
Hongfu Temple © Ssppeeeeddyy
Longtemps, ces terres furent enclavées. L’isolement protégea la diversité de leurs mondes. Diversité des paysages que seule fait varier l’altitude : dans cette zone subtropicale, on passe des contreforts enneigés de l’Himalaya à l’exubérance végétale de l’Asie des moussons, des steppes des hauts plateaux aux karsts arides et ruiniformes. Diversité des peuples : sur les 55 nationalités minoritaires reconnues par la Chine, plus des deux tiers vivent ici, au rythme du cycle des saisons et des foires hebdomadaires, loin, bien loin, des métropoles de l’Est. Avec eux commence le lent voyage du regard et du cœur.
Les terres inconnues des « barbares » du Sud
Carrefour commercial entre plateau tibétain et golfe du Bengale, via la haute Birmanie, l’histoire de ces marches ressemble à celle de la route de la Soie. A cela près qu’il n’est pas question de grandes étendues désertiques, de passes à gravir dans le blizzard, mais de brusques abrupts à franchir, de gorges à traverser sur des ponts précaires, de touffeur tropicale ou de bise brutale, de pluies, de routes impossibles à construire… Une géographie bien trop confuse en somme pour élever le rempart protecteur de la Grande Muraille et déployer des garnisons de soldats-colons. Au Sud-Ouest, l’empire dut temporiser. Trop de peuples, trop de langues. Maintenir la paix avec les chefs indigènes resta longtemps le compromis adopté pour permettre au commerce une partie des richesses minières. Les tentatives de conquête ne donnaient que des résultats éphémères. Jusqu’au XVIIe siècle, Yunnan et Guizhou restèrent considérés comme des terres d’exil au climat insalubre, peuplées de « barbares ».
La fin de l’enclavement
Au XIIIe siècle, la dynastie mongole des Yuan ouvrit la voie à une colonisation militaire en soumettant le royaume des Bai de Dali. Les premiers migrants arrivèrent au XVe siècle, chassés du Nord par la misère. Lentement, mais de façon irréversible, la répartition ethnique se fit en faveur des Han, jusqu’à ce que les Qing décident l’intégration manu militari, en 1680. La réponse fut une longue série de révoltes qui secouèrent le Grand Sud jusqu’aux derniers jours de l’empire…
Aujourd’hui, le Sud-Ouest s’éveille d’un long sommeil traversé de cauchemars, comme la collectivisation lors du Grand Bond en avant ou l’éradication des traditions lors de la Révolution culturelle.
Le Guizhou
Les habitants du Guizhou parlent de leur terre comme dans une comptine : « Il n’y a pas trois arpents de terre plate. » Il est vrai que l’horizon est toujours découpé en collines et en pitons. « Il n’y a pas trois jours sans pluie. » Eh oui, gorges et vallées capturent les nuages, mais quand paraît le soleil c’est un enchantement. « Et il n’y a pas trois sous dans la poche d’un paysan. » Car le Guizhou est la plus pauvre des provinces de Chine. Une région à l’image de ses peuples, fière et brave comme les Miao, modeste et courageuse comme les Buyi, travailleuse et solidaire comme les Dong.
Guiyang
A 639 km à l’est de Kunming.
Elle fut sans doute la dernière capitale à écraser ses vieux quartiers sous les bulldozers, mais une nouvelle Guiyang pousse désormais, à coups de galeries commerciales rutilantes, le long des avenues en montagnes russes. Au sud, un site célèbre doublement la victoire de la civilisation chinoise sur les « barbares du Sud » : le kiosque Jiaxiu (XVIe siècle), dédié aux lettrés candidats aux examens impériaux, est précédé de deux colonnes métalliques, fondues avec les armes des chefs vaincus.
Plus pacifiquement, les collections du Musée provincial (Beijing lu. Ouvert de 9 h à 17 h. Entrée payante) donnent une petite idée du prodigieux patrimoine textile des ethnies du Guizhou.
A l’ouest, un pays de karsts
Des pitons isolés percent l’horizon sur la route d’Anshun (à 142 km à l’ouest de Guiyang), terre des descendants de Chinois venus s’établir sous les Ming et des Buyi, maîtres du batik et de l’indigo, qui recyclent le calcaire et l’ardoise pour bâtir leurs villages. Dans Anshun, les bulldozers n’ont pas balayé l’ancien temple de Confucius (XIVe siècle), où des dragons s’enroulent sur les colonnes en bois. A 27 km au sud, les eaux s’engouffrent dans l’aven du Palais du Dragon, invitation à un parcours souterrain digne d’un voyage de Jules Verne.
Le parc de Huangguoshu (à 45 km d’Anshun) a été dessiné par une rivière, la Baishui. En été, on entend de loin le fracas de ses cataractes, les plus hautes d’Asie, qui voilent d’écume une barre de 71 m.
Les femmes brodent la mémoire des hommes
Jour de foire, jour de fête, c’est le jour pour arborer le « costume du dimanche ». Dans le Sud-Ouest, où règne le peuple des Miao, autant de vallées, autant de villages, autant de costumes différents. Lors des rassemblements éclate la diversité des origines, avec l’ajustement d’une veste, la longueur d’une jupe, l’arrangement d’un chignon, les signes brodés sur un porte-bébé. Les brodeuses ont une grammaire transmise de mère en fille. Elles puisent dans les légendes de leur peuple, mais aussi dans les métamorphoses du monde. Car, dans cette contrée où les hommes ont sculpté les montagnes pour les cultiver, le jeu des saisons est un enchantement. Les premiers mois du printemps marquettent la campagne du jaune d’or du colza en fleur, du rose des prunus, du blanc nacré des pêchers. Les premières feuilles paraissant aux arbres accompagnent la mise en eau des rizières, qui deviennent un scintillement de palais des miroirs. L’été voit le triomphe du vert, l’automne la gloire des ors : gerbes de riz mûr mises à sécher le long des diguettes, pailles suspendues à de grands séchoirs ou disposées autour des arbres, peupliers qui bordent les routes.
Kaili et l’Est montagneux
A 196 km à l’est de Guiyang.
Kaili est la capitale régionale d’une jolie campagne de minuscules bassins cultivés en rizières, de vallées où cascadent les rivières et de montagnes où s’accrochent en grappes les villages des Miao. On visitera son musée (ouvert du lundi au vendredi de 9 h à 17 h. Entrée payante) pour connaître le calendrier des foires hebdomadaires et surtout des fêtes locales, occasions de joutes nautiques, de combats de buffles, de danses au son de l’orgue à bouche et, toujours, d’un tournoi de costumes.
A la rencontre des Miao
Des routes de montagne partent de Kaili en étoile vers les hameaux des Miao. A Langde (à 27 km au sud de Kaili), les villageois sont rompus aux usages touristiques. Les hommes endossent leur costume de fête et les jeunes filles coiffent leur couronne d’argent, le temps d’un spectacle pour les visiteurs, sur l’aire de séchage pavée et cernée de façades en bois sombre.
Xijiang (à 52 km de Langde) est une agglomération de cinq villages suspendus aux pentes du pic du Dieu du tonnerre, montagne sacrée des Miao. En empruntant la route de Sandu au sud-ouest, les jours de foire, on croisera les dames de Zhouxi (à 18 km de Kaili), aux cheveux noués en audacieux chignons, et celles de Xingren (à 52 km de Kaili), en grande tenue indigo.
Au nord, au pied du mont du Brûle-Parfum, Matang(à 38 km de Kaili) est l’un des hameaux des Gejia, ethnie parente de celle des Miao, réputée pour ses batiks virtuoses et ses broderies corail.
La route des Dong
A Congjiang (à 247 km au sud-est de Kaili), la route quitte les montagnes, refuges des Miao, pour les vallées fluviales, où tournent des norias et où vivent les Dong.
Au bout de 73 km paraît un bourg aux maisons de bois, dont les tuiles grises sont dominées çà et là par des tours aux toits étagés comme ceux des pagodes. C’est Zhaoxing, l’un des plus beaux villages de ce peuple passé maître dans l’architecture de bois. Ses tours abritaient autrefois les tambours qui sonnaient le tocsin.
A Diping (36 km plus loin), un imposant pont couvert coiffé de tourelles enjambe un bras de rivière. Aussi esthétiques que fonctionnels, ces « ponts du vent et de la pluie » servent de passage, d’abri et de halte.
Autour de Sanjiang (à 183 km de Congjiang), toujours en pays dong, mais dans la province du Guangxi, le pont de Chengyang (à 20 km) est le plus majestueux de ces ouvrages. Mapang (à 25 km) conserve une très ancienne tour du Tambour.