En dépit des milliers de touristes qui visitent l’île chaque année, la Crète a su préserver intactes une culture et des traditions bien vivantes. Si l’on vient ici pour savourer les délices du soleil et des eaux violettes, on découvre sur place un art de vivre subtil, fait de nonchalance et d’une joyeuse légèreté…
Economie
L’agriculture
Entre les Crétois et leur terre, l’histoire d’amour dure depuis plus de 5 000 ans ! Aujourd’hui encore, l’agriculture représente 50 % du PIB de l’île avec, en tête, vignes et oliveraies. On compte ici 45 millions d’oliviers, soit 90 par habitant. Conséquence logique, la Crète offre une récolte annuelle fort généreuse : 1 100 000 hectolitres d’huile, représentant environ 30 % de la production de toute la Grèce. Quant aux vignes, elles recouvrent l’ensemble des régions vallonnées, notamment au centre de l’île avec les vignobles d’Archanes et de Peza, qui produisent 80 % des vins crétois. Créée en 1905, leur coopérative est la plus ancienne de Crète. Mais elle a aujourd’hui élargi ses activités, ajoutant notamment la production de raisins secs à ses quatre fameux crus de blancs (cava armanti) et ses deux crus de rouge (archanes). Côté légumes, l’île se montre tout aussi riche. Les serresjouent au coude à coude sur les côtes ouest et sud, où la température ne descend jamais au-dessous de… 12 °C ! Sous les bâches s’épanouissent toute l’année une jungle de fleurs mais aussi des concombres, des tomates, des poivrons et des tonnes de bananes, de melons et de pastèques. Quelques régions (autour de La Canée et de Fodélé) se sont également spécialisées dans les oranges et les citrons. Enfin, un grand projet agricole, appuyé par la Politique agricole commune (PAC), consiste à diversifier la production en remplaçant certaines oliveraies par des plantations d’avocats et certains vignobles par des cultures de kiwis. Une proposition audacieuse qui, pour le moment, rencontre une certaine réticence de la part des agriculteurs, peu enclins à abandonner leurs cultures millénaires. Il s’agit pourtant d’un vrai défi pour l’avenir !
L’industrie
En Crète, l’industrie constitue encore le parent pauvre de l’économie. La pêche emploie bon nombre d’habitants, mais malheureusement la surexploitation de ces trente dernières années a fait de la mer Egée une zone sinistrée. C’est ainsi que la Grèce, pays le plus maritime d’Europe, doit aujourd’hui importer un quart de son poisson ! En Crète toutefois, la production demeure relativement importante. Grâce à l’essor touristique, les secteurs du bâtiment et du transport maritime sont toutefois en progression. Tout comme le commerce : un Crétois sur dix environ est à la tête d’une petite entreprise – négoce, restauration, hôtellerie.
Le tourisme
Atout clé de l’économie crétoise, le tourisme constitue la seconde grande activité de l’île (48 % du PIB). Les 600 000 Crétois accueillent en moyenne 1 500 000 étrangers durant la haute saison, principalement sur la côte nord. Avec un million d’arrivées par an, l’aéroport d’Héraklion joue quasiment à partie égale avec celui d’Athènes, sans oublier La Canée, spécialisée dans l’accueil des charters ! Certes, le tourisme profite à l’économie en créant des emplois, mais la plupart sont saisonniers et non qualifiés. De plus, un tiers seulement de l’argent dépensé par les touristes reste sur place. Il faut, en effet, de la bière aux Allemands (400 000 visiteurs par an), du thé aux Anglais (350 000), des poissons fumés aux Scandinaves (150 000) et un peu de tout aux Français, autant de produits qui doivent être importés ! Dernière ombre au tableau, la politique de développement touristique à outrance lancée par le régime des colonels a dénaturé bon nombre de sites et, aujourd’hui encore, les garde-fous sont dérisoires : ne pas bâtir à moins de 80 mètres du rivage, ne pas dépasser trois étages… Et cette législation, pourtant peu contraignante, n’est pas toujours respectée.

Chats de Crete. Mignon chat gris de Crete © AlmazUK
Institutions politiques et administratives
L’île, rattachée à la Grèce depuis 1913, représente 4 nomos (départements) des 52 que compte le pays et réunit 5 % de la population totale. Le gouvernement de cette république parlementaire est à Athènes. Passionnés par la vie politique, les Crétois suivent avec grand intérêt les mésaventures des deux principales familles politiques : les socialistes du Pasok et la droite libérale de Nea Dimokratia.
Population
Pour les Crétois, la Grèce semble susciter une incroyable force d’attraction ! Ainsi, les trois quarts de la population occupent la côte nord, face au continent grec, tandis que les côtes est, ouest et le sud restent très faiblement peuplées. L’île se divise en quatre départements, dont les capitales respectives, La Canée, Héraklion, Réthymnon et Agios Nikolaos, concentrent l’essentiel de l’activité. Enfin, un simple regard sur l’histoire et l’on comprend qu’il n’existe pas de race crétoise. Doriens, Romains, Vénitiens, Turcs… Les nombreux occupants ont créé un véritable melting-pot, même si le type méditerranéen aux cheveux bruns et à la peau mate garde une faible longueur d’avance !
La Crète et ses voisins
Tout autant que les Grecs, les Crétois entretiennent une certaine hostilité vis-à-vis des Turcs. Deux cents ans d’occupation ont laissé des traces douloureuses et la question chypriote a redonné une vibrante actualité au conflit historique. Rappelons que cette dernière est séparée depuis 1974 en deux parties – chypriote grecque et turque – par un véritable rideau de fer, « la ligne Attila ». La capitale, Nicosie, prenant des allures de Berlin d’avant la chute du mur, des incidents surviennent régulièrement au sujet des eaux territoriales des îles grecques proches des côtes turques. Autant de querelles dont on débat avec ardeur devant un raki, l’alcool typiquement crétois.
Religion
En Crète, il n’y a pas de villages sans église, de collines sans chapelle, de carrefours sans sanctuaire… Un simple coup d’œil suffit pour découvrir qu’ici la religion est omniprésente ! 97 % des Crétois sont de confession chrétienne orthodoxe et, même athée, un Crétois porte une véritable affection aux prêtres, qui ont montré un réel héroïsme durant les heures douloureuses de l’occupation allemande.
L’église crétoise, indépendante de celle de la Grèce, est toujours sous l’obédience de Constantinople et a réussi à maintenir chez ses fidèles la langue et les traditions byzantines. Vêtus d’une longue tunique noire et portant traditionnellement une barbe bien fournie, les popes font partie du paysage grec aussi sûrement que les plages et les oliviers ! Autorisés à se marier, les prêtres orthodoxes sont rémunérés par l’Etat et disposent également des revenus liés aux baptêmes, aux mariages. Tous les dimanches, les Crétois assistent en famille à la messe et, contrairement aux offices catholiques, très solennels, il règne alors dans l’église un joyeux brouhaha : on entre et on sort, on bavarde entre amis. Ici, pas de sermon, mais une antienne liturgique chantée par le pope et quelques fidèles.
Fêtes et coutumes
Fêtes officielles et manifestations locales
1er janvier : Nouvel An. Durant la nuit de la Saint-Sylvestre, la coutume veut que l’on garde la porte de sa maison ouverte pour faire sortir l’ancienne année et accueillir la nouvelle. A minuit, on mange en famille la vassilopita, le gâteau de nouvel an, dans lequel est cachée une pièce porte-bonheur. La coutume veut que l’on joue aux jeux de hasard (cartes, dés, etc.) avec de l’argent (seul jour autorisé par la loi).
6 janvier : Epiphanie, fête des Mages. Dans les villages côtiers, de nombreuses messes sont célébrées en bord de mer car c’est le jour de la bénédiction des eaux (mer, rivière ou même puits). Un prêtre finit par jeter la croix sainte dans l’eau, que des plongeurs récupéreront.
Lundi propre : premier jour de Carême, particulièrement fêté à Réthymnon, où, la veille, a lieu un grand carnaval.
25 mars : fête nationale grecque, marquant le début de la lutte d’indépendance des Grecs contre les Turcs (1821).
Vendredi saint : fête religieuse importante et jour chômé.
Pâques : la plus grande fête religieuse de l’année, marquée par une messe solennelle.
1er mai : fête du Travail, du Printemps et des Fleurs.
20-27 mai : anniversaire de la bataille de Crète, durant laquelle l’île résista aux parachutistes allemands.
Pentecôte.
15 août : Dormition de la Vierge. Eglises et monastères sont tout particulièrement décorés.
28 octobre : fête nationale, commémoration du « Ochi », le non à l’ultimatum lancé par Mussolini, qui marqua l’entrée de la Grèce en guerre.tois réfugiés au monastère d’Arkadi et qui préférèrent se donner la mort plutôt que de se rendre aux Turcs.
7-8 novembre : fête nationale crétoise en souvenir du sacrifice des Crétois réfugiés au monastère d’Arkadi et qui préférèrent se donner la mort plutôt que de se rendre aux Turcs.
Le chassé-croisé du 1er janvier
Le 1er janvier de chaque année, la tradition veut qu’un bateau de pêche quitte le port d’Agios Nikolaos pour emmener au loin l’année passée tandis qu’un autre revient, apportant la nouvelle. Sur ce dernier, un personnage déguisé et grimé représente saint Basile. Après avoir débarqué devant la foule, il traverse la ville sur un cheval blanc jusqu’à la Grand-Place, où il distribue des jouets, des bonbons et des gâteaux aux enfants.
Les refus orthodoxes
Catholiques et orthodoxes divergent sur bon nombre de points. Ces différences de vues ont conduit à une première rupture, en 1054, puis à une partition définitive, en 1453, lors de la prise de Constantinople par les Turcs. Les orthodoxes refusent tout d’abord le dogme selon lequel l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils. Pour eux, l’Esprit-Saint ne vient que de Dieu le Père. Pour les orthodoxes, la Vierge Marie n’est pas montée physiquement au ciel après sa mort, c’est le Christ qui a rappelé son âme. C’est pourquoi, le 15 août, on ne fête pas l’Assomption mais la Dormition de la Vierge. Par voie de conséquence, les orthodoxes ne reconnaissent pas le pape comme le chef de la chrétienté.
La Pâques orthodoxe
Catholiques et orthodoxes célèbrent les mêmes fêtes mais selon un calendrier différent, ce qui entraîne un décalage de une à trois semaines selon les années. La fête de Pâques est sans conteste la plus grande de l’année, rappelant la résurrection du Christ, mais aussi la naissance du printemps. Dès le jeudi, les femmes décorent de broderies (epitafios) représentant le tombeau du Christ le dais qui sera porté le lendemain en procession. Le samedi à minuit, les cierges symbolisant la lumière de la résurrection passent de mains en mains, puis chacun en ramène un à la maison afin de noircir à la fumée le haut des portes et des fenêtres ; tandis que, dans chaque ville ou village, explosent pétards et feux d’artifice, ou même tirs de fusils et de pistolets, comme à Anogia ! Tard dans la nuit, on se réunit en famille autour du premier repas pascal avec au menu le traditionnel magiritsa, soupe d’abats d’agneau.
La fête de Saint-Georges
En Crète comme en Grèce, bon nombre d’églises sont dédiées à un saint protecteur. Le jour de sa fête est toujours l’occasion de messes, de processions, de chants et de danses. En Crète, le saint le plus vénéré est saint Georges, patron des paysans et des bergers. Le 23 avril, jour de sa fête, la coutume veut que les bergers viennent, accompagnés de leurs troupeaux, devant l’église de leur village pour y être bénis. Un rendez-vous à ne pas rater !
Le mariage
Jusqu’en 1982, l’orthodoxie était religion d’Etat et tous les mariages, sans exception, avaient lieu à l’église. Aujourd’hui encore, 95 % des jeunes mariés passent devant le pope. La loi reconnaît les mariages civils, mais toujours pas l’église. La cérémonie, plus courte que dans les autres religions, est généralement très joyeuse avec le couronnement des mariés et surtout une grande course aux dragées.
La mort
Dans toute la Grèce et tout particulièrement en Crète, la mort se prête à des rites très anciens puisqu’on les retrouve décrits notamment dans L’Iliade. On met des chaussures neuves au défunt et, aujourd’hui encore, on lui place une pièce dans la bouche afin qu’il ne manque de rien pour accomplir le grand voyage. Des pleureuses chantent un éloge (le mirologi) puis le cercueil, recouvert de fleurs mais également de lettres, est porté, si possible par les amis, jusqu’au cimetière.
Art et culture
L’architecture
A l’image des multiples rebondissements de son histoire, l’architecture crétoise reste sans conteste l’une des plus riches de la Grèce. Temples minoens, monastères byzantins, églises et palais vénitiens, demeures ottomanes… Les passionnés n’ont que l’embarras du choix ! Sans compter l’originalité des constructions dans les petits villages. La plupart sont en effet divisés en plusieurs groupes d’habitations correspondant à des altitudes différentes : « kato » pour le bas, « meso » pour le milieu et « pano » pour les constructions les plus hautes.
Dans de nombreux villages, comme à Zakros, à l’extrême est de l’île, certains habitants vivent en hiver dans la partie haute. Et descendent au début de l’été dans leurs petites résidences de Kato Zakros, les pieds dans l’eau !
La littérature
Largement influencée par la Renaissance italienne mais aussi par les traditions grecques et byzantines, la littérature crétoise connut une ère particulièrement fructueuse vers la fin du XVe siècle, avec notamment deux œuvres : Erophile, de Hortatzis, et Erotokritos, de Kornaros, une longue odyssée de quelque 10 500 vers. Il faudra ensuite attendre la libération du joug turc et plus précisément la fin de la Première Guerre mondiale pour qu’émergent de nouveaux courants. Chef de file de la génération montante, Nikos Kazantzakis (1883-1957), né à Héraklion, et sans doute le plus grand écrivain grec moderne, écrivit des pages très fortes sur l’identité crétoise, notamment dans le célèbre Alexis Zorba. Ou encore dans son roman La Liberté ou la mort, dans lequel il décrit la misère subie par ses compatriotes durant l’occupation turque. Tout aussi apprécié dans l’île, Pandélis Prevelakis (1909- 1986), le plus crétois des écrivains grecs, exalte dans ses romans l’idéalisme et le courage de ses compatriotes. Sensible, romanesque, son œuvre se plaît à décrire une Crète héroïque et révolutionnaire. Aujourd’hui encore, Chronique d’une cité ou Le Soleil et la Mort constituent les livres de chevet de bon nombre de Crétois. Y compris des plus jeunes.
La musique et le folklore
En Crète, pas de mariage, de baptême ou de fête sans musique ! Bien vivant, le folklore crétois se différencie largement des mélodies grecques avec deux instruments bien spécifiques: la lyra, sorte de viole à trois cordes, et le laouto, très proche de la mandoline. Dans toutes les fêtes, c’est le joueur de lyra qui donne le ton. Frôlant seulement les cordes, il chante l’amour, l’exil ou le désir de la liberté, reprenant le plus souvent les poèmes du héros local, Nikos Xylouris. Jeune berger, ce Crétois fabriqua lui-même son instrument et fut rapidement reconnu comme l’un des compositeurs et poètes les plus doués de Crète. Ces musiques s’accompagnent le plus souvent de danses. Le syrto, durant lequel femmes et hommes tiennent des mouchoirs évoquant l’écume. Ou encore le pentozalis, une danse à cinq pas, acrobatique et ultrarapide.
Le cinéma
Bien que né à Chypre, le réalisateur Michel Cacoyannis a immortalisé l’âme crétoise en mettant en scène Zorba le Grec (1965), tiré du roman de Kazantzakis. Mais les Crétois s’enorgueillissent également du renouveau du cinéma grec depuis les années 1960. Toujours sensibles à l’évocation de l’oppression, ils ont largement plébiscité les œuvres de Costa-Gavras, notamment Z, qui, en 1968, dénonça violemment la Grèce des colonels. Plus actuelle, l’œuvre de Théo Angelopoulos suscite également un certain engouement.
La peinture
Comme dans toute la Grèce, l’île regorge de sublimes icônes, dans les églises, bien sûr, mais aussi à l’intérieur des maisons, dans les petites chapelles qui ornent les routes (ikonostasio) ou même dans les cuisines des restaurants ! Représentations picturales d’un saint ou d’un événement biblique et toujours peintes sur un support de bois, les icônes jouent un rôle très différent des images pieuses de nos églises. Elles sont l’incarnation même des personnages sacrés et, à ce titre, font l’objet d’une grande vénération. Parmi les plus célèbres, les six icônes de Mikaïl Damaskinos exposées dans l’église Agia Ekaterini d’Héraklion restituent à merveille la double influence byzantine et vénitienne qui signe bon nombre d’œuvres crétoises.
La cuisine
Pas question de limiter la gastronomie crétoise aux traditionnelles recettes grecques, moussaka et tzatzikien tête ! Il existe dans l’île une cuisine typique, et délicieuse. Parfumée de fenouil, de jus de citron, de basilic, d’origan et d’huile d’olive. Pour la savourer, l’idéal consiste à prendre le rythme des Crétois : pour le petit déjeuner, rendez-vous très tôt à la terrasse d’un kafeneio où les hommes sirotent le raki en grignotant des mezedes : concombres à la croque au sel, fèves fraîches, pois chiches grillés, petites olives, fruits secs ou petits escargots au citron et au sel.
Le midi, à la maison comme dans les tavernes, tous les plats sont apportés en même temps, le plus souvent accompagnés d’une carafe de vin rouge. Au menu, soupe de haricots secs, de lentilles ou de trahanas, ces petites pâtes typiquement crétoises à base de semoule de blé et de lait caillé. Ensuite viennent les pitês, ces chaussons qui affichent mille variantes : à la viande, au fromage ou au fenouil sauvage, que les Crétois vont ramasser au printemps. Dans les ports, les poissons sont à l’honneur : rougets, daurades, espadons, tandis que les villages de montagne préfèrent des nourritures plus roboratives : ragoûts de veau, de porc ou de lapin. Quant aux fromages, ils se consomment en fin de repas et se grignotent également tout au long de la journée. Ne manquez surtout pas le mizithra (au lait de brebis), le kephalotyri (sec et salé) ou le graviera(une sorte de gruyère)… De vraies merveilles !
Ne vous trompez pas de raki !
Alcool très apprécié dans toute la Crète, le raki est un marc de raisin au délicat parfum de thym que l’on produit de façon artisanale dans la plupart des villages. A ne surtout pas confondre avec le raki turc, plus fort et plus anisé !