Dans un concert assourdissant de mobylettes en mal de révision, je longe les murailles blondes de la Médina à la recherche d'une boutique que l’on m’a recommandée. Elle est si minuscule que j’ai bien dû passer dix fois devant sans la remarquer.
Le commerçant, un tunisien de soixante-quinze ans peut-être, en costume-cravate strict, m’accueille en s'exprimant dans un français impeccable. Je lui explique qu’après avoir rangé les affaires de ma mère après son décès, j’ai trouvé deux belles pelotes de laine, un fil très chic, sophistiqué, haut de gamme. Il m’est impossible de m’en débarrasser, donc la solution la plus simple (?) est de trouver d'autres pelotes identiques, afin de créer un vêtement complet.
Il m’invite à passer derrière son minuscule comptoir et à effectuer des recherches par moi-même. Du sol au plafond, sans la moindre étagère les séparant, s’entassent et s’emmêlent des milliers d’écheveaux de laine, certains très anciens, d'autres sûrement mités. Mais pas de pelotes : uniquement une montagne d’anneaux alanguis dont on ne retrouve pas le bout.
Alors J’escalade, je plonge, je nage dans le moelleux. Le bonheur !
Je tire un fil et provoque une avalanche multicolore, je ris de cette situation improbable. Les hommes présents s’arrêtent de bavarder, me regardent puis m’accueillent dans leur conversation. Le mercier a en fait passé la majeure partie de sa vie à Paris où il était professeur à la Sorbonne. Il a bien connu l’inspecteur d’académie que mon mari a fréquenté au Sahara. De retour en Tunisie pour prendre sa retraite, il a repris le commerce familial à la mort de son père. Cette activité tranquille l'occupe, et lui procure un certain plaisir.
Je trouve enfin le fil parfait mais il est si fin que je ne pourrai rien en faire.
Mon universitaire-mercier se propose de me le torsader en quatre brins et de le bobiner en pelote pour demain. Et ajoute qu’il se fait un plaisir de me l’offrir et qu’un cadeau, cela ne se refuse pas.
Le jour suivant, il me tend la poche en plastique contenant le précieux fil et me glisse à l’oreille : "je vais faire comme le renard du petit Prince, je vais vous confier un secret". C’est ainsi que je me retrouve le long des remparts du Ribat, puis traverse la marina et me retrouve assise au milieu des ruines fantômes de la presqu’île déchiquetée par le vent et les embruns.
Je balaie doucement de la main une petite dépression de sable. Et elle est là, la fameuse mosaïque romaine, miraculeusement préservée avec sa bordure aux entrelacs de cinq couleurs. L'envie m'étreint de l’emmener, de la sauver de l’abandon, de l’indifférence, de la destruction lente qu'opère le temps.
Puis le soleil se fait rasant et la fraîcheur tombe rapidement. Du haut du minaret, le muezzin souffre sa prière. Je recouvre avec précaution la merveille sous le gravier et la rends à l’oubli qui la protège. C'est le moment de rentrer.
Au café Maure, les coussins sont accueillants, le thé à la menthe brûlant et les makrouds dégoulinent de miel : un désastre diététique mais un vrai bonheur pour les papilles. Puisse ma chère Tunisie trouver le bon chemin après le séisme du Printemps arabe.