
Kunming, Yunnan © Hector Garciae
« La province chinoise du Yunnan […] est incontestablement l’un des pays les plus pittoresques du globe », lit-on, dans les années 30, sur les dépliants de la Compagnie française des chemins de fer de l’Indochine et du Yunnan (CIY), créée le 10 août 1901 pour relier Hanoi à Kunming. La CIY avait besoin de rentabiliser la voie ferrée la plus coûteuse du monde, mais sa réclame était fondée car, ce qui attend le voyageur au « sud des nuages », c’est une anthologie de paysages des marches tibétaines aux portes du monde thaï.
Kunming, une cité bien tempérée
Longtemps reléguée comme une lointaine agglomération provinciale, Kunming est désormais une métropole qui rime avec aisance sur dynamisme économique et pôle culturel. Atout majeur, sa tempérance : dans la « cité de l’éternel printemps », des étés frais succèdent à des hivers cléments.
Balade dans le centre
Le 1er et le 15 de chaque mois lunaire, une foule nombreuse vient brûler de l’encens au temple Yuantong. Au bout de l’allée de cyprès, un pavillon est posé sur l’eau devant une salle sculptée à profusion. Même restauré par Wu Sangui, général qui pacifia le Sud sous les Qing, le temple bouddhique garde la sobre élégance de sa fondation au VIIIe siècle.
Plus au sud, en longeant la rue Guanghua, encore bordée de quelques façades en bois, on débouche sur le marché des amateurs d’oiseaux chanteurs et des collectionneurs de poissons d’or.
Trente coffres en bronze pour serrer des coquillages qui servaient de monnaie, aux couvercles animés de scènes non déchiffrées, c’est le legs de l’antique royaume de Dian (IVe-IIe siècle av. J.-C.), présenté au Musée municipal (ouvert du mardi au dimanche de 9 h à 17 h. Entrée payante).
Sur les collines boisées des faubourgs nord
Le parfum des cyprès flotte sur la colline du Temple d’Or (à 11 km de Kunming), pavillon en bronze ciselé, posé sur un piédestal en marbre et élevé en l’honneur du dieu de l’Etoile polaire.
Au bout d’une pente raide, au fil des cours ombragées de magnolias du temple des Bambous (à 12 km au nord-ouest de Kunming), on pénètre dans l’assemblée de 500 statues de disciples de Bouddha, modelées au XIXe siècle.
Les berges du lac Dian
« Mer de nuages, forêt de pierre », dit une stèle du XVIIe siècle des panoramas des monts de l’Ouest(à 17 km à l’ouest de Kunming). Au temple du Pavillon majestueux, le jardin est tout embrumé d’encens. Un énorme ginkgo croît depuis le XVe siècle à l’entrée du temple de la Splendeur suprême, adossé à la montagne. 1 300 marches (ou un télésiège) grimpent au pavillon des Trois Purs. Encore un escalier abrupt se faufilant dans une étroite corniche, et c’est la porte du Dragon, fenêtre rocheuse sur le lac Dian, mer intérieure qui s’étend sur 40 km.
Toutes les clés des peuples du Yunnan
Elles sont au Musée ethnographique (à 10 km au sud-ouest de Kunming. Ouvert du mardi au dimanche de 9 h à 17 h. Entrée payante). Textiles et travaux d’aiguilles, totems et tabous : pour tout savoir sur les Sani, les Yi, les Hani, les Dai, les Bai et les Naxi.
Shilin, la « forêt de pierre » de Lunan
A 126 km à l’est de Kunming.
Il y a deux cent soixante-dix millions d’années, la forêt de pierre gisait sous la mer. L’érosion en a fait un dédale de roches étranges, de reliefs chaotiques, d’aiguilles et de drapés. Toutes affublées de noms comiques ou poétiques, ces curiosités naturelles, qui font du site le plus fréquenté de ceux du Yunnan, se visitent le long d’un parcours de 2 km, aménagé sur 80 ha. A la lisière vit le peuple des Sani, qui célèbre sa fête annuelle, la 24e nuit du 6e mois lunaire, en s’assemblant dans la forêt à la lueur de torches.
Jianshui, microcosme d’architecture chinoise
A 214 km au sud de Kunming.
Au XIVe siècle, les impériaux firent de Jianshui une importante garnison sur la route du Viêt-nam. Ses remparts ont disparu, mais la Porte face au soleil garde encore l’entrée est de la cité. Au fil des rues resurgit le passé intact de la colonie chinoise : les jardins de la Famille Zhu dont galeries et portes desservent 42 cours, un majestueux temple des Lettrés dédié à Confucius en 1325, le plus grand conservé en Chine, et encore quelques détails, linteaux sculptés ou façades en bois.
A 3 km à l’ouest, les 17 arches d’un pont du XVIIIe siècle enjambent deux rivières dont c’est le confluent. Encore 13 km, et c’est Tuanshan, lacis de ruelles autour de belles résidences dont les cloisons ciselées et les treillis de fenêtres tamisent la lumière.
La grotte des Martinets(à 30 km à l’est de Jianshui), antre ouvrant sur un monde de rêve, 10 000 m2 de concrétions éclairées de couleurs, était déjà vantée dans les dépliants de la CIY.
Et l’eau sculpta la pierre
Cônes, cheminées de fées, aiguilles rocheuses, pitons solitaires, troupeaux de collines ou forêts de pierre, toutes ces fantaisies calcaires sont nées de la mer. Il y a des millions d’années, la sédimentation marine a laissé en Chine du Sud une couche épaisse de dépouilles de coquillages, fracturée par les mouvements de la croûte terrestre. Au retrait de la mer succédèrent l’érosion par les eaux pluviales et la dissolution par les rivières souterraines, creusant un fantastique réseau de grottes et de cavernes. Celles-ci se sont parfois effondrées, isolant des pitons, ravinés et sculptés à leur tour. Les géologues nomment karst ce phénomène né des caprices de l’eau. Le plus grand traverse en écharpe le sud de la Chine pour mourir dans les eaux de la baie d’Along.
Les escaliers du ciel à Yuanyang
A 108 km au sud de Jianshui.
Par-delà la vallée encaissée du fleuve Rouge, dix, 100, 1 000 rizières s’étagent en terrasses autour du bourg de Yuanyang. Façonnées depuis des générations par les Yi et les Hani qui vivent dans les villages aux maisons de pisé environnants, les rizières inondées reflètent le ciel quand brille le soleil du printemps. Une invitation à toutes les randonnées dans un paysage recomposé.
Suivez le guide !
Muni d’un visa, embarquez dans le train pour le Viêt-nam à Kaiyuan (à 86 km de Jianshui). A 20 km/h, vous profiterez du paysage ou vous lirez les pages de Lucien Bodard consacrées à cette voie ferrée construite par les Français.
Suivez le guide !
Prenez la route de l’ouest le dimanche, jour de marché à Menghun(à 80 km de Jinghong) : vous croiserez les Dai en jupe-fourreau, fleurs au chignon, les Hani vêtues d’indigo avec leur bonnet à piastres ou les Bulang aux cheveux drapés de rouge.
Le Xishuangbanna
A 710 km au sud-ouest de Kunming.
Banna, « 10 000 rizières » : c’est ainsi que les princes thaïs recensaient leurs terres. Ici, dans le haut Mékong (Lancan jiang), à la frontière de la Birmanie et du Laos, il y avait jadis 12 banna, 120 000 rizières, domaines du seigneur d’un peuple cousin que les Chinois appellent Dai. Pamplemousses parfumés et ananas juteux, bananes et papayes, mangues et noix de coco, cacao et caoutchouc, toute la flore de l’Asie des moussons croît dans ce petit paradis tropical.
Jinghong, capitale de cette préfecture autonome des Dai, n’est pas particulièrement jolie, mais on s’y loge à tous les prix et on s’y régale de cuisine pimentée et parfumée dans les restaurants traditionnels du quartier de Manjinglan.
A l’ouest de Jinghong, dans les monts Nannuo
Autour de Menghai(à 53 km), dont le marché s’anime chaque matin, on cultive l’un des meilleurs thés chinois, le pu’er. D’ailleurs, c’est dans ces collines que poussent encore les théiers sauvages, arbres géants ancêtres de tous les thés du monde. Le pavillon octogonal de Jingzhen(à 69 km) fut édifié au XVIIIe siècle pour tenir lieu de salle du chapitre au monastère attenant. Ses murs rouges ornés au pochoir de motifs or et sa toiture scintillante où tintent des clochettes contrastent avec la mise sobre des moines au crâne rasé, qui vont drapés de la robe safran. En pays dai, on obéit aux prescriptions de l’école bouddhique du Theravada, adoptée dans les pays voisins, très différente du bouddhisme du Grand Véhicule des Chinois.
Ganlanba, le bassin de l’Olive
Sur les rives du Mékong, Menghan(à 37 km au sud-est de Jinghong) est le chef-lieu d’un petit condensé de vie rustique à la mode dai. Dans les villages alentour, ce sont maisons sur pilotis enfouies sous d’immenses toitures, puits ornés d’éléphants et de miroirs, monastères en bois où les bonzillons vont à l’étude.
Le jardin botanique de Menglun
A 85 km à l’est de Jinghong.
Une presqu’île sur un affluent du Mékong, des orchidées, des palmiers, des bambous, des plantes médicinales et d’autres encore aux noms savants composent ce laboratoire de l’Institut de recherche sur les plantes tropicales. A l’écart des allées disciplinées, le jardin contient un sanctuaire de la vie végétale, pan de la forêt tropicale primitive protégé sur 80 ha.
Dali, à la rencontre des Bai
A 412 km au nord-ouest de Kunming.
Etiré sur 40 km entre les crêtes des Cang shan, le lac Er est une manne pour les Bai de Dali. Rive ouest, on cultive ses berges fertiles. Rive est, on pêche dans ses eaux poissonneuses. Les Bai y ont d’ailleurs construit leur histoire en établissant un royaume bouddhiste, allié de la Birmanie, au Xe siècle.
Er hai, un lac en forme d’oreille
En embarquant sur un confortable bateau de croisière ou le simple canot d’un pêcheur, on croise toute une vie lacustre au fil des jonques à voile carrée et des cormorans mélancoliques juchés à la proue des bateaux. Mer intérieure, le lac a ses îles. Un petit temple dédié à la triade de la Réussite sur l’îlot de la Navette d’or, un autre dédié à Guanyin sur l’île de Putuo, offrent au regard l’écrin montagneux de Dali.
Rive ouest : trois pagodes et quatre bourgs
Toujours à l’abri de son rempart, Dali est une cité du XIVe siècle. Au détour de ses rues en damier, on trouve façades en pierre cachant des cours fleuries, modestes restaurants improvisés au jardin et même un petit musée (ouvert du mardi au dimanche de 9 h à 17 h. Entrée payante), logé dans la résidence d’un lettré devenu souverain de l’éphémère sultanat de Dali au XIXe siècle. Immaculées, trois pagodes du Moyen Age pointent le ciel (à 3 km au nord).
Xizhou(16 km plus loin) était le quartier général des négociants de Dali, enrichis grâce au commerce du thé avec les Tibétains. On reconnaît leurs demeures à un élégant portail, à deux auvents retroussés, estampillé de cartouches peints ou inscrits.
Zhoucheng (à 6 km de Xizhou) est la plus grande agglomération des Bai, placée sous la garde de son benzhu, dieu tutélaire qui veille dans un temple, en haut du bourg.
Le lundi à Shaping est un moyen sûr de rencontrer les dames bai en grande tenue, tablier sur pantalon et bonnet à floches de laine. Tout le matin, elles s’affairent sur ce grand marché hebdomadaire.
Suivez le guide !
Laissez-vous envoûter par la musique des Naxi, le temps d’un concert nocturne dans la vieille ville : luth de Perse, pipa chinois et vibrations du souffle à travers des ailes d’oiseaux sauvages.
Sur la piste des caravanes du Tibet
Le nord du Yunnan est l’une des portes du plateau tibétain, passage, jadis, des caravanes du sel (il y a 200 millions d’années, l’Himalaya était un océan). Elles longeaient les vertigineux canyons au fond desquels déboulent, de l’Himalaya, le Yangzi jiang, le Mékong et la Salouen, trois fleuves majeurs qui irriguent la Chine et l’Asie du Sud-Est. Le sel, mais aussi les peaux, s’échangeaient contre les briques de thé du Yunnan. Mélangé au beurre de yak et salé, le thé reste de nos jours une soupe roborative durant les longs mois d’hiver.
Lijiang, contrée des Naxi
A 600 km au nord-ouest de Kunming.
Au-dessus de Lijiang, capitale de la contrée des Naxi, la neige coiffe les treize sommets du mont du Dragon de jade (5 596 m) toute l’année. En bas, tournant le dos la ville nouvelle, il suffit de suivre l’enchevêtrement des ruelles pavées, d’enjamber les canaux traversés de ponts de pierre, et le temps se suspend à un chant d’oiseau dans une cage, au parfum des fleurs venu des arrière-cours ou à l’odeur de pierre mouillée d’un vieux puits. Ces lieux sans âge ont été choisis par l’avant-garde du rock pour planter la scène du premier Woodstock chinois l’été 2002.
C’est au parc de l’étang du Dragon noir que prennent source les canaux qui alimentent toute la ville. Par beau temps, elle reflète les sommets enneigés du Dragon de jade. Aménagé en parc, le pourtour du lac accueille des constructions naxi du XVIIe siècle provenant d’anciens monastères et résidences seigneuriales. Un institut de recherche et un musée(ouvert tlj de 8 h 30 à 12 h et de 14 h 30 à 17 h 30. Entrée payante) sont consacrés aux dongba, les maîtres chamans de la religion des Naxi, qui mêle lamaïsme tibétain, bouddhisme chinois et taoïsme, et dont les rites sont consignés à l’aide de pictogrammes à l’origine inconnue. Le village de Baisha(à 10 km de Lijiang) fut la capitale du clan des Mu, seigneurs des Naxi et vassaux de l’empire. De ses treize sanctuaires ne demeure que le temple des Tuiles vernissées, dont les peintures murales (XIVe-XVIIe siècle) déploient le très prolifique panthéon naxi, au milieu des nuages. 3 km plus loin, un chemin en pente raide conduit au temple du Sommet de jade, une lamaserie des Bonnets rouges construite en 1723. Dans la cour, deux camélias enlacent leurs troncs depuis 500 ans.
La gorge du Saut du tigre
A 90 km au nord de Lijiang.
A Qiaotou, le fleuve aux Sables d’Or, le haut Yangzi jiang, dessine une boucle dans une gorge profonde mais si étroite qu’un tigre l’aurait franchie d’un bond. Autrefois, les Tibétains empruntaient le sentier taillé dans sa paroi rocheuse pour descendre échanger les produits de leurs chasses contre du sel.
Zhongdian, Shangrilla chinois
A 163 km au nord de Lijiang.
Depuis 1997, la région de Zhongdian a été rebaptisée « Xianggelila », prononciation chinoise de Shangrila, car ses paysages évoqueraient ce lieu, pourtant imaginaire, décrit dans le roman de James Hilton Lost Horizon. À 3 300 m d’altitude, ces pâturages sont certes un havre de paix pour les Khampa, une race de seigneurs qui se disent « nés sur un cheval ».
Dressé au sommet d’une colline (à 5 km),Gardan Songzanlin est un monastère fondé au XVIIe siècle par le cinquième dalaï-lama, le « grand cinquième » qui construisit le Potala à Lhassa, et l’une des treize grandes lamaseries des Bonnets jaunes. Les maisons des six cents moines s’étagent de part et d’autre de l’escalier vertigineux desservant la salle d’assemblée. Sombre comme une caverne, elle abrite les plus belles peintures de la région. Avec le petit monastère de Dabao, dissimulé par les pins en haut d’une colline, et surnommé « la clé du Tibet » pour sa position stratégique, Songzanlin constituait l’étape obligée des caravanes. À 25 km à l’est, les rives du lac Bita aux eaux limpides constituent une réserve naturelle où prospèrent les azalées sauvages.
Dêqên (Deqing)
A 180 km au nord de Zhongdian.
Franchi un col à 4 500 m, on entre dans les paysages grandioses d’un cirque que domine le mont sacré Meili Xueshan. De la lamaserie Feilai(à 10 km), on découvre le Kagebo, le plus haut de ses treize pics. À 6 740 m d’altitude, il garde l’entrée du Tibet dont la frontière n’est plus qu’à une cinquantaine de kilomètres… et tout son mystère : le toit du Yunnan est un sommet inconquis. Sur son flanc sud, des chutes – baptisées « le déluge des Dieux » – déferlent sur 1 000 mètres de haut.
A Xidang (à 46 km au nord-ouest), la route rejoint la piste des gorges du futur Mékong que l’on nomme ici Lancan jiang.
Suivez le guide !
Woodstock ou Shangrila ? À vous de faire le choix : Lijiang et Zhongdian figurent parmi les rares étapes chinoises de charme avec leurs petits hôtels de style tibétain.