Berceau des plus grandes civilisations amérindiennes, le Mexique devient la plus puissante des colonies espagnoles, avant de conquérir son indépendance. A travers une histoire tumultueuse, alliée au métissage des cultures, son peuple s’est forgé un caractère à toute épreuve.

Pyramide du Soleil de Teotihuacan - Mexique © Nadine Markova

Pyramide du Soleil de Teotihuacan – Mexique © Nadine Markova

La préhistoire

Alors que le peuplement du continent américain commence au cours de l’ère quaternaire, entre 70 000 et 50 000 av. J.-C., les premiers paléo-Indiens s’établissent au Mexique vers 30 000 av. J.-C., comme en témoignent les os et les pierres taillés découverts à El Cedral, dans le centre du Mexique (Etat de San Luis Potosí), les plus anciens signes de présence humaine dans la région.
Vers 9-7 000 av. J.-C., la plupart des peuplades chassent pour subsister. Mais certaines autres, notamment dans les vallées de Oaxaca et du Chiapas, privilégient la cueillette. Premiers agriculteurs d’Amérique centrale, ils commencent à cultiver un maïs rudimentaire aux environs de 5 000 av. J.-C., ainsi que des haricots, permettant leur sédentarisation progressive. Vers 2500-1500 av.
J.-C., des villages primitifs et l’apparition de poteries marquent la fin de l’archaïsme.

Les civilisations précolombiennes

Dans une méso-Amérique couvrant aujourd’hui le Mexique, le Guatemala, le Honduras et Belize, on distingue quatre grandes zones de peuplement : Mexico et la vallée centrale, la côte du golfe du Mexique, la péninsule du Yucatán et les collines fertiles du sud, de Oaxaca au Guatemala. Les connaissances acquises sur les ancêtres des Mexicains demeurent cependant partielles : 13 000 sites archéologiques ont été recensés au Mexique, dont seulement 1 % auraient été fouillés…

Les Olmèques (1500-600 av. J.-C.)

Considérée comme la mère des civilisations méso-américaines, la culture olmèque apparaît aux environs de 1500 av. J.-C., dans les plaines côtières du golfe du Mexique. Les Olmèques, « hommes du pays du caoutchouc », en langage náhuatl, disposent déjà d’une écriture, comme en témoignent les 400 hiéroglyphes de la stèle de La Mojarra, découverte en 1986 à Veracruz. Ils sont aussi sculpteurs et bâtisseurs de génie et édifient, à La Venta (Etat de Tabasco), la première pyramide de la région, haute de 31 m. Surtout, ils taillent dans le basalte de colossales têtes d’hommes-jaguars, dont la fonction demeure mystérieuse. Au déclin des Olmèques, vers 600 av. J.-C., s’ensuivent plusieurs siècles de silence, au cours desquels aucune grande cité ne se distingue. La population continue cependant de croître, conjointement aux progrès de la poterie et de l’agriculture.

Les cités-Etats de la période classique (200 av. J.-C.- 900)

La construction de Teotihuacán, à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Mexico, et de ses deux grandes pyramides de la Lune et du Soleil, au IIe siècle, marque le début de l’âge d’or des civilisations méso-américaines. La métropole, qui compte jusqu’à 200 000 habitants au VIe siècle, étendra son rayonnement commercial, religieux et artistique, mais aussi politique, jusqu’aux premières cités mayas, dans le nord de l’actuel Guatemala. Aux environs de 750, la ville est détruite par un gigantesque incendie. L’influence de Teotihuacán décline brusquement, d’autres peuples s’émancipent. Dans la vallée de Oaxaca, les Zapotèques (300-900) édifient les centres religieux de Monte Albán et Mitla et brillent par leur maîtrise de l’écriture, de l’algèbre et de l’astronomie. Dans l’Etat de Veracruz, à l’est, El Tajín (400-900), attribué aux Huastèques, glorifie des divinités qui seront reprises par de nombreuses tribus de l’Altiplano. A la même période, naît, dans la forêt du Péten, au Guatemala, la plus illustre des cultures méso-américaines : celle des Mayas.

Le jeu de pelote

Sans doute inventé par les Olmèques, le juego de pelota, ou jeu de balle (tlachtli en langue náhuatl), a été pratiqué par presque toutes les civilisations précolombiennes. Les terrains avaient la forme d’un I ou d’un T, délimités par des murs ornés de bas-reliefs. Deux équipes de joueurs s’y affrontaient pour envoyer, avec leur hanche, leur coude ou leur genou, une balle de caoutchouc à travers un cercle de pierre. Le cérémonial symbolisait le combat entre le jour et la nuit, entre la vie et la mort : la balle, figurant le soleil, ne devait toucher terre, sous peine d’interrompre symboliquement la course de l’astre. A l’issue du match, l’une des équipes avait l’honneur d’être sacrifiée. Gagnants ou perdants, on ignore encore qui goûtait à ce privilège…

Les Mayas (200 – 1450)

Par leurs réalisations architecturales et artistiques, et leurs connaissances astronomiques et mathématiques, les Mayas furent une des plus grandes civilisations de l’humanité. Izapa, à l’extrême sud du Mexique, près de la côte pacifique, en serait le berceau : les premières stèles narratives et pyramides à gradins et toiture en fausse voûte y sont construites aux environs de 200 ap. J.- C. Les Mayas se regroupent dans de petites cités-Etats autonomes : Dzibilchaltun, près de Mérida, Nakbé, au Belize, El Mirador, Copan et Tikal, dans le Péten. Ils excellent en astronomie et en mathématiques (ils connaissent le zéro), tandis que leurs artistes exécutent de magnifiques peintures murales. Celles retrouvées à Bonampak et Palenque sont autant de témoignages exceptionnels sur la vie des souverains, les cérémonies religieuses ou les batailles que se livraient les cités mayas. Leurs rivalités semblent avoir été le moteur d’une forte émulation artistique, chacun voulant surpasser les splendeurs de son voisin.

Ornements temple Maya

Ornements temple Maya By: xelipeCC BY-NC-SA 2.0

Au Xe siècle, l’agriculture intensive et la déforestation, conséquences d’une forte pression démographique, épuisent irrémédiablement les sols. Disettes, guerres fratricides, révoltes paysannes contre un pouvoir totalitaire déciment alors les principales cités du Péten. A la même époque, une armée toltèque venue du centre du Mexique conquiert le nord du Yucatán. Leurs coutumes guerrières insufflent une renaissance artistique aux cités-Etats maya-puuc, dont Uxmal, Mayapan et Chichén Itzá. Un demi-siècle avant l’arrivée des Espagnols, des guerres intestines affaiblissent définitivement les dernières principautés mayas, détruisant notamment leur ultime grande cité, Mayapan.

Le calendrier maya

Les Mayas étaient des astronomes avertis, calculant la révolution du soleil et de la lune sur un calendrier de 365 jours : l’année était divisée en 18 mois de 20 jours, complétée par 5 jours considérés comme maléfiques. Sur ce calendrier s’emboîtait le tzolkin, calendrier rituel comportant 260 jours, rythmé en 13 périodes de 20 jours. L’ensemble s’insérant dans un compte long de cycles de 144 000 jours, qui aidait à connaître le passé et à prévoir les futures éclipses solaires et lunaires. Une arme stratégique pour les prêtres-souverains…

Le post-classicisme et la domination aztèque (900 – 1521)

Un siècle après la chute de Teotihuacán, le centre du Mexique est dominé par une nouvelle civilisation, encline aux guerres et aux sacrifices humains : les Toltèques, qui établissent leur capitale à Tula, dont subsistent aujourd’hui les fameux Atalantes, quatre guerriers géants de basalte noir alignés face au soleil. Au XIIIe siècle, ils sont chassés par les Chichimèques, nomades venus du nord. Dans la vallée de Oaxaca, les Mixtèques effacent les Zapotèques. Au Michoacán, les Tarasques assurent leur puissance régionale grâce à leur habileté à tailler l’obsidienne, pierre de sacrifice, et à travailler le fer. A la fin du XIVe, c’est au tour des Azteca (gens d’Aztlan, leur lieu originel) d’élire domicile dans la vallée centrale, dans une bourgade nommée Mexica. En 1428, l’alliance scellée avec deux cités voisines, Texcoco et Tlacopán, marque le début de l’expansion de Mexico-Tenochtitlán et de l’Empire aztèque. La métropole, qui compte plus de 200 000 habitants, dans une vallée peuplée d’un million d’âmes, est gourmande : les villes soumises doivent payer un tribut à l’Empire, qui reprend et magnifie les avatars des civilisations précédentes : hiérarchie de castes, jeux de balle, temples pyramidaux et sacrifices humains… Lors de l’inauguration du Grand Temple, en 1487, 20 000 prisonniers sont sacrifiés. Face à cette surenchère, la haine qu’éprouvent les autres tribus à l’égard des Aztèques grandit. Seuls les Tlaxcaltèques échapperont à leur joug. C’est sur eux que s’appuiera le conquistador Cortés pour vaincre les armées mexica-aztèques. Une époque s’achève, la colonisation du Mexique peut commencer…

L’arrivée des conquistadors

Le 15 février 1519, le conquistador Hernán Cortés part de Cuba à la tête d’un corps expéditionnaire de 500 hommes armés, 17 chevaux et 10 canons. Il longe les côtes du Yucatán, et affronte des petits groupes mayas hostiles. Le 21 avril, aux environs de l’actuelle Veracruz, il établit un premier contact avec des émissaires du souverain aztèque Moctezuma II. Celui-ci considère le conquérant espagnol, juché sur un cheval blanc, comme une réincarnation de Quetzalcóatl, le Serpent à plumes. Sa méprise lui sera fatale : Cortés l’utilisera pour endormir sa méfiance. Il brise les velléités, de retour à Cuba, de certains de ses soldats en sabordant les galions, et marche vers Mexica-Tenochtitlán. En novembre, alors que ses troupes s’extasient devant les splendeurs de la métropole, le conquistador est reçu par Moctezuma. Leur séjour dure six mois, mais l’hostilité envers les Espagnols grandit. Pour se protéger, le colonisateur emprisonne Moctezuma. Des affrontements inévitables éclatent, Moctezuma est tué, et l’armée espagnole tente de fuir. Les survivants de cette noche triste, la « nuit triste », au cours de laquelle plusieurs centaines d’Espagnols et d’Indiens sont massacrés, parviennent à Tlaxcala, au sud de Mexico. Aidé de près de 100 000 Indiens Totonaques et surtout Tlaxcaltèques, Cortés repart à la conquête de la capitale aztèque. Les canons ravagent la cité, qui tombe après trois mois d’assaut, le 13 août 1521. Capturé, Cuauhtémoc, le dernier empereur aztèque, sera assassiné quelques mois plus tard.

La Nouvelle-Espagne

Sur les ruines de Tenochtitlán se construit la capitale de la Nouvelle-Espagne, baptisée Mexico. Surpeuplée d’Indiens, de soldats et de colons espagnols, elle incarne rapidement l’identité mestiza (métisse) du Mexique. Trois ans plus tard, l’ensemble du territoire aztèque est soumis, et organisé en encomiendas, autant de petites principautés attribuées par Cortés à ses meilleurs soldats, qui peuvent y prélever l’impôt et faire travailler les Indiens. Des villes entières sont transformées en colonies esclavagistes, avec la bénédiction de l’Eglise d’Espagne, qui christianise massivement les indigènes. A partir de 1527, la Nouvelle-Espagne est gouvernée par une audiencia, dont les cinq membres font régner un pouvoir judiciaire et administratif implacable. En 1540, l’ensemble du Yucatán est soumis. Seul territoire échappant, jusqu’au début du XVIIe siècle, au contrôle espagnol : les plateaux semi-désertiques au nord de Guadalajara, où les Chichimèques attaquent le moindre convoi colon isolé. Mais, au fur et à mesure de la découverte de gisements argentifères et de la construction de puissantes cités minières sur les hauts plateaux du Nord-Ouest, la région sera pacifiée. Cette colonisation brutale décime les Indiens : de 20 millions en 1521, ils passeront à 2 millions en 1580. Les missionnaires franciscains et dominicains tentent de prendre leur défense, mais l’évangélisation et la construction de nombreux monastères, parfois fortifiés, permettent aussi au pouvoir espagnol d’assurer son emprise au Mexique. L’esclavage est aboli en 1550, mais la société coloniale fonctionne tel un apartheid : les colons venus d’Espagne, les Gachupines, concentrent tous les pouvoirs, les Criollos (Créoles), Espagnols nés au Mexique, forment la nouvelle bourgeoisie, les Métis grossissent les classes populaires et les Indiens deviennent de véritables hors-castes, soumis à un travail acharné dans les grandes propriétés agricoles et les mines d’argent, d’or ou de cuivre. C’est en soulevant cette population démunie, profondément croyante, qu’au début du XVIIIe siècle les premiers indépendantistes mexicains, notamment des prêtres influencés par les idées nouvelles de la Révolution française, entameront la lutte contre le pouvoir colonial espagnol.

Lorsque Cortés découvrit le chocolat…

Le chocolat était très apprécié des Mayas et des Aztèques. Ils cueillaient les fruits d’un arbre à cacao et fabriquaient une boisson chocolatée qu’ils appelaient xoco-atl, combinaison des termes « mousse » et « eau ». Lorsque Hernán Cortés est accueilli à la cour de Moctezuma, il note que le souverain aztèque consomme du « chocolat froid, agrémenté de vanille et d’épices », un aphrodisiaque, avant de rejoindre son harem… Un breuvage précieux, dont les Espagnols conserveront jalousement le monopole de l’exportation, avant qu’un voyageur italien, Antonio Carletti, n’en découvre le secret en 1606 et en fasse profiter le reste de l’Europe.