Il fallait une « carotte » monumentale. Quand en 2001 on ne peut plus marcher (colonne vertébrale) ni exprimer sa pensée normalement. Et, quand après avoir réussi un miracle lent de cinq années, il a fallu tout recommencer avec, en prime, des indications de cardiologue invitant à ne plus monter en altitude – indications inacceptables… L’idée était de refaire un trek – en l’occurrence, au niveau du domaine des dieux de l’Himalaya. C’est essentiellement grâce à cette « carotte » que j’ai tenu mentalement et ai – avec l’aide d’une thérapie asiatique et d’une forme de magnétisme (pour faire simple) – réussi à me rétablir en assez grande partie sur un plan physique en six à sept années de plus…
Un récit de voyage solidaire au Népal par Patrice Pleutret
Après quelques randos progressives Alpes et Pyrénées avec un copain que mon état n’effrayait pas, j’ai fait un premier trek au Népal en 2012, jusqu’à 4200, pour voir… Et c’est passé. En parlant avec différentes personnes, j’ai acquis la conviction que la forme concrète à donner à ma carotte était le tour des lacs de Gokyo.
Un tour que j’ai légèrement adapté. Je savais que je jouais avec les limites. Je savais aussi qu’à cinquante ans légèrement passés, en raisons d’autres éléments, il y avait de fortes chances pour que ce soit cette année ou jamais. Alors j’ai décidé de partir en cette fin octobre 2013, avec cette conscience que je devrais être d’autant plus à l’écoute de mon corps que quiconque car je ressens déjà plus ou moins au quotidien plusieurs symptômes du MAM (maux de tête, douleurs thoraciques…), ce qui a sans doute inquiété et dissuadé finalement les rares personnes qui auraient pu m’accompagner.

Temple Pashupatinath, Katmandou, Népal – © mariusz kluzniak
Un vol via Kuala-Lumpur plus tard, c’est le retour à Katmandou. Les rabatteurs d’hôtels, la poussière, les tas de détritus à plus ou moins chaque coin de rue sont quasiment la parfaite même vision qui choque l’Occidental qu’un an plus tôt. Les petits immeubles dont la construction ne semble jamais terminée comme les chiens errants sont toujours autant partie prenante du paysage. La conduite est, elle, toujours aussi stressante, rythmée par les coups de klaxons émanant surtout de la noria des taxis blancs vétustes dont les fils pendent, plus ou moins dénudés, sous le tableau de bord et dont le compteur de vitesse n’est plus qu’un objet de décor.
Mais il y a moins de monde… C’est vrai que c’est Dasain, la plus grande fête hindoue locale, et nombreux sont les habitants qui ont quitté la capitale pour leurs villages d’origine respectifs. Etonnant ! Pour une fois, un article évoque – sur toute une page ! – la (gentille) rébellion de la SPA népalaise contre la mise à mort de 108 buffles, 108 chèvres et 108 poulets dans nombre de maisons du pays et contre le fait que l’Etat ait « institutionnalisé » cette fête comme forme de fête pour toutes les composantes de la nation. Pourquoi ne pas faire des célébrations végétariennes ? Il me semble, toutefois, que les probabilités d’y arriver sont aussi infimes que celles pour éradiquer la corrida en Espagne…
Après un passage au centre Shinkenko de Katmandou et une magnétisation concentrée principalement sur mon genou droit, envol, avec mon guide, pour Lukla, l’aéroport d’arrivée de tous ceux qui veulent approcher Sagarmatha – l’Everest. Heureusement, après trois jours d’avions bloqués pour mauvaise météo, je pars presque comme prévu.
L’arrivée sur un aéroport considéré comme le plus dangereux du monde ne m’a guère angoissé mais on sent que la piste, bien qu’allongée et bitumée depuis peu, reste brève, surtout après un plongeon entre montagnes alors que des nuages arrivent. D’ailleurs, la porte sur le poste de pilotage étant restée ouverte, les quatorze passagers applaudissent spontanément les deux pilotes. Juste le temps d’un rapide plein de kérosène, et ceux-ci repartent pour la suite d’une impressionnante série d’allers-retours afin d’acheminer les retardataires de chaque côté.

Phakding, Népal – © Cameron Moore
Tout de suite, c’est l’heure de partir entre deux groupes de yacks. Namaste au porteur et le guide nous entraîne dans la descente… Tiens ? Eh bien oui : descente suivie néanmoins d’une certaine remontée vers le village de Phakding. Ce qui annonce une grimpette un peu plus conséquente pour la suite. Et c’est effectivement le cas : après quelques montées et descentes moyennes, il y a six cents mètres de dénivelé positif sans interruption à se mettre dans les pattes pour rejoindre Namche Bazar.
J’avance à mon train, passe sans encombre quelques ponts suspendus dont un m’aurait sans doute posé un sérieux problème l’année dernière ; à son extrémité, deux trekkeuses indonésiennes en ont encore la tremblote. Et puis la grimpette se prolonge et se prolonge encore pour atteindre les 3440 mètres d’altitude du principal centre du Khumbu. Je lâche à ma grande surprise un Ukrainien parti pour faire un 6000 avec un couple d’amis… qu’il a amplement lâchés. J’y vois un signe plutôt encourageant pour moi et plutôt inquiétant pour eux. Mais ce n’est qu’une mise en route, alors : pas d’excès de confiance !
A Namche’, une journée d’adaptation est consacrée à grimper quelques courts (enfin…) mais raides escaliers, à la montée décevante vers un point de vue… sur le brouillard et à la visite du musée Sherpa cher à sir Edmund Hillary. Là, la photo où apparaît un sommet crânien conique, présenté comme « scalp de yéti », fait décidément de l’ombre aux exploits des alpinistes et à leurs sherpas (avec un s minuscule) dont les photos emplissent une bonne majorité de la pièce principale.
Et c’est parti ! Une bonne journée jusqu’à Dhole. Les sommets sont là, impressionnants, dans un ciel matinal qui ne dissimule rien. Après un salut respectueux au seigneur Everest qui focalise tous les regards, la rétine s’imprègne du Kuchun Khan, du Kamcherko et surtout de l’Ama Dablam aux faux airs de Machapuchare et de Cervin ainsi que de n autres pics auxquels jamais de nom n’a été attribué.
Il fait froid. On parle de la neige car les tempêtes qui ont frappé la côte orientale de l’Inde ont ensuite influé sur le climat dans les terres et notamment sur le Népal ; dans la région de l’Everest, ces chutes abondantes ont contraint nombre de trekkeurs à abandonner leur objectif, notamment les cols du Cholu La et du Renjo Pass – pourvu que ça change ! Et vite !

Machermo, Népal – © Doug Scobie
Après une bonne heure de marche en direction de Machermo, voilà que ça glisse. Beaucoup. « C’est de la neige qui a fondu » me dit mon guide, « il y a juste quelques jours elle atteignait bien trente à quarante centimètres voire plus à cet endroit ». Bon, ça laisse de l’espoir pour le Renjo’ !… Et puis voilà qu’on avance dans des plaques de neige qui se font de plus en plus conséquentes. Et c’est alors un champ de neige qui n’en finit plus.
Le décor est somptueux à l’arrivée au hameau de Luza. Puis la montée vers Machermo se fait dans une neige d’une belle épaisseur, parois gelée. Pour l’heure, je me concentre sur les battements de mon cœur et sur de petites douleurs du côté de la nuque mais, surtout, je m’applique à garder mon esprit sur un cadre qui m’inspire photo sur photo. On croise quelques trekkeurs qui redescendent sur Namche. Impossible de ne pas s’enquérir de l’état des pistes et de l’enneigement plus haut. L’un casse plutôt l’espoir ; un autre le relance. Profitons de l’instant présent !…
La nuit à Dhole était glaciale. A Machermo elle ne l’est pas plus malgré l’enneigement très important. De fait, les chambres dans les lodges, séparées par les mêmes simples cloisons de contreplaqué, conservent le froid comme des jumelles. Comme à Dhole, je me nettoie les dents avec (outre mon dentifrice) de l’eau d’un pot de chambre équipé d’un robinet. Qui a dit qu’on trouvait des matières fécales dans l’eau au Népal ? Comme à Dhole, je ne vais pas dormir une minute malgré un duvet assez chaud et une couverture. J’apprendrai qu’il s’agit probablement d’un effet simple du MAM…
A Machermo, deuxième journée d’acclimatation à l’altitude. Beaucoup passent cette étape. Pour moi, elle était une sécurité indispensable même si cela n’a pas l’air d’aller mal. Cependant, quelques tensions dans la poitrine, la réapparition de petits maux de tête et une digestion juste un tout petit peu difficile me font penser que ce choix était judicieux. D’ailleurs la journée va s’avérer très agréable. Le matin, deux bonnes heures d’avancée dans la neige immaculée sur une corniche surplombant le village en direction du Machermo peak ; des vues plongeantes de cartes postales sur les enclos enneigés des yacks constitués de murets rappelant quelque peu la campagne écossaise et composant des figures géométriques enchaînées. A l’est, vue de la crête, la vallée n’est que boue : autrement dit, ça dégèle bien – que du bonheur !
L’après-midi, c’est bronzette devant le Yéti Lodge dans un cadre délicieux, les yeux rivés sur le Kongde Ga et le Pamcherko dont les mamelons pointus respectifs scintillent derrière une basse ligne de crêtes. Pendant ce temps, ici, la mère de la gérante du lodge promène son petit-fils qu’elle porte dans son dos, mains croisées sous lui, sous le regard d’un aigle au superbe poitrail blanc ; là, une dizaine de paires de chaussures de rando tentent d’évacuer leur humidité, et, un peu partout, la neige s’évacue en multiples tas en formes de mini-stalagmites. Plus haut, des nuages commencent à recouvrir les sommets – plus tard que les jours précédents, me semble-t-il, et moins sombres.

Lodge, Machermo, Népal – © Doug Scobie
Puis c’est séance information au Machermo Porter Center and Rescue Post. Les deux femmes médecins bénévoles (britanniques) font une présentation du MAM ainsi que des dangers encourus par les guides et les porteurs sur lesquels on se voile beaucoup la face. D’une part, une matérialisation des effets de l’altitude sur le corps s’installe dans les esprits ; d’autre part, on réalise les conditions d’existence de ceux qui nous accompagnent, perçoit certains maux les ayant affectés avec des suites plus ou moins tragiques (cécité temporaire, sauvetage grâce à une course invraisemblable ou non…) et pourquoi (absence d’assurance…) – d’où l’importance de cette organisation bien seule dont les médecins ne sont là que trois mois à l’automne et trois au printemps… Le soir, retour à notre réalité : le guide d’un petit groupe casse l’espoir : « Il faudrait un groupe important pour qu’on envoie dégager le Renjo Pass » – et je suis seul avec un guide et un porteur…
Jour suivant. Nous voilà partis pour Gokyo. L’altitude (4830), en fait, m’inquiète un peu. D’autant que j’ai enchaîné une troisième nuit sans dormir et, est-ce l’appréhension ? Je ressens des douleurs aux côtes après une heure de marche. Serait-ce les poumons ? Faut-il craindre un début d’œdème ? Trois comprimés de coca (produit homéopathique dont je me suis muni) et du magnétisme dirigé sur les points douloureux font retomber les tensions en un quart d’heure. Je repars sagement avec un rythme encore un peu plus lent pour enchaîner les trois premiers lacs de Gokyo.
Dans un décor de neige de plus en plus épaisse, ce sont trois étendues bleues irréelles, sans glace ni neige les couvrant, qui viennent déchirer le paysage à des altitudes proches du sommet du Mont Blanc. Ces trois lacs incroyables, la neige qui recouvre des rochers avec lesquels le soleil joue, la même neige qui en fondant compose de longues séries de dents de scie : le résultat est à la hauteur de mes espérances !
Mais, bien sûr, elle fond cette neige qui a dû ici dépasser largement deux voire trois mètres (ce qui m’est rapporté comme tout-à-fait exceptionnel en octobre) et elle impose de marcher – et glisser – dans la boue et dans des flaques incontournables. A l’arrivée : chaussures, chaussettes et pantalon, malgré de hautes guêtres, ruissellent. Cela sonne le repos obligé. Ce qui n’est pas un mal : je suis vidé et la nuit va me faire repenser à la présentation détaillée du MAM et au fait que j’en souffre sans doute d’une forme simple. De toute façon, j’avais sagement prévu trois nuits à Gokyo, tant pour apprécier, me reposer que pour palier à la nécessité d’attendre que le col soit ouvert mais sans imaginer une telle abondance neigeuse…
Le lendemain l’activité se limitera à une balade sur les crêtes avoisinant Gokyo et à l’observation du glacier descendant du Cho Oyu ainsi qu’à l’écoute de ses craquements, parfois très impressionnants. Devant mes yeux, mes deux morceaux de bravoure : le Gokyo Ri et le Renjo me clignent de l’œil sous le soleil à leur hauteur voisine d’environ 5380 mètres. Je me sens mieux. Nota : le matin, j’ai assisté à une séance photo d’une Chinoise en robe de mariée devant le lac numéro trois. Pas frileuse, la mannequin ! Ces moments agréables et distrayants me font envisager la suite avec un optimisme néanmoins teinté de pensées de sécurité : une touriste suisse m’a raconté la quasi-agonie d’un jeune trop ambitieux et trop vite monté sur le Gokyo Ri ainsi que le malaise d’un amateur d’alcool qui aurait pu choisir un autre dopant pour la même ascension.

Vallée de Gokyo, Népal – © Sebastian Preußer
M’y voilà à mon tour ! La pente est raide et surtout sans aucun replat. La neige fondue, la boue ne facilitent pas l’ascension des six cents mètres de dénivelé alors qu’on s’élève au dessus de 5000 mètres. Mon petit moteur tournant au ralenti m’a hissé petit à petit. Quelques points de tension m’ont incité à plusieurs arrêts, à une prise puis une autre de trois granules de coca ou à quelques réflexes pour me magnétiser. J’ai fait quelques poses photos « appareil-photo » et d’autres juste par et pour les yeux tant c’était mon rêve qui se déroulait là.
Faut-il le dire : j’ai surtout flippé avant le départ. La nuit, j’avais rassemblé toutes mes affaires, mis en évidence les numéros au cas où… Mais petites montées après petites pauses et petites poses, j’ai atteint ce qui apparaît d’en bas comme un dôme et qui est entre dôme et arrête une fois atteint. J’ai salué Sagarmatha et son petit frère Lhotse ainsi que le petit Bouddha au sommet du Gokyo Ri ; j’ai plongé mes yeux vers les trois lacs enchaînés tout en bas quand le vent poussait les nuages, alternance magique de pics et bleus océaniques sur fond de neige à l’infini. Encore et encore. Plus d’une heure durant.
Puis suis redescendu vers mon étape du lendemain qui semblait devenir possible mais je préférais n’en pas parler : ne pas me porter la poisse et savourer encore et encore l’instant ! Pour ce qui est de savourer, je vais avoir l’occasion de goûter la neige plus cent fois qu’une tant il y aura de glissades et de chutes dans la descente ! Côté autres trekkeurs, il y a eu deux interventions hélico. Personnellement, malgré mon envie de « passer », je m’étais mis dans l’esprit d’arrêter si mon corps le commandait ; ce que beaucoup négligent ou refusent de se préparer à faire. Le soir, quelques rares personnes ont franchi le Renjo ; mon guide évoque un départ assez tôt…
Ca y est. Nous sommes partis pour l’attaquer, ce Renjo. La montée étant environ à la même altitude que le Gokyo Ri et l’étape du jour étant plus progressive, je m’apprêtais à du difficile mais pas plus que la veille. Sinon en raison de la longueur de la journée. Léger excès de confiance ? Fatigue due à la veille (j’avais pensé faire une journée de repos entre les deux 5000) ? Ou à l’ensemble depuis le départ ? J’ai touché mes limites totales lors de cette étape. Une chose a joué un rôle fort négatif : j’avais acheté des crampons (des petits) à l’un de nos supermarchés du sport. Qualité cata’ ! Les pointes se sont arrachées et malgré une réparation avec les moyens du bord j’ai bien vite dû faire sans.
Effet double : 1/ dérapages et glissades, mais aussi 2/psychologique, dans l’approche des mouvements. Epuisement garanti. Alors, après le terrain de camping, sur la pente raide vers le sommet, j’en ai bavé. Granules de coca et gestes pour me magnétiser (cela peut sembler totalement absurde pour certains – avant, j’aurais peut-être pensé cela – mais j’ai constaté, sur moi, à quel point l’apport est réel) ont été nécessaires, bien plus que je ne l’imaginais. Cependant, un mélange de sagesse, de volonté farouche et l’aide du guide dans la dernière ligne droite pour porter mon deuxième sac m’ont permis de triompher.
Tout au long de la montée, j’ai aussi rempli mes yeux du spectacle exceptionnel que le décor enneigé et le ciel longtemps dépourvu de nuages me permettait d’avoir. Sur le troisième lac, côté ouest. Sur son extrémité ouest qui semble se terminer en alluvions (dépôts salins qui expliqueraient pourquoi ce lac ne gèle jamais ?). Sur Sagarmatha et sur la barrière de pics qui l’entourent… Toucher au rêve aussi longtemps sans l’extrême âpreté aurait-il été aussi inoubliable ? Comme la descente qui a suivi le passage du col ? Cette descente s’est avérée longue, épuisante. Surtout en raison des chutes.

Renjo Pass – Gokyo Ri, Népal – © akunamatata
Chaque rétablissement « bouffait » un peu plus du souffle qui restait en moi. A un moment, la nourriture insuffisante a failli engendrer une catastrophe. La fringale est terrible quand elle vous assaille soudain. Heureusement, une équipe suisse providentielle va m’offrir une soupe. De quoi trouver les forces pour avancer deux heures de nuit dans un brouillard très épais, presque à quatre pattes. La boucle était réalisée même si, géographiquement, elle n’était pas finie. L’étape avait duré quelque dix heures et trente minutes après un départ un poil trop tardif et j’étais tombé un peu trop (genou droit) pour goûter totalement au plaisir de mon exploit.
A l’ouest du Renjo, le décor, ensuite, va s’avérer différent. Plus aride. Il n’y avait plus qu’à redescendre par là. Ou presque. Restait le dernier point fort pour conclure en beauté : remonter sur Kongde – ce qui signifiait une dure grimpette – pour, en apothéose, regarder l’Everest depuis un des plus beaux points de vue que le Népal a donné à ses visiteurs depuis quelques années. Mais un temps plein de neige et de vents très froids, ma fatigue profonde ainsi que la crainte pour le porteur qu’il arrive quelque chose de grave vont me faire abandonner cette étape que pourtant je désirais du fond de mes tripes. Ce sera l’occasion de voir à quel point les agences (la mienne notamment mais je gage qu’elle n’est pas la seule) peuvent ne voir que leur intérêt financier – la nuit rapporte bien plus à Kongde que n’importe où ailleurs – : il me faudra pousser un coup de gueule pour éviter de risquer une tragédie.
La toute fin de la boucle sera hélas du même topo. Ce sera aussi un rappel de l’importance de prévoir plusieurs jours de battement pour revenir de Lukla. De nouveau, la météo avait occasionné des retards des trois à quatre jours. De nombreux Européens vont devoir payer un hélicoptère ou affréter une caravane de yacks pour retourner à Katmandou. Et prendre un avion vers leur maison respective avec un nombre variable de jours de retard – et payer le supplément correspondant.
De mon côté, j’avais pensé « assurer » largement en réservant un avion après quatre jours supplémentaires à Katmandou. Cela s’avérera très juste. Une expérience de ces tensions qui se développent quand les jours passent sans information aucune : chacun en vient à se retrouver solitaire dans un silence lourd de colères et d’angoisses mêlées rentrées ; chacun en vient à exposer ses doléances à Bouddha mais Bouddha est probablement parti pisser et est, tout aussi probablement, bloqué devant ou dans les chiottes, par un de ces maudits cadenas népalais…
Et le temps passe – inexorablement ; insupportable pour tout Européen ou Chinois pour qui ledit temps est de l’argent ! Parallèlement, le prix d’un hélico pour rejoindre la ville la plus proche avant de rallier Katmandou augmente à chaque instant. Et les possibilités d’en prendre un fondent comme neige au soleil. Ce sera l’occasion d’un nouveau rappel que l’argent est ici aussi le nerf de la guerre. Et que les puissants – en l’occurrence les dirigeants locaux de Tara Air – font ce qu’ils veulent : ainsi, après avoir ressenti des sensations progressives d’écrasement, en dépit de profonds malaises constatés par plusieurs membres locaux de la police (qui vont essayer de me faire partir dès qu’une place sera libre), je verrai n personnes y compris quelques unes manifestement sans réservation me passer devant le nez !
Emprise sur moi et « mon magnétisme », toute la journée, vont éviter une tragédie. Enfin, j’aurai en dernier « rappel », l’évidence d’un manque de sérieux de l’équipe de mon hôtel ou mon agence : devant reprendre un avion à 23h, le jour du premier de l’an 2050 local (eh oui : nous n’avons pas le même calendrier !), on me fera prendre le plus pourri de tous les taxis de Katmandou. Celui-ci va tomber en panne dans un coin obscur alors que personne ou presque ne travaille ni circule… Faisant preuve d’une certaine expérience et d’une capacité à faire stopper tout véhicule arrivant, de plus possédant un minimum de népalais (merci au lexique Lonely Planet !), je parviendrai à ne pas avoir à payer un nouveau billet de retour après m’être adressé à de nombreuses reprises à d’hypothétiques dieux locaux.
Mais, au fond, peut-être tout cela n’était-il que pour mieux me permettre de dialoguer un peu plus avec ces mythiques dieux de l’Himalaya.
Finalement, la « carotte » m’a donné la sensation d’être étrangement consommée. Au-delà d’une fierté d’avoir passé deux 5000, ma performance physique résonne en moi comme une satisfaction teintée d’incrédulité, mais, surtout, satisfaction mitigée en dépit des cadres merveilleux que j’ai pu voir. Deux raisons principales à cela : d’une part, ce voyage était au cœur d’une reconstruction personnelle profonde qui n’a pas été dans les temps (avec ce que cela signifie par ailleurs pour moi) ; d’autre part, trop d’approximations par l’agence et trop de petits « ratés » ont un peu gâché le plaisir.
Sur un plan plus général, c’est l’occasion de mettre en évidence que cette partie du Népal ne tolère pas les petits ratés et exige de partir avec des moyens conséquents. Et puis, il faut le dire : pour les amateurs de beaux treks, je suis convaincu qu’il s’agit là d’un des tous plus beaux au monde et je ne saurai trop recommander de prendre le temps de l’apprécier avec sagesse, avec ou sans neige et avec la volonté de comprendre guide(s) et porteur(s).