Luzhi, dans la province du Jiangsu, constitue avec ses voisines Tongli et Zhouzhuang, une des villes formant la « campagne des eaux » que l’Unesco a inscrit au patrimoine mondial. Canaux et ponts sillonnent ces anciennes bourgades historiques. À une heure de route de Shangaï, c'est un moyen de s'immerger dans la Chine traditionnelle, ou les pelleteuses du monde moderne n'ont pas encore accès.
Franchi le robuste pont qui la sépare de la modernité du reste des grandes rues, la vieille ville de Luzhi s'ouvre sur une place tentaculaire. Une petite plaine en pierre d’où partent des myriades de ruelles étroites. Il faut s’égarer rapidement et se perdre entre les maisons traditionnelles, au détour de sa quarantaine de ponts, ses petites rues pavées et ses maisons Ming et Qing ornées de lanternes, au charme indéniable.
Le temps s'étire dans ce lieu exclusivement piétonnier, bercé par les calmes canaux. Au fil de ce dédale, on découvre des autels désaffectés où restent l'empreinte ancienne et chaude des cierges de dévotion, où quelques rebuts ont fini par remplacer l’offrande quotidienne. Les tortues d’eau, pas si folles, installées au pied des restaurants, disparaissent quand le regard européen s’approche. Nous découvrons un gigantesque ginkgo, trônant dans l'enceinte de l'ancien temple Baosheng. Il a, parait-il, plus de 1400 ans.
Les canaux, véritables artères de la vieille ville ne sont pas comparables à ceux d’une Venise de Chine où à d'autres cités chinoises de l'est, mais abritent ici un lavoir, là un lieu de pêche, ressource importante pour les habitants. Parmi les petites maisons, ceux-ci passent le temps paisiblement, à l'abri derrière leurs persiennes. On s’étonne de la cohabitation de boutiques modernes avec ces chalands qui confectionnent à la main des brioches salées caramélisées. Un télescopage temporel pourtant si naturel ici mais l'esprit de la vieille ville est toujours vivace et le calme, surprenant.
Le dédale de rues finit par perdre les touristes que nous sommes. Les locaux, eux, sont en terrain conquis. Nous étions quatre, deux enfants et deux adultes, à observer le marchand de graine, le luthier en bordure d’eau, quand un homme s’est imposé devant nous. Avec son costume trop gris, sa chemise trop propre, il a d’emblée demandé qui nous étions. Nous sommes des touristes, des touristes en quête de découverte au-delà du décor. Il a semblé approuver puis est reparti dans une ruelle latérale. Pour réapparaître comme un diablotin, devant nous, juste cinquante mètres plus loin.
Mais, quand même, d'où venaient ces enfants ? Exprimé dans un anglais parfait, alors que dans cette petite cité, la calculette est davantage le langage universel. Il a opiné. Puis est retourné, nous dépassant. Pour, de nouveau, rejaillir au coin d’une autre rue. Alors nous avons décidé de prendre la photographie avec ce surveillant de fortune.
Le Parti trouvera sans doute très étrange qu’un grand blond et une petite française se promènent dans ces rues où la ferveur commerciale n’a pas encore tissé sa toile . Il s’étonnera encore davantage des deux fillettes chinoises qui les accompagnent. Et il restera gêné, quand on lui expliquera qu’un bon camarade a posé au milieu de deux jeunes filles adoptées en ce début de siècle…
Lorsque nous avons quitté la place et repassé le pont, revenant sur nos pas vers la ville moderne, son regard semblait nous suivre encore, d’une petite rue de ci-de là… Promis nous referons cette croisière sur les canaux historiques de cette charmante cité.