Aux actualités de 1931, les spectateurs virent une drôle de caravane s’engager dans les passes du Karakorum, à la frontière de la vallée de l’Indus et du Turkestan chinois. Parties de Beyrouth, les autochenilles sorties des usines Citroën entamaient la dernière partie de leur parcours sur la route de la Soie. La Croisière jaune déroulait les premières images de cette contrée de déserts et de puissantes montagnes, point de départ d’une fabuleuse route d’échanges entre les deux bouts du vieux monde.
Rappel historique
Passage vers l’Ouest
En 139 av. J.-C., l’empire chinois envoya une mission chercher des alliés contre les nomades des steppes du Nord. Pour contourner l’ennemi, l’ambassade s’engagea vers l’ouest du fleuve Jaune, découvrant les routes qui menaient aux Xiyu, les « contrées de l’Occident ». Là-bas, tout près de la future Tachkent, le légat Zhang Qian apprit avec stupeur que l’on faisait commerce de brocarts de soie venus de Chine. A son retour, l’empire lança une fantastique percée militaire pour asseoir ses relations avec les cités d’Asie centrale. Les moyens mis en œuvre pour entretenir un passage vers l’Ouest signent l’acte de naissance de la route de la Soie. Convoyée de caravanes en comptoirs jusqu’aux rives de la mer Noire, l’étoffe, dont le secret resta bien gardé jusqu’au VIe siècle, s’en fut habiller les grands de ce monde.
La route des pèlerins
Au IVe siècle, la route de la Soie devint la route des Indes lorsque des moines chinois partirent quêter l’enseignement de Bouddha dans ses terres d’origine. Convoitées tour à tour par la Chine et par les empires nomades, les oasis du Tarim furent les fiefs de princes de langue iranienne, les Sogdiens, puis des Turcs de l’Altaï. Chrétiens nestoriens, mazdéens, manichéens ou bouddhistes, ils recevaient à leur cour seigneurs parthes, mages de Perse et marchands du Ferghana.
En 751, l’empire chinois ne put contenir l’avancée de la conquête arabo-musulmane, dont le monde turc épousa peu à peu la cause et la foi. Ainsi grandit le Turkestan, que la Chine n’absorba qu’au milieu du XVIIIe siècle. Le XIXe siècle en fit la proie d’autres empires, des Russes ou des Indes britanniques. Le XXe siècle consomma les ruptures…
Le corridor du Gansu
Echarpe de terre aride tendue entre les derniers contreforts du Tibet oriental et les étendues désertiques du grand Gobi, la province du Gansu dessine le couloir qui relia l’empire du Milieu au cordon d’oasis du Xinjiang.

Dunhuang, Gansu Province © Dennis Mark Mulhall
Le carrefour de Lanzhou
Il faut beaucoup d’imagination pour retrouver l’atmosphère des routes caravanières dans ce carrefour routier et ferroviaire, entre steppe mongole, haut plateau tibétain et Chine du fleuve Jaune. Ici, la nouvelle richesse de la route de la Soie est plutôt l’or noir de Yumen, auquel le complexe pétrochimique de Lanzhou est relié par un oléoduc de 880 km.
Petite chronique du Far West chinois
La sécheresse qui sévit dans le défilé du Gansu a préservé de menus objets de bois, tissu ou papier, dont s’entouraient, dans leur dernière demeure, les colons chinois venus s’y établir à partir des environs du début de notre ère. La sépulture plus prestigieuse d’un général renfermait une cavalerie miniature en bronze, menée par un coursier campé dans un trot enlevé, le sabot posé sur une hirondelle en vol. Pour l’empire, le Gansu fut aussi la voie d’acheminement des petits chevaux d’Asie centrale, achetés à prix d’or par les Han. L’histoire des colons han en terre « barbare » se découvre au Musée provincial (près de la gare. Ouvert du lundi au samedi de 9 h à 12 h et de 14 h à 17 h 30. Entrée payante).
Deux collines et un dernier regard sur le fleuve Jaune
Des parcs agrémentent les escarpements qui surplombent le fleuve Jaune au centre-ville. Une pagode blanche coiffe la colline du Baita shan depuis le XIVe siècle. La vue pourrait être remarquable si la ville l’était et si l’air n’était pas embrumé de brouillard et de la poussière des terres jaunes environnantes. Sur l’autre rive, des constructions provenant d’ensembles religieux désaffectés forment le cadre du Wuquan shan. Sur cette colline, un officier du temps des Han aurait fait jaillir cinq sources (wu quan) à la pointe de son épée pour abreuver ses chevaux.
Suivez le guide !
Avant de vous enfoncer sur la piste des oasis d’Asie centrale, jetez un dernier regard sur le fleuve Jaune des Han. Un érudit local lui a consacré un musée poétique sur les pentes du Baita shan en collectionnant les pierres de couleur roulées par les eaux du fleuve.
Bingling si, des grottes au bord de l’eau
A 70 km au sud-ouest de Lanzhou.
Autour de Lanzhou, le lœss, terre jaune de Chine du Nord, a composé un paysage lunaire, où seuls les hauts portiques où sèche le maïs trahissent la présence des villages aux murs de terre damée.
Depuis l’aménagement d’un lac de barrage sur le Huanghe, en 1974, Bingling si est devenu le seul sanctuaire rupestre bouddhique de Chine où l’on se rend en bateau (attention, l’étiage ne rend pas toujours la visite possible).
On navigue plusieurs heures au fil de montagnes jaunes, marbrées de bleu et de noir, et de cheminées de fées pointées vers le ciel. Autour d’un grand Bouddha assis, les images, taillées entre le VIe et le IXe siècle, sont de facture assez fruste, mais la balade en bateau vaut bien l’aventure.
Jiayu guan, sentinelle du désert
A 773 km au nord-ouest de Lanzhou.
D’ancienne ville de garnison, Jiayu guan est devenue l’épicentre des richesses minières du Gansu. A quelques pas de l’extrémité occidentale de la Grande Muraille de Chine, les convois de minerai de fer ébranlant les chemins du désert ont remplacé les caravanes de Tartarie.
La passe imprenable
Au IIe siècle av. J.-C., lorsque l’empire chinois conquiert le Hexi, l’« ouest du fleuve (Jaune) », il scelle son emprise en y semant commanderies et garnisons, protégées sur leur flanc nord, là où s’étend le désert de Gobi, par des replis de Grande Muraille édifiés en terre damée. De nombreuses sections furent restaurées et doublées de fortins en bel appareil de pierres au XIVe-XVe siècle, lorsque la dynastie des Ming remit en vigueur le système du grand mur frontière pour contenir les Mongols. Fondée en 1372, la passe de Jiayu (à 5 km à l’ouest de la ville moderne) était l’ultime citadelle du système défensif à l’ouest. Depuis le chemin de ronde, le regard embrasse la passe désertique, où seule la chaleur fait trembler le lointain. Restauré en 1987, le rempart étend deux bras protecteurs vers les cimes enneigées des Qilian shan et sur les pentes des monts Noirs.
Par-delà la porte du Jade
La passe franchie, on atteint, 43 km plus loin, les champs de pétrole de Yumen, la porte du Jade. Car, si la grande voie transcontinentale est mondialement connue sous le nom de route de la Soie, elle fut pour les Chinois la piste qui les approvisionnait en jade, pierre précieuse entre toutes. Au-delà, la route file à travers les étendues rocailleuses du désert de Gobi, dont les caravaniers redoutaient les vents violents et les températures extrêmes (de – 10° à + 45°). Les tours isolées en terre damée sont les vestiges d’un antique système de « télégraphe », qui communiquait d’un poste à l’autre par signaux de feu ou de fumée.
Suivez le guide !
Visitez Gucheng(à 20 km au sud-est de Dunhuang), l’« ancienne cité », qui ressemble de loin à un mirage, mais est une vraie fausse ville : elle servit de décor au film japonais Dunhuang, tourné dans les années 80.
Dunhuang
A 424 km à l’ouest de Jiayu guan.
Si un moine bouddhiste n’avait pas eu une vision en 366, il n’y aurait sans doute pas d’aéroport dans cette bourgade d’oasis, plantée de peupliers argentés, au bord des dunes de sable. Cette année-là, le pèlerin Lezun se reposait, contemplant le coucher du soleil, quand soudain il vit lui apparaître, sur les collines où se réfléchissaient les lueurs du couchant, l’image de Bouddha, répétée à l’infini. Le saint homme commémora l’événement en lui dédiant une chapelle rupestre dans la falaise de Mogao. Ce geste pieux fit des émules dix siècles durant : 496 grottes furent forées dans la paroi rocheuse, enluminées de 45 000 m2 de peintures et sculptées de 2 000 statues. Rendue prospère par cette grande dévotion bouddhique au temps des caravanes, Dunhuang l’est de nouveau au temps des touristes depuis son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, en 1987.
Mogao, la falaise des Mille Bouddhas
A 25 km au sud-est de Dunhuang. Ouvert tlj de 8 h 30 à 11 h 30 et de 14 h à 16 h. Entrée payante.
Les peintures de Dunhuang sont fragiles : on ouvre aux visiteurs deux douzaines de grottes seulement, à tour de rôle. Au IVe-VIe siècle, époque la plus ancienne, les compositions murales s’organisent en « bandes dessinées » relatant les péripéties de Bouddha durant ses multiples vies antérieures ou d’autres légendes venues de l’Inde lointaine. Sous la dynastie des Sui (581-618), les personnages, saints du bouddhisme et divinités, prennent de l’ampleur et s’allongent en sveltes figures enveloppées de drapés souples. A partir du VIIIe siècle, la mode est aux grands tableaux déroulant les paradis bouddhiques dans des palais de rêve animés de danseuses et de musiciens. Les colorants, remarquablement conservés (prendre tout de même une lampe de poche), étaient d’origine minérale, parfois végétale ou animale.
La Grande Dune et le lac du Croissant de lune
A 4 km au sud de Dunhuang.
Aux confins de l’oasis et du désert, une armée tout entière fut jadis engloutie sous les dunes, dit la légende. Certains soirs, les plaintes des soldats se mêlent au vent du désert. Plus prosaïquement, les Chinois ont aménagé le site en parc d’attractions. On peut se promener à pied ou à dos de chameau, ou surfer sur les dunes autour d’un minuscule étang aux eaux saumâtres en forme de croissant.