Anciennement appelée île Bourbon, la Réunion mélange dans son histoire tous les ingrédients et les drames qui ont présidé à la naissance de l’ancienne colonie, devenue une île à part entière au sein de la République française.
Les premiers explorateurs (1400-1665)
Longtemps resté le domaine réservé des navigateurs orientaux et arabes, l’océan Indien ne reçut la visite des Occidentaux qu’à partir du XVe siècle. Si l’on pense que les Egyptiens, les Phéniciens et les Grecs commerçaient déjà avec l’Inde grâce à des techniques de cabotage, ce sont essentiellement les Arabes qui poussèrent leurs investigations le long des côtes orientales de l’Afrique ; il est presque certain qu’ils furent les premiers découvreurs des Mascareignes, bien qu’ils ne s’y soient jamais installés.
La future île de la Réunion avait même déjà un nom, celui de Dina Margabin, l’« île Couchant ». Le XVe siècle voit donc le début des grandes expéditions occidentales, Portugais en tête, à la recherche du passage vers le Sud pour ouvrir la route des Epices. A la suite de Vasco de Gama, le premier à atteindre les Indes en 1497, d’illustres capitaines marqueront de leur empreinte la route des Indes et parmi eux, Pedro Mascarenhas qui donnera son nom à l’archipel des Mascareignes.
Dans le sillage des Portugais et des Espagnols, Néerlandais et surtout Français et Anglais s’engagent dans une vaste stratégie de prises de possession et d’établissement de comptoirs et de colonies, les deux derniers rivaux se livrant plus particulièrement une lutte d’influence féroce qui durera jusqu’à la Première Guerre mondiale.
C’est donc dans un contexte de rivalité naissante que le navigateur Salomon Goubert, à la tête d’une flottille commandée par le Saint-Alexis, prend possession, au nom du roi Louis XIII, de Mascarin en 1638, bien que la France ait des projets plus vastes pour Madagascar. Une simple pierre gravée, plantée sur le littoral de cette île qui prendra plus tard pour nom « La Possession », marque cet événement.
C’est de cette dernière que viendront d’ailleurs en 1646 les premiers colons, mutins exilés qui, loin d’être bannis en enfer, découvrent une île paradisiaque riche en gibier, en poissons de rivières et d’étangs, en tortues terrestres et marines, et en eau douce. Ils en dressent la première carte et trois ans plus tard, lorsqu’ils sont récupérés, leur récit décide le gouverneur de Fort-Dauphin, Etienne de Flacourt, d’envoyer une poignée d’aventuriers effectuer une deuxième prise de possession sur celle qui devient, en 1649, l’île Bourbon.
Olivier Le Vasseur dit La Buse
Ecumant les Mascareignes et rançonnant les navires marchands, Olivier Le Vasseur dit La Buse avait déjà acquis une solide réputation lorsqu’il prend d’assaut en rade de Saint-Denis la Vierge du Cap arrivée quelques jours plus tôt, entièrement démâtée par un cyclone. Le coup est superbe car, outre les quantités de diamants, les monceaux de barres d’or, les cascades de pièces d’or et autres richesses, le vaisseau abrite à son bord le comte d’Ericeira, vice-roi de Goa à qui les pirates laisseront la vie sauve contre une énorme rançon.
L’incroyable trésor est partagé entre l’équipage, et La Buse cache sa part du butin. Sa tête mise à prix, il est capturé six ans plus tard et condamné à la pendaison. Le jour de son exécution, il jette à la foule un cryptogramme en lui criant « mon trésor à celui qui déchiffrera cela ». A ce jour, ce trésor n’a toujours pas été retrouvé et des recherches sont toujours en cours à la Réunion, aux Seychelles et à Madagascar.
Le temps de la colonisation (1665-1720)
La véritable immigration débute en fait en 1665 avec une vingtaine de personnes conduites par Etienne Régnault. D’autres volontaires suivent, accompagnés de quelques Malgaches puis de nombreux Français rapatriés après l’attaque de Fort-Dauphin en 1674 et la fin des ambitions françaises à Madagascar. Desservie par l’absence de port naturel mais rapidement vantée pour sa nature généreuse, l’île Bourbon voit sa petite colonie prospérer et s’accroître lentement à coups de métissages et de nouveaux arrivants.
Les navires de la Compagnie des Indes orientales, créée par Colbert quelques années auparavant, y font escale en y débarquant, entre autres, des femmes françaises, malgaches, indiennes et portugaises. C’est aussi l’époque des pirates, tels Olivier Le Vasseur dit La Buse ou John Bowen, qui marquent de leurs noms l’île Bourbon. Seule la Compagnie des Indes mettra près d’un siècle à s’intéresser à l’île et à initier une mise en valeur forcenée de ses terres fertiles, prenant en même temps en charge son administration d’une main de fer.
L’ère de la prospérité (1720-1789)
Le visage économique de la colonie change définitivement au début du XVIIIe siècle, que ce soit dans le secteur agricole dominé par la culture du café, ou sur le plan humain avec la mise en place d’une main-d’œuvre d’importation reposant sur l’esclavage. Les plants de moka rapportés du Yémen sur l’ordre de Louis XIV sont bientôt croisés avec une espèce de caféier endémique et produisent un café qui fait le bonheur des premiers grands « cafés » parisiens.
L’île bénéficie soudain d’un changement de regard de la part de la France qui porte un intérêt croissant à la valorisation de sa colonie de l’océan Indien. Les administrateurs mettront en application un plan de culture systématique de toutes les plantes jugées intéressantes, source d’un enrichissement botanique unique pour l’île. Mais si le café fait la fortune des colons de la côte ouest, la culture du clou de girofle, de la muscade, du poivre, de la cannelle, du gingembre ou encore du curcuma fera celle de la côte au Vent de Bourbon.
Un nom demeure à jamais attaché à la grande aventure botanique des Mascareignes, celui de Pierre Poivre, qui n’aura de cesse de rapporter à l’île Bourbon et à l’île de France (Maurice) les plants tant recherchés dans cette course aux épices qui continue d’enflammer l’océan Indien en cette seconde moitié du XVIIIe siècle. Son opiniâtreté lui vaudra ainsi d’être nommé intendant des Mascareignes par le roi de France qui rachète l’archipel à la Compagnie des Indes après la faillite de cette dernière.
Côté stratégique, les Français, qui reculent devant les Anglais en Inde, se replient peu à peu sur les Mascareignes. Mais c’est Maurice, rattachée à la Couronne française en 1715 après le départ des Néerlandais, que Mahé de La Bourdonnais, gouverneur des deux îles pendant plus de 10 ans, privilégie pour en faire sa base navale. Il relègue ainsi Bourbon à son seul rôle de colonie agricole.
De la Révolution à la fin de l’Empire (1789-1815)
La fin du XVIIIe siècle voit un changement majeur avec la disparition quasi totale de la culture du café, remplacée par la canne à sucre qui renforce encore l’importation d’esclaves. Enfin, la Révolution qui secoue la France se traduit à Bourbon par un bref changement de nom et l’île prend le nom de Réunion en hommage à la fusion des troupes révolutionnaires et des gardes nationaux qui donnèrent l’assaut, à Paris, aux Tuileries le 10 août 1792.
Le début du XIXe siècle est essentiellement marqué par la lutte que se livrent Anglais et Français de l’Empire et qui rejaillit sur leurs colonies par batailles navales interposées. Malgré quelques victoires dont celles du célèbre corsaire malouin Surcouf, la Réunion, devenue sous l’Empire l’île Bonaparte, tombe aux mains des Anglais en 1810, en dépit d’une vive résistance sur le plateau de la Redoute.
L’île de France tombe à son tour quelque temps après, non sans avoir infligé à la marine anglaise son unique défaite sur mer dans l’histoire des batailles navales associées aux guerres napoléoniennes. Un Réunionnais de Saint-Benoît, Pierre Bouvet, s’illustre d’ailleurs dans cette victoire de Grand Port, véritable chant du cygne de la France dans les Mascareignes.
Rétrocédée au roi de France après la défaite de Napoléon Ier, l’île, redevenue par la même occasion Bourbon, prospère grâce à la culture de la canne à sucre qui, plus résistante que les caféiers aux cyclones, s’étend peu à peu à l’ensemble des zones agricoles.
La fabuleuse aventure des épices
Toutes les grandes nations de la vieille Europe se sont affrontées sur les océans pour le contrôle de la route des Indes, ou route des Epices. Celles-ci ont cristallisé les espoirs de grandeur géostratégique des nations lancées à leur poursuite et modifié à jamais la carte du monde. Le clou de girofle, originaire des Moluques, a servi à payer des rançons, des gens sont morts pour la muscade, elle aussi originaire des Moluques, et des centaines d’autres ont passé leur vie à courir toutes les mers de l’Orient pour le poivre, le gingembre originaire des Indes et de Malaisie, ou la cannelle originaire de Ceylan.
Pierre Poivre lui-même, avant d’être officiellement nommé intendant des Mascareignes, pratiquera l’espionnage botanique (puni à l’époque de peine de mort) avant de transformer l’île Bourbon en jardin aux épices de la France.
La fin de l’esclavage (1815-1865)
La colonisation humaine se développe en parallèle vers l’intérieur de l’île et les cirques, qui sont peu à peu mis en valeur. Et même l’abolition définitive de l’esclavage en 1848 ne fait pas fléchir la marche forcée de l’industrie sucrière de la Réunion, qui a retrouvé son nom révolutionnaire, et se tourne alors vers des travailleurs volontaires venus par milliers d’Afrique et d’Inde.
Si leur condition n’a, au début, rien à envier à celle des anciens esclaves, ils viennent en revanche grossir les rangs des différentes ethnies qui constituent peu à peu les fondements de la population multiraciale de l’île. Deux nouvelles ethnies majeures viendront, vers la fin du XIXe siècle, renforcer ce creuset de races et de religions : des Chinois principalement originaires de la région de Canton et des Indiens musulmans du nord de Bombay.
Cette période de prospérité voit aussi se développer le tissu urbain et le réseau de communication de la Réunion qui jette ses routes, ses ponts et son chemin de fer à l’assaut d’une côte qui se hérisse ici et là de nombreuses usines modernes et productives. C’est l’époque de la naissance des grands édifices publics dans les villes principales et des magnifiques villas à l’architecture créole.
Des crises à la Grande Guerre (1865-1914)
L’euphorie dure jusqu’en 1863, date de la première grande crise qui met à mal l’industrie sucrière de la Réunion et précipite dans la misère des milliers de personnes, Blancs, travailleurs volontaires et anciens esclaves affranchis réunis dans un même désespoir, bientôt victimes d’épidémies meurtrières. Les nouvelles ressources agricoles ne parviennent pas à renverser la tendance.
Pas même la vanille qui se reproduit difficilement jusqu’au trait de génie d’un esclave de Sainte-Suzanne nommé Edmond Albius qui, en 1841, découvre un moyen simple et efficace de féconder sa fleur de manière artificielle. La Réunion découvre aussi à cette époque les vertus du vétiver et du géranium qui, une fois distillés, produisent des essences appréciées des plus grands parfumeurs de l’époque.
Mais, une fois encore, la mère patrie a les yeux tournés vers Madagascar ; l’absence de port majeur privilégie Maurice face à la Réunion dans le développement des nouvelles routes commerciales maritimes qui se dessinent à la fin du XIXe siècle. Dans le même temps, les îles du sud de l’océan Indien ont perdu un peu de leur attrait comme escale sur la route des Indes depuis le percement du canal de Suez. Le grand projet de port moderne à la pointe des Galets, qui voit le jour en 1887, n’y changera rien.
L’ère moderne (1914-1960)
Le premier conflit mondial coûte à l’île plus de 10 000 de ses enfants, dont le plus célèbre d’entre eux, Roland Garros, pilote émérite plusieurs fois recordman du monde d’altitude et inventeur du tir à travers l’hélice. Ce n’est qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale que la Réunion redresse enfin la tête et que la diversification des cultures initiée avant la guerre porte enfin ses fruits, conjuguée à une hausse des cours du sucre.
La première liaison aérienne avec la France est réalisée en 1929 et les échos du Front populaire finissent de jeter les bases d’un nouvel ordre social réunionnais, initié par l’affaiblissement de l’ancienne aristocratie sucrière et associé à l’émergence d’une classe politique métisse. La Seconde Guerre mondiale vient ruiner les maigres espoirs de la colonie qui, comble de malchance, opte, via son gouverneur de l’époque, pour la fidélité au régime de Vichy.
Le blocus imposé par sa voisine anglaise conduira la population de la Réunion à la famine et à la ruine, et c’est une colonie au bord du sous-développement que vient enfin délivrer, en novembre 1942, le Léopard, un navire des Forces françaises libres.
La République fait alors l’effort d’inclure dans son giron administratif ces colonies qui ont tant souffert et vote la départementalisation de l’île le 14 mars 1946. Il faudra cependant attendre de longues années avant de voir les capitaux de la métropole venir améliorer les conditions économiques de son nouveau département d’outre-mer. Les progrès sont néanmoins flagrants dans de nombreux domaines et plus particulièrement dans celui de la santé, de l’hygiène et de l’éducation.
Les armoiries de la Réunion
Le dernier blason qui sert aujourd’hui d’armoiries à la Réunion fut dessiné en 1925 pour l’exposition réunionnaise sous la direction d’Emile Merwart, gouverneur à la retraite. Il s’agit d’un écu divisé en quatre quartiers au centre duquel trône l’écusson aux couleurs de la République française.
Les quatre quartiers représentent tour à tour une figuration héraldique de l’île (onde d’argent baignant un fond vert où se profilent des montagnes, dont un volcan surmonté de trois M majuscules pour 3 000 m en chiffres romains), la première prise de possession de l’île (vaisseau Saint-Alexis stylisé sur une onde d’argent et sur un fond bleu et rouge représentant le blason de la ville de Dieppe, port d’attache du navire), l’ancien nom d’île Bourbon (trois fleurs de lis sur fond azur) et la floraison tropicale – ou la période Empire – (semis d’abeilles d’or sur fond pourpre).
Le blason est surmonté de la devise de la Compagnie des Indes « florebo quocumque ferar » (je fleurirai partout où je serai portée) et encadré par une liane de vanille fleurie portant des gousses.
La marche du progrès (1960-2012)
Mais c’est surtout dans les années 1960 et grâce au coup de pouce d’un enfant du pays, Michel Debré, alors ministre du général de Gaulle, que la Réunion entre de plain-pied dans l’ère de la modernité. Dès lors, la course au développement s’intensifie et le tissu industriel se diversifie, malgré les contraintes de la taille du territoire et de son éloignement.
L’agriculture et ses dérivés subissent les aléas des crises successives mais continuent bon gré mal gré à participer de manière vitale à l’économie de l’île, comme le tourisme naissant. Après une brève période d’agitation sociale au début des années 1990, le gouvernement de la République a finalement mis en place l’égalité sociale entre les DOM et la métropole ; l’ensemble des prestations sociales et familiales de l’île ont été alignées sur celles de cette dernière.
En ce début de troisième millénaire, les enjeux demeurent néanmoins de taille pour la Réunion qui doit plus que jamais faire face à des problèmes de chômage au sein d’une population dont 60 % ont moins de 30 ans. Un problème qui, avec la cohésion sociale, le développement des équipements urbains et l’environnement, constitue le nerf du développement à venir de l’île et le pari sur l’avenir auquel elle devra répondre.
Repères chronologiques
3 millions d’années av. J.-C. : jaillissement du piton des Neiges.
500 000 ans av. J.-C. : effondrement du massif du piton des Neiges et formation des cirques.
380 000 ans av. J.-C. : naissance du piton de la Fournaise.
Moyen Age : découverte de l’île par les Arabes. Ils la nomment Dina Margabin.
1507-1512 : découverte des Mascareignes par les Portugais qui nomment ainsi l’archipel en l’honneur de l’un de leurs grands capitaines Pedro Mascarenhas.
1638 : première prise de possession de l’île par la France et Salomon Goubert. Elle prend le nom de Mascarin. Saint-Paul devient la première capitale de l’île.
1646 : arrivée des premiers colons exilés en provenance de Madagascar.
1649 : deuxième prise de possession par Etienne de Flacourt, gouverneur de Fort-Dauphin. L’île prend le nom de Bourbon.
1665 : début de la colonisation véritable par Etienne Régnault et un groupe de 20 colons. Création de Sainte-Suzanne.
1669 : création de Saint-Denis.
1669 : introduction de la culture du café.
1735 : Mahé de La Bourdonnais devient gouverneur général des Mascareignes et Saint-Denis la capitale de l’île Bourbon à la place de Saint-Paul.
1767 : le pouvoir royal remplace celui de la Compagnie des Indes, Pierre Poivre est nommé intendant général des Mascareignes.
1770-1810 : grande époque du café Bourbon.
1793 : l’île prend pour la première fois le nom de Réunion sous la Convention.
1794 : première loi sur l’abolition de l’esclavage sans réelle application. Apparition de la canne à sucre qui remplace peu à peu le café.
1810 : la Réunion tombe aux mains des Anglais.
1815 : l’île est rendue au roi de France et reprend le nom de Bourbon. Séparation définitive avec l’île de France qui prend définitivement le nom d’île Maurice.
1819 : introduction de la vanille.
1841 : découverte du procédé de fécondation artificielle de la vanille par Edmond Albius.
1848 : abolition définitive de l’esclavage ; l’île reprend le nom de la Réunion.
186 : crise sucrière.
1887 : création de la ville du Port.
1918 : mort de Roland Garros dans le ciel de France.
1929 : première liaison aérienne avec la France.
1946 : l’île de la Réunion devient département français d’outre-mer.
1958 : création du PCR (Parti communiste réunionnais) par Raymond Vergès.
1975 : remplacement du franc CFA par le franc français.
1982 : la Réunion devient une région française.
1991 : émeutes du Chaudron.
1996 : alignement du Smic sur celui de la métropole.
2002 : passage à l’euro.
2005 : épidémie de chikungunya. Un Réunionnais sur trois est touché.
2007 : création du parc national de La Réunion (le 9e de France).
2009 : ouverture de route des Tamarins, une magnifique et coûteuse route express reliant Saint-Paul à l’Etang Salé.