub
Des phantasmes d’îles grecques, les publicitaires font bon usage ; c’est ainsi qu’on a pu mettre en vente un fromage frais du nom de Samos, les confitures Andros, le lait Candia – nom vénitien de la Crète -, le nettoyant Théra -nom grec de Santorin-, un appareil photo Nikonos – jeu de mot sur une île connue-, sans oublier la maison de disques Naxos, le fromage Salakis…
Chio
Sur Chio, le touchant village de Pirgi.Bateau depuis Le Pirée. Avion depuis Athènes.Des plages de galets noirs. Homère est né ici. Jacques Cœur, le marchand de Bourges, y est mort. Mais c’est Delacroix qui, sans y avoir mis les pieds, rend Chio célèbre : en 1822, l’île se révolte contre l’occupant turc. Craignant une réaction en chaîne, Istanbul joue la dissuasion. Ce sont les fameux massacres de Chio, qui valent à l’île 30 000 martyrs et une célèbre toile romantique. On visite l’île pour le monastère de Nea Moni,(ouvert de 8 h à 13 h et de 16 h au coucher du soleil) aux mosaïques de premier ordre, sans oublier les ruelles médiévales de Mesta et Pirgi, que les paysans surchargent de guirlandes de tomates.
Lesbos
Bateau depuis Le Pirée ou Salonique. Avion depuis Athènes.« Je t’ai aimée, Attis, au temps jadis ; je te croyais jeune fille, sage et gentille » : la réputation de Lesbos doit tout à la poétesse antique Sapho, qui chanta son penchant pour les jeunes femmes, les idées féministes et son aversion pour son compatriote Alcée, auteur de quelques chansons à boire. Lesbos est suffisamment grande pour y flâner des jours dans les bourgades aux toits à quatre pentes, avant de partir sur la piste des arbres pétrifiés de Sigri. Ce ne sont autres que des moulages naturels de branches et de troncs d’arbres d’il y a des millions d’années, qui ont gardé l’empreinte de l’écorce et des veines du bois.
Xénophilie
« Le bonheur, c’est d’avoir des fils qu’on aime, des chevaux au sabot ferme, des chiens courants et, au coin de l’âtre, un étranger », disait le sage Solon : le voyageur est sacré pour le Grec -qui redoute de tomber sur un dieu qui passe incognito. On en prend donc soin, pour ne le laisser repartir qu’avec le symbolon, fragment d’une coupe cassée en deux : s’il repasse, l’hôte s’assurera du même accueil en recollant les morceaux. Naguère, on pouvait encore traverser la Grèce sans bourse délier. Les routards ont abusé. La Grèce s’est méfiée. Pourtant, à la campagne, l’eau-de-vie et la cuillerée de confiture attendent toujours quiconque demande son chemin.
Lemnos
Bateau depuis Kavala. Liaison aérienne depuis Athènes.
Elle est volcanique. Normal : elle n’est autre que l’antre d’Héphaïstos, le dieu des Forges. Epousant la forme d’une daurade, elle propose quelques sites archéologiques et une puissante forteresse byzantine qui zigzague comme une muraille de Chine.La ville de Murina abrite un bazar dans ses rues anciennes, bordées de maison turques cossues : le Bosphore n’est pas loin, et c’est la raison pour laquelle, en 1917, Churchill décida d’y faire débarquer un corps expéditionnaire franco-anglais. Objectif : contrôler les détroits pour asphyxier Constantinople. Ainsi commençait la désastreuse bataille des Dardanelles, dont le Premier ministre subira les conséquences, jusqu’à son « rachat », en 1940.
Theodorakis, minotaure de la musique grecque
Né en 1925 à Chio, ce Crétois échappe à une exécution d’otages -un nazi mélomane voit le mot « compositeur » sur sa carte d’identité… C’est la naissance d’un artiste engagé, qui devient la bête noire du régime des colonels. Il est déporté, puis s’exile à Paris. Son œuvre, populaire dans tous les sens du terme, doit autant au bouzouki qu’à la liturgie ou la tragédie antique ; une musique tantôt vive, tantôt rauque, que ce géant chante parfois lui-même, d’une voix de taureau qui résiste aux modes, aux tortures passées et… aux revirements politiques.