Argolide, Arcadie, Laconie, Achaïe, Elide, Magne… tant de régions rivales composent cette paume de terre pleine de doigts qui pelote amoureusement la mer Egée. Le Péloponnèse est la région la plus variée, la plus riche, à condition de goûter également ses paysages, son histoire brutale, et les occasions de baignades qui ne sont pas à dédaigner. Un énorme morceau de Grèce qui ne se croque pas en une seule fois.
Le canal de Corinthe
Une allée de mer de 7 km de long sur 20 m de large. Des parois escarpées comme des pyramides. La forme d’un moule à cake. Des pins y poussent, comme des bonzaïs : depuis que le canal existe, les navires peuvent aller de Patras au Pirée sans faire le tour du Péloponnèse. A l’époque antique, on devait monter les galères sur roues pour les pousser sur une allée. On en voit encore les deux sillons de guidage, au nord de l’ouvrage. C’est Néron qui commença à creuser l’isthme, mais il faudra attendre 1882 pour que le spécialiste du genre, Ferdinand de Lesseps, poursuive le projet. Interrompu par une faillite frauduleuse… sur le canal de Panama, le percement ne sera achevé qu’en 1893. Paradoxe : du temps où elle était encore rattachée à l’Attique, on appelait la région « île de Pélops » (le sens littéral de Peloponisos).
Maintenant que le canal a tranché l’isthme comme une dernière amarre, et qu’avec deux-trois ponts le Péloponnèse est autant une île que l’île de Ré, on dit… la Péninsule !
Loutraki
Située au nord-est du canal, cette station thermale et balnéaire est le fleuron un peu désuet d’un ensemble de plages agréables et familiales situées de part et d’autre de l’isthme de Corinthe.
Corinthe (Korunthos)
Porte du Péloponnèse, Corinthe est un avertissement : sur un kilomètre carré se bousculent histoire antique, byzantine, franque, ottomane – sans oublier le canal, percé au XIXe siècle. Quelques belles villas, quelques églises, des tavernes un peu kitsch aux enseignes d’hoplites ou de Pénélope aguichante… carrefour économique et halte touristique, la Corinthe moderne est d’un intérêt limité. Mais celui qui se focalise sur l’antique peut être déçu, lui aussi : le site archéologique ne vaut ni Delphes, ni Olympie, car de la vieille Corinthe il ne reste guère que les sept colonnes du temple d’Apollon et la fontaine de Pirène. Pour peu qu’on marche un peu, le vrai émerveillement sera la sévère citadelle, l’Acrocorinthe.
La Corinthe antique
Ouvert du mardi au dimanche de 8 h à 19 h, de 8 h 30 à 15 h en hiver. Entrée payante.
Les marchands de souvenirs vous hèlent, mais il y a peu de souvenirs à prendre : ici est morte la civilisation grecque, 146 ans avant notre ère, quand les légions romaines rasèrent la dernière cité hellénique qui résistait pour rebâtir une Corinthe selon leurs goûts. Juste retour des choses, il n’en reste que des échoppes éventrées, un théâtre de taille médiocre, un nymphée abîmé et les portiques décapités du temple d’Octavie.
Le théâtre
A l’entrée du site, à droite.
C’est une reconstruction tardive, réadaptée par les prosaïques Romains pour les combats de bêtes et de gladiateurs. Comme souvent un petit odéon se trouve à proximité.
Le musée
Mêmes horaires que le site.Son entrée fait face au trois colonnes du temple d’Octavie. Il regroupe les vases et objets quotidiens relevés sur le champ de fouilles, dont les vases en terre de Corinthe que la ville antique exportait avec grand profit. Un atrium délicieux expose de nombreux groupes et bas-reliefs liés aux travaux d’Héraclès, qui taquine le lion de Némée sous l’oeil tricéphale de Cerbère le chien – tandis que les têtes multiples de l’hydre font la queue pour tâter du gourdin.
Le temple d’Apollon
Il comptait autrefois 48 colonnes. Seules 7 sont encore debout. Mais plus que ces fûts doriques et orphelins, c’est sa base puissante qui en impose le plus.

Ruins of a fountain © KiltBear
La fontaine Pirène
Cette construction au plan en trèfle est un nymphée, c’est à dire une fontaine monumentale. Elle captait l’eau d’une source, jaillie sous un coup de sabot du cheval Pégase (on la verra sur l’Acrocorinthe). On trouve deux autres fontaines sur le site. L’une servait d’oracle. L’autre est celle où la femme de Jason, Créüse, tenta de calmer les brûlures d’une robe empoisonnée, offerte par la jalouse Médée : l’affaire a été mise en musique par Marc-Antoine Charpentier dans son oeuvre homonyme (1693).
Acrocorinthe : vertiges de l’amour
Au sud-ouest du site archéologique, à 3,5 km par la route qui part à droite de l’entrée.
Installée sur la molaire de roc qui surplombe la ville, l’Acrocorinthe est un but de promenade sportive et délicieuse. Le mont était consacré à Aphrodite, déesse de l’amour. Des prostituées sacrées servaient d’intermédiaires aux pèlerins pour s’unir à la divinité, un rite qui subsiste en Inde, mais qui offusqua l’apôtre Paul lors de son passage en ville.A l’époque des grandes invasions, les Byzantins transformèrent le nid d’amour d’Aphrodite en citadelle à trois enceintes, défendue par une impressionnante haie de tours, et ravitaillée en eau par la fontaine Pirène, la vraie (on y accède par un escalier souterrain). On comprend qu’il ait fallu cinq ans au Champenois Villehardouin pour faire tomber la place. En 1210, il y installe un château fort, avec son donjon, étiré le long de la falaise sud. En 1458, le sultan Mehmet II, conquérant de Constantinople, y ajoute une mosquée cubique, perdue aujourd’hui entre les pierrailles de rues effacées où l’on croise des canons blessés et silencieux.
Un Koh-Lanta antique
Sur douze travaux d’Héraclès, le Péloponnèse en a vu huit. Sur l’isthme de Corinthe, Héraclès fait passer les pléthoriques troupeaux de Géryon. A Némée, il tue le lion et s’habille de sa peau. Au bord du lac Stymphale, il crible de flèches les oiseaux cannibales. A Lerne, il abat l’hydre, monstre marin aux têtes repoussantes (entendez : qui repoussent !). Au sud de Patras, il attrape l’insaisissable biche de Cerynie et vainc le sanglier du mont Erymanthe. Enfin, à côté d’Olympie, il détourne les fleuves pour nettoyer les écuries d’Augias.
Némée
A 30 km au sud-ouest de Corinthe.
De la ville antique, il ne reste que les deux imposantes colonnes d’un temple de Zeus, de style dorique, que des ouvriers musculeux de l’Eforia Arhaiotiton – les Monuments Historiques helléniques – bridgent comme des dents face au troisième millénaire. C’est juste en dessous qu’Héraclès saigne une génisse en l’honneur de son divin père, qui l’a aidé à vaincre le fameux lion.
Le lac Stymphale
A 35 km au nord-ouest de Némée.Sur le plateau, une longue langue de roseaux halète sous la brise : le lac Stymphale, sobre, seulement troublé par les cris lancinants d’inoffensives poules d’eau. Héraclès dut user de claquettes pour débusquer et exterminer les oiseaux mangeurs d’homme.
Epidaure, pour une remise en forme
Ouvert tous les jours de 8 h 30 à 18 h, 15 h le week-end. Entrée payante.
C’est un des clichés de la Grèce, mais quand les senteurs de résine dévalent les gradins, le théâtre d’Epidaure a quelque chose de plus. Les vestiges alentour sont ce qui reste d’un centre de soins parrainé par Asklepios, dieu de la Médecine : un temple qui lui est dédié, un énigmatique édifice circulaire, l’hôpital à quatre cours où logeaient les pèlerins, la fontaine pour la cure, le gymnase et le stade pour la rééducation. Le théâtre était destiné aux thérapies psychiatriques, les pièces jouées – les aventures d’Œdipe ?- tenant lieu de psychodrames. En 1822, la première Assemblée nationale a mis à profit ses 4 000 places assises pour doter la Grèce d’une constitution. Un musée (mêmes horaires, même ticket) présente les objets trouvés pendant les fouilles.
Suivez le guide !
Ne manquez pas le festival Epidauria, qui a lieu de juin à septembre. Les réservations peuvent se faire à Athènes, Odos, Stadiou 4.
L’Argolide
Le nom d’Argolide évoque les stations de Tolo ou Portoheli, bons points de chute pour concilier baignade et culture.
Mycènes
Ouvert tous les jours de 8 h à 19 h, 15 h le week-end, de 8 h à 17 h en hiver. Entrée payante.
C’est une muraille de blocs brunâtres, certains de plus de 20 tonnes, assemblés façon puzzle par les Cyclopes (dit-on), quinze siècles avant notre ère. On y pénètre par la porte des Lions (ou plutôt des Lionnes), dont le fronton représente deux fauves qui se frottent à un pilier. A gauche en entrant, on voit encore la guérite de la sentinelle. En contrebas, un large cercle de murs renfermait une nécropole. Le sommet de la butte est occupé par les fondations du palais. C’est là que logeaient les Atrides, cette famille décimée par les querelles vengeresses, et qui inspira des tragédies à Eschyle et Euripide. Au sud, la terrasse était certainement la salle à manger (mégaron), destinée à quelque symposion – réception. Au nord, dans l’épaisse muraille, s’ouvre une citerne. On y descend par un escalier. C’est sans doute dans ce bunker discret que se cachait Eurysthée, commanditaire des fameux « travaux » pour attendre Héraclès dont la force physique le faisait trembler.Suivez le guide !Pour descendre dans l’intéressante citerne de Mycènes, il faut prévoir des chaussures pas trop glissantes et une lampe de poche.
Les tombeaux
Découvreur de Troie, et aussi de Mycènes, Schliemann avait des lettres : il attribua à un personnage « historique » chacun des tombeaux. Le premier, dépourvu de toit, au pauvre Egisthe, le second à Clytemnestre – réservant à Agamemnon le plus vaste. Tous ont la même structure : allée d’accès, porte à linteau surmonté d’une lucarne triangulaire, crypte hémisphérique. On suppose qu’il s’agissait non de sépulcres individuels, mais de familles de haut rang.
Le « Trésor »
A l’aplomb de la porte des Lionnes, se trouve un ample cercle de murs. On en a extrait de l’or par kilos, au point qu’on crut avoir affaire au trésor de la vieille cité. La découverte de squelettes prouva qu’il s’agissait plutôt d’attributs funéraires. Tous sont exposés… au musée archéologique d’Athènes. Le plus médiatisé est ce masque mortuaire masculin – qu’on tint à attribuer au roi barbu Agamemnon !
Le tombeau d’Agamemnon
Sur le côté droit de la route, lorsque l’on quitte Mycènes pour descendre vers le sud. Mêmes horaires que Mycènes. Entrée payante.Egalement surnommé « Trésor d’Atrée », cette tombe a donc la même structure que celle de Clytemnestre. Après la porte, dont le linteau pèse plus de 100 tonnes, on débouche sur cette belle chambre voûtée en cul de four qui résonne sourdement. L’archéologue allemand découvrit à l’intérieur de nombreux objets précieux
Argos
La puissante capitale de l’Argolide ne nous a guère laissé pour vestiges qu’un théâtre et un odéon, en état très moyen. C’est ici que Pyrrhus, roi d’Epire est tué, par une tuile lancée par une vieille femme. Maintenue par les Byzantins, l’ancienne cité est déchue par les Francs, qui favorisent Nauplie. En 1822, elle est incendiée par les Turcs, qui mènent rudement la répression en Argolide. La ville martyre a été reconstruite, selon les plans carrés d’architectes bavarois.
Le château de Larisa
Les tours sont fendues. La muraille est éventrée. Le dimanche, les familles viennent cueillir par brassées entières la camomille pour les tisanes. Cette double ceinture de fortifications a été amorcée par les Byzantins, sur des éléments antiques. La colline était trop stratégique : le frourion grec devint château fort franc, castro vénitien, kale turc – progressivement mis au parfum de l’ère des poudres à canon.
La pyramide d’Ellinikon
Au sud-ouest d’Argos. Entrée libre.Rescapé des incendies récents, le village d’Ellinikon a un monument insolite : cette mystérieuse pyramide de gros blocs grossiers, percée d’une porte. Elle serait le mausolée des soldats tombés pour la défense d’Argos, lors d’une offensive du XIVe siècle avant notre ère. Certains y voient plutôt un ouvrage à vocation défensive, dont le nom de pyramide serait d’ailleurs usurpé – car rien ne prouve que le sommet, disparu dès longtemps, ait été en pointe !
Kefalari
A 5 km au sud-ouest d’Argos.
C’est un peu le Chenonceau hellénique, site unique et inattendu. Il s’agit d’un monastère, Zoohodos Pigi (c’est à dire « source de vie »), juché sur cette rivière bruissante, qui actionnait des moulins qu’on voit encore. Une passerelle délicate invite au lyrisme. A proximité, des grottes servirent de quartier général aux francs-tireurs soulevés contre les Turcs.
Nauplie
Que nul n’entre à Nauplie s’il n’aime l’histoire militaire. Avec son arsenal à arcades et ses trois forteresses vénitiennes, étagées sur les deux collines qui se font face, Nauplie symbolise la sanglante marche de la Grèce vers sa liberté. Capitale de la Grèce indépendante de 1821 à 1834, elle voit (sur le parvis de l’église Saint-Spiridon) l’assassinat du premier chef d’Etat, Capo d’Istria. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Nauplie, offre aussi des rues couronnées de roses, des places aérées ouvertes sur la mer, le doux front de mer bordé de tavernes à poissons, la plage secrète d’Arvanitia, ou une romantique excursion au fort marin du Bourtzi, accessible en caïque à la belle saison.
L’Acronauplie (Akronavplia)
C’est la citadelle ancienne, à visiter avant de monter au fort Palamède. Cette acropole antique a reçu des améliorations des Byzantins, des Francs et des Vénitiens qui ont pratiqué les ajouts sur le mode de la poupée russe. C’est depuis la dernière des trois enceintes qu’on a la meilleure vue sur l’écrasant fort Palamède, en face.
Fort Palamède
Ouvert tous les jours de 8 h à 19 h, 15 h le week-end, de 8 h à 17 h en hiver. Entrée payante.
Le fort Palamède, au-dessus de la cité, conserve ses sept bastions que les Vénitiens conçurent pour le rendre inexpugnable, et que les Turcs prendront… en se faisant la courte échelle ! On y trouve un cachot, des magasins de vivres et des escaliers éreintants, surtout si, dépourvu d’automobile pour gagner l’entrée du plateau, on doit grimper les 216 m, depuis la porte de Mer, dans la ville basse.
Le Bourtzi
Il est à Nauplie ce que le fort Sainte-Marguerite est à Marseille… A la belle saison, on y accède par bateau. Construit en 1473 pour défendre l’entrée de la rade, il se compose d’une grosse tour hexagonale jadis dotée de canons sur trois niveaux. Suivant les contours de l’îlot, l’enceinte évitait qu’on puisse y prendre pied.
Lerne (Lerna)
A 20 km de Nauplie.
Le site antique est un décevant damier de ruines. C’est dans l’onde voisine que l’hydre tortillait son corps à neuf têtes. Vous en coupiez une, et neuf autres jaillissaient de la blessure. Digne précurseur d’Ambroise Paré, Héraclès demande à son assistant de cautériser au fur et à mesure. Aujourd’hui, c’est une longue plage avec son cargo éventré.
Le monument aux Philhellènes
Odos Potamianou. Entrée libre.
Ancienne mosquée, l’église catholique de Nauplie conserve dans le marbre la liste de 450 philhellènes tombés pour la Grèce : des comtes, des lords, des dottore, morts de 34 blessures, de fièvre, ou… de l’explosion de leur pistolet.
Fondation du folklore du Péloponnèse
Odos Alexandrou, 1. Ouvert du mercredi au lundi de 9 h à 14 h 30. Entrée payante.
17 000 objets et pièces de costumes recueillis dans toute la péninsule et, à l’occasion, dans toute la Grèce.
Ouzo et raki
Un Grec n’aime pas qu’on compare sa boisson nationale au raki turc. C’est pourtant la même, qu’on retrouve de l’Espagne au Liban : eau de vie distillée en présence d’anis étoilé. Le mot « ouzo » lui-même est d’origine italienne : pour que les Grecs puissent exporter leurs bouteilles sans heurter le tabou islamique, les douaniers turcs, arrangeants, demandaient qu’on inscrive sur les caisses « all’uso di Marsiglia » (« à l’usage de Marseille »). Transcrit en grec, « uso » devint « ouzo ».
La part du lion
Les lions ont envahi tout le Péloponnèse. Il y a déjà ceux, avec l’Evangile ouvert, qui symbolisent l’évangéliste Marc – et enchâssés par les Vénitiens dans le rempart de toutes leurs places fortes. Il y a ceux de Mycènes, usés par le temps et les cartes postales, et celui de Némée. Qu’on le croie ou non, le lion faisait bien partie de la faune locale. Il s’agissait du lion d’Asie, espèce plus petite que celle d’Afrique, moins fournie en crinière, et vivant dans les bois. Il en reste 300 spécimens pieusement gardés dans une réserve du Gujerat, en Inde.
Tirynthe
A 4 km au nord de Nauplie. Ouvert du mardi au dimanche de 8 h 30 à 15 h. Entrée payante.
Moins connue mais plus attachante, cette cité contemporaine de Mycènes dort comme un gros chat au milieu des vergers. C’est la cité fortifiée du pleutre Euristhée, employeur d’Héraclès pour ses douze travaux. La visite met en évidence la solidité des murs, si épais, qu’on a pu y aménager des chambres de tir (à l’arc). Ce sont les premières connues dans le domaine immémorial de l’art militaire. Elles permettaient de tirer à travers une épaisseur inférieure avec un angle de tir plus large qui gênait davantage l’approche.