
Mexico, les Beaux-Arts – Mexique © Carlos Sanchez
La lutte pour l’indépendance
Alors que Napoléon Bonaparte envahit l’Espagne, en 1808, les rébellions se multiplient au Mexique, fomentées par des prêtres criollos et parfois soutenues par les richesses de l’Eglise. Le 15 septembre 1810, le prêtre Miguel Hidalgo y Costilla, lance son « cri de dolorès » : « Mes enfants, voulez-vous être libres ? Voulez-vous faire l’effort de reprendre aux Espagnols honnis les terres volées à vos aïeux il y a 300 ans ? Vivent les Amériques ! Mort aux Gachupines. » La foule devient vite une armée rebelle, s’emparant des villes de Zacatecas, San Luis Potosí et Valladolid, mais bute sur l’armée espagnole aux environs de Mexico. Hidalgo est fait prisonnier et exécuté, mais un prêtre métis, José María Morelos y Pavón, prend la tête des rebelles. Mexico résiste plusieurs mois, alors qu’un premier gouvernement indépendantiste s’esquisse autour de Morelos et de Vicente Guerrero. En 1813, un congrès à Chilpancingo proclame l’indépendance et abolit les différences raciales. En 1814, la Constitution d’Apatzingan proclame la création de la République du Mexique. Morelos meurt au cours d’une embuscade, en 1815. Les troubles se poursuivent entre loyalistes et indépendantistes jusqu’en septembre 1821, lorsque le vice-roi de la Nouvelle-Espagne, Agustín de Itúrbide, tourne le dos à l’Espagne et officialise l’indépendance. En échange, il devient empereur du Mexique. Son règne ne dure que deux ans, avant qu’un coup d’Etat n’établisse une république fédérale sur le modèle des Etats-Unis, administrant le pays en 19 Etats et 4 territoires. C’est le début d’une longue période d’instabilité politique. Les caudillos se succèdent à un rythme aussi sanglant qu’effréné : l’un d’entre eux conservera le pouvoir à peine une heure avant d’être assassiné…
Santa Anna, président à répétition (1831-1855)
En 1829, à la faveur d’une prise de pouvoir par Guerrero, les dernières troupes espagnoles sont chassées du Mexique par l’armée du général Antonio López de Santa Anna. Ambitieux et démagogue, auréolé de prestige militaire, Santa Anna renverse Guerrero en 1831 et l’exécute. Il devient président en 1833, et se fait réélire 11 fois, jusqu’en 1855, à la faveur des joutes politiques entre libéraux et conservateurs. Surtout, il engage le Mexique dans plusieurs guerres contre les Etats-Unis, perdant à chaque fois une partie de ses territoires du Nord. En 1836, après la célèbre bataille de fort Alamo, le Texas échappe au contrôle mexicain. En 1848, le traité de Guadalupe Hidalgo cède définitivement le Texas, le Nouveau-Mexique et la Californie aux Etats-Unis. En 1853, l’Arizona est vendu pour 10 millions de dollars. La révolution d’Ayutla, conséquence de cette cession, met le vieux général définitivement hors jeu en 1855.
Benito Juárez, le réformateur (1855-1871)
En 1854, le Plan d’Ayutla, rédigé par un gouvernement provisoire, entame le Mouvement de la Réforme. Celui-ci, prônant une abolition des privilèges, notamment du clergé, provoque une scission politique entre libéraux, partisans des réformes et conservateurs. Elle entraîne une guerre civile de cinq ans, dont les libéraux sortent vainqueurs.
En 1861, un Indien Zapotèque, Benito Juárez, cheville ouvrière de la Réforme, est élu président. Mais il hérite d’un pays en ruine, qui ne peut plus honorer sa dette extérieure. En représailles, la France convainc l’Angleterre et l’Espagne d’envahir le Mexique. Leurs troupes débarqueront à Veracruz, mais seules les armées coloniales de Napoléon III poursuivront leur avancée.
L’empereur français veut porter l’archiduc Maximilien de Habsbourg sur le trône mexicain, et contrer ainsi l’expansionnisme américain. Soutenu par les conservateurs et l’armée française, l’empereur Maximilien 1er et son épouse, l’impératrice Charlotte, parviendront à Mexico le 12 juin 1864, tandis que Juárez et son gouvernement s’exilent dans le nord du pays. Soumis à la pression militaire américaine, Napoléon III retire ses troupes deux ans plus tard. Les troupes libérales de Juárez vainquent les derniers fidèles de Maximilien, qui est fusillé contre un mur de Querétaro, le 19 juin 1867. Désormais au pouvoir, Juárez entame enfin ses réformes économiques et éducatives, et entraîne le Mexique dans l’ère industrielle.
Le Porfiriato et l’industrialisation mexicaine (1872-1911)
Porté par une popularité gagnée dans ses batailles contre les Français, le général José de la Cruz Porfirio Díaz prend le pouvoir en 1876. Commence alors un règne dictatorial de trente ans : le Porfiriato, synonyme d’ordre et de progrès. Le Mexique s’équipe de voies ferrées, du téléphone et du télégraphe, la prospection minière et pétrolière attire les investisseurs étrangers, tandis que toute tentative d’opposition politique est fortement réprimée.
S’inspirant des grands travaux haussmaniens, à Paris, Mexico devient la « ville-lumière des Amériques ». Mais les inégalités sociales se creusent, attisant le syndicalisme et les idées révolutionnaires dans les milieux ouvriers et agricoles. En 1908, un réformateur, Francesco Madero, prône la restauration de la démocratie et se présente, contre Porfirio Díaz, aux élections présidentielles de 1910. Díaz le fait arrêter, mais celui que l’on appellera le Léon Blum mexicain parvient à s’échapper et appelle le peuple aux armes, le 20 novembre 1910. La révolution est en marche.
La guerre des pâtissiers
En 1838, sous prétexte de porter assistance à certains de ses ressortissants, pâtissiers de profession, qui réclament à des Mexicains le paiement de certaines dettes, un escadron de la marine militaire française bombarde le port de Veracruz et s’empare du fort de San Juan de Ulua. Les Français sont chassés quelques semaines plus tard, mais cet épisode restera connu sous le nom de « guerre des pâtissiers ». L’armée de Napoléon III débarque à nouveau en 1862, mais est battue à Puebla par l’armée mexicaine, le 5 mai 1862. Un jour de fête nationale au Mexique.
La Révolution mexicaine
Alors que l’armée conservatrice de Díaz réprime brutalement les madéristes à Mexico, les paysans sans terres se soulèvent contre les hacendados, les grands propriétaires terriens. Dans l’Etat de Morelos, les peones sont emmenés par un des leurs, Emiliano Zapata, qui devient chef suprême du mouvement révolutionnaire du Sud. A Cuidad Guerrero, des mineurs armés forment les « Drapeaux rouges », commandés par un ancien cheminot, Pascual Orozco, qui s’allie avec la bande d’un voleur de bétail, Pancho Villa. Leurs méthodes de guerrilla – mobilité, intrépidité et surprise – déciment les contre-attaques de l’armée fédérale. Ils pillent les casernes de leurs armes et se retirent avant l’arrivée de renforts. Bientôt, Cuidad Juárez tombe aux mains de Pancho Villa, et Zapata prend le contrôle du Guerrero. Les Etats-Unis soutiennent Madero, contraignant Díaz à s’exiler à Paris. Madero est élu président le 6 novembre 1911, mais s’avère un piètre chef d’Etat. Le 9 février 1913, un coup d’Etat militaire fait vaciller Madero. Celui-ci appelle à la rescousse le général Victoriano Huerta, un proche de Díaz, qui négocie secrètement avec les généraux putschistes. Aussi félon que brutal, Huerta fait assassiner Madero, son frère Gustavo et le vice-président Pino Suárez, et prend le pouvoir. Une dictature implacable s’installe, mais la révolution ne fait que commencer.
Les alliances impossibles (1913-1926)
D’étranges alliances se nouent. Orozco rallie Huerta, et aide les troupes fédérales à combattre Pancho Villa, qui a repris les armes. Il attaque les trains, qu’il utilise pour acheminer troupes et armes. Le 14 novembre 1913, la garnison de Ciudad Juárez reçoit un télégramme annonçant l’arrivée d’un convoi de troupes fraîches. Le train sert en fait de cheval de Troie à Villa et sa célèbre Division du Nord, qui conquièrent la ville en quelques heures. Pendant les six premiers mois de 1914, les rebelles s’approchent irrémédiablement de Mexico : Zapata gagne du terrain au sud et au nord, Villa reçoit l’aide opportune du gouverneur de l’Etat de Coahuila, Venustiano Carranza, et des troupes du général Alvaro Obregón, qui contrôle le nord-ouest du pays. Le 23 juin 1914, Zacatecas tombe aux mains de Villa, à l’issue d’une bataille stratégique contre Orozco et les fédéraux. Deux semaines plus tard, Obregón s’empare de Guadalajara. Huerta fuit le Mexique, déclenchant entre les nouveaux maîtres du pays une sourde bataille pour le pouvoir. Le 6 décembre, Villa et Zapata et leurs soldats défilent dans les rues de Mexico, mais les deux héros retournent bien vite dans leurs campagnes, écœurés par les intrigues politiques. Pendant plusieurs années, les rebelles se retranchent dans leurs montagnes, échappant à tout contrôle fédéral, tandis qu’à Mexico Carranza accède à la fonction suprême. Le 10 avril 1919, Zapata tombe dans un piège mortel. Villa dépose les armes et négocie une retraite méritée dans une hacienda. Mais, le 23 juillet 1923, il est assassiné dans les rues de Parral, petite ville du nord.
La révolte des Cristeros (1926-1929)
Le Mexique, las de tueries, se stabilise pendant une poignée d’années. Obregón succède à Carranza à la présidence, suivi de Plutarco Calles. Mais ces politiciens réformistes se trouvent un nouvel ennemi : l’Eglise, qu’ils accusent de conservatisme réactionnaire. Les francs-maçons, qui dominent les affaires et la politique, considèrent le culte comme « une affaire de bonnes femmes ». La propagande anticléricale se fanatise : « La Révolution doit guillotiner les curés avant que les curés ne guillotinent la Révolution », lit-on sur des affiches. En juillet 1926, le gouvernement promulgue la loi Calles, qui met au pas le clergé. Sur ordre de l’épiscopat, les prêtres cessent d’officier. Pour le fervent peuple des campagnes, la situation est inacceptable. Le 1er août, une insurrection paysanne se rallie au cri de « Christ-Roi » et gagne les Etats du Centre. Les Cristeros sont insaisissables, pratiquant la guerrilla dans les campagnes et le terrorisme en ville. Obregón, redevenu président le 1er juillet 1928, est assassiné le 17, lors d’un banquet, par un jeune étudiant catholique. Le gouvernement se résout à négocier avec l’Eglise. Le 22 juin 1929, la signature des Arreglos (arrangements) aboutit à la réouverture des lieux de culte et au désarmement des Cristeros, avec la bénédiction du pape Pie XI, qui n’a jamais soutenu la Christiade. Des centaines d’insurgés sont aussitôt fusillés. Après trois ans de silence, les cloches des églises mexicaines sonnent à nouveau le dimanche 30 juin 1929. La guerre civile s’achève enfin. Depuis 1911, elle aura fait près de un million de morts.
La révolution institutionnalisée
L’élection du général Lázaro Cárdenas (1934-1940) achève le règne quasi dictatorial de Calles. Conciliateur, populaire et populiste, Cárdenas va remettre le Mexique sur la voie du progrès. Il institutionnalise la politique, organise l’administration, nationalise le pétrole et lance une réforme agraire. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’industrie nationale tourne à plein régime, favorisant la croissance économique. En 1946, le parti national révolutionnaire, créé par Calles en 1929, devient le PRI, parti révolutionnaire institutionnel. Symbolisant la continuité politique, le PRI va régner pendant soixante-dix ans sur la vie politique mexicaine, fournissant au pays tous ses présidents et la majorité absolue aux assemblées.
A l’ombre de son puissant voisin américain, le Mexique profite de la stabilité économique mondiale. Mais les mouvements révolutionnaires des années 1960, notamment l’arrivée de Castro à Cuba, influencent le milieu ouvrier et paysan mexicain. Le président Adolfo López Mateos (1958-64) réprime violemment les grèves de 1958-59. Son successeur, Gustavo Díaz Ordaz (1964-70), tente de gérer un pays qui s’enfonce dans la violence et les problèmes économiques, tandis que le fossé entre les campagnes et la classe moyenne urbaine se creuse.

Emiliano Zapata By: Carney Lentz – CC BY-NC-SA 2.0
La mort d’Emiliano Zapata
Au printemps 1919, le général Gonzalez, qui combat les paysans-soldats de Zapata, ridiculise en public un de ses adjoints : le colonel Guajardo déserte l’armée fédérale et rejoint les rangs du paysan rebelle. Les deux hommes se rencontrent, s’apprécient, et Guajardo invite Zapata à déjeuner, le lendemain. Comme convenu, le 10 avril 1919, Zapata se rend à la hacienda de Chinameca. Dans la cour, les soldats de Guajardo lui rendent les honneurs. Et l’abattent, à bout portant. Les félonies ont vaincu l’incorruptible « Attila du Sud », mais son esprit révolutionnaire souffle encore aujourd’hui, chez les guerrilleros « zapatistes » indiens du sous-commandant Marcos, au Chiapas…
De Echeverria à Fox
Sous la présidence de Luis Echeverría (1970-76), les bidonvilles de Mexico enflent et la dette extérieure augmente. Les riches gisements de pétrole du golfe du Mexique entretiennent le mirage du développement. Mais, la crise pétrolière de 1981 entraîne la nation dans une quasi-banqueroute. La chute inexorable est aggravée par le tremblement de terre de Mexico, le 19 septembre 1985, qui fait plus de 20 000 morts et des dizaines de milliards de francs de dégâts matériels. Le FMI impose rigueur et dévaluations et le Mexique retrouve doucement le chemin de la croissance, sous la présidence de Salinas de Gortari (1988). L’accord de libre-échange avec le Canada et les Etats-Unis (ALENA) est signé, la croissance reprend, jusqu’en 1994, le candidat du PRI et le secrétaire général, refusant de continuer à protéger les cartels de drogue qui acheminent la cocaïne colombienne vers les USA via le Mexique, sont assassinés. La collusion entre les trafiquants et le pouvoir s’exposent au grand jour. 1995 est l’année de tous les dangers. Au sud, la guerrilla zapatiste fait vaciller le pouvoir, tandis que la dévaluation et la fuite de capitaux plongent le pays dans la crise. Après cinq ans de rigueur, le Mexique relève la tête. Vicente Fox, candidat du PAN, est élu président en 2000, mettant fin à 71 ans d’hégémonie du PRI. Les zapatistes soutenus par les altermondialistes, organisent en 2001 une grande marche du Chiapas à Mexico. Fox, conciliateur, autorise le souscommandant Marcos à prononcer un discours à l’Assemblée Nationale, et des amendements constitutionnels améliorant le sort des minorités indiennes sont votés. Mais les inégalités demeurent criantes dans les campagnes et les potentats locaux continuent d’exercer leur pouvoir violent.
La victoire aux élections présidentielles de 2006 de Felipe Calderon Hinojosa, du PAN (Parti d’Action Nationale, droite), entachée de fraudes, a provoqué de graves troubles politiques et sociaux. Symbole de la lutte contre les inégalités mexicaines, l’insurrection populaire de 2006 et début 2007 à Oaxaca, réclamant une meilleure valorisation des instituteurs et le départ du gouverneur local corrompu Ulises Ruiz, a été matée par la police dans le sang et les larmes. Enfin depuis début 2007, l’Etat a déclaré une guerre totale contre les « narcotrafiquants », le trafic de drogue générant une économie parallèle de plus en plus puissante, alimentant corruption et inégalités : tous les jours, cette guerre fait des dizaines de victimes.