Les bouches de Kotor : d’Herceg Novi à Risan
Souvent qualifiée de plus grand et plus beau fjord d’Europe méridionale, cette région au climat délicieux a été marquée par une longue présence vénitienne.
Un fjord méridional
Les bouches de Kotor constituent un ensemble géographique unique qui a depuis longtemps favorisé les établissements humains. S’enfonçant profondément à l’intérieur des terres, ce fjord est en réalité constitué de quatre baies.
Deux d’entre elles, celles d’Herceg Novi au nord et de Tivat au sud, constituent le golfe extérieur, au climat très clément. Après le détroit de Verige, où le fjord se resserre sur quelques centaines de mètres, on entre dans le golfe intérieur, inscrit au patrimoine de l’Unesco, formé des baies de Risan et de Kotor. La proximité des montagnes rend le climat plus rude et, au solstice d’hiver, certaines localités ne voient pas le soleil de toute la journée.
Herceg Novi et ses environs
Herceg Novi
A 43 km à l’ouest de Kotor.
Herceg Novi se distingue par sa topographie accidentée. On lui a donné le surnom de « ville des escaliers ». Dans la partie ancienne, entourée de murailles et pavée de galets, il faut s’habituer à monter et descendre ces innombrables skaline, qui ont l’avantage de multiplier les points de vue photogéniques.
Rappel historique
Fondée en 1382 par le prince bosniaque Trvtko, Herceg Novi ne jouit que d’un siècle d’autonomie avant d’être conquise par les armées turques de Bajazet II en 1482. Son emplacement stratégique à l’entrée des bouches de Kotor en fait un objectif privilégié des grandes puissances de la Méditerranée.
En 1538, les Espagnols, emmenés par l’amiral génois Doria, l’occupent brièvement : ils en sont délogés dès l’année suivante par le célèbre Barberousse.
Pour le plus grand plaisir de sa voisine et rivale Dubrovnik, la domination ottomane dure jusqu’en 1687, lorsqu’une flotte vénitienne, aidée par des chevaliers de Malte, fait flotter le gonfalon de Saint-Marc sur les murailles de la ville. Herceg Novi, sous son nom italien de Castelnuovo, restera vénitienne jusqu’à la chute de la Sérénissime en 1797.
L’époque de la Révolution française voit se succéder Russes, Français puis Autrichiens, dont le contrôle prendra fin en 1918. En ce début de XXe siècle, Herceg Novi comprend le profit qu’elle peut tirer de sa position privilégiée et développe ses équipements balnéaires. Sa végétation exotique, la douceur de son climat – les mimosas fleurissent en masse en janvier – en font désormais un lieu de villégiature des élites d’Europe centrale.
Stari Grad (Vieille Ville)
Objet de disputes entre puissances ennemies, Herceg Novi se devait d’être efficacement fortifiée. Les murailles qui enserrent la vieille ville et les monuments militaires constituent une grande part de son patrimoine bâti. S’il ne reste que quelques pans de la citadelle, en bordure de quai, la forteresse Forte Mare toute proche a mieux résisté. Elle symbolise la succession des périodes historiques : contemporaine de la fondation de la ville à la fin du Moyen Age, elle était encore le dispositif militaire principal à l’époque des Vénitiens.
Ils en conservèrent la base et les canons datant de l’époque turque dans leurs travaux de renforcement menés à partir de 1687. Elle le demeura aussi sous les Autrichiens, à partir de 1815. Au cœur de la vieille ville, Kanli Kula faisait frémir par son seul nom : cette « tour du sang », bâtie dès les premières années de l’occupation turque, était utilisée comme prison.
Le bâtiment le plus reconnaissable de la ville est cependant la Sat Kula, qui sert de porte d’entrée occidentale. Malgré son nom turc, cette tour de l’Horloge ne fut construite qu’au XIXe siècle sous l’administration autrichienne. Près de la principale fontaine de la ville, la fontaine Karača dont les conduites en pierre datent du XVIIe siècle, se trouve la porte du même nom, qui ferme l’accès oriental d’Herceg Novi.
Le centre ancien conserve plusieurs églises. Sur la place Balvista, la plus animée, l’église Sv. Mihail (Saint-Michel) a été construite au début du XIXe siècle sur l’emplacement d’une ancienne mosquée, dans un pot-pourri de styles mêlant le gothique, le byzantin et l’islamique.
Au sud, l’église Sv. Jeronim (Saint-Jérôme) porte le nom du protecteur de la ville. Elle date du XIXe siècle et abrite des fresques du célèbre peintre baroque de Perast, Tripo Kokolja, sauvées lors de la démolition de l’église préexistante.
Tour Spanjola
Son nom, « tour espagnole », rappelle simplement que sa construction débuta lors de la brève incursion des Habsbourg espagnols en 1538. Pour voir de près cette imposante bâtisse quadrangulaire aux tours circulaires, il faut sortir de la ville ancienne en direction du nord.
Parc de la Boka
Planté de palmiers, d’agaves, de magnolias ou d’autres essences exotiques rapportées par les navigateurs de leurs voyages lointains, ce parc témoigne de l’extrême douceur du climat d’Herceg Novi. Juste au-dessus se trouve le Gradska kafana, un café à l’originale architecture liberty, empreint d’une atmosphère viennoise.
Topla
Le nom de cette localité, désormais un faubourg à l’ouest d’Herceg Novi, signifie « chaud ». Son climat clément a attiré des villégiateurs renommés comme Ivo Andrić (1892-1975), prix Nobel de littérature en 1961, qui y passa la fin de sa vie.
La Villa Andrić, qui accueille le restaurant de l’Union des écrivains, conserve certains souvenirs de l’artiste. Deux églises voisines forment un ensemble original : celle de Sv. Djordje (Saint-Georges), la plus ancienne, fut bâtie à la fin du XVIIe siècle sur des fondations turques, et celle de Sv. Spas (Saint-Sauveur) date de 1713. Leur intérieur est riche en icônes et en argenterie liturgique, et chacune possède sa propre iconostase.

Les bouches de Kotor Monténégro By: Dominique ROCHAT – CC BY-NC-SA 2.0
Villa Komnenović
Mirka Komnenovića br. 9. Ouvert du lundi au samedi de 9 h à 20 h en été, de 9 h à 18 h en hiver. Entrée payante.
Ce palais de style baroque tardif appartint à une grande famille locale. En contrebas de la Villa Andrić, il abrite le musée municipal d’Histoire d’Herceg Novi, créé en 1950.
On y trouve des collections très éclectiques, de l’Antiquité jusqu’à nos jours : des amphores romaines, une remarquable urne en terre cuite du Ve siècle av. J.-C., des bijoux illyriens, des bas-reliefs en pierre dont une stèle du XIe siècle, une collection d’icônes de la « dynastie » Dimitrijević-Rafailović, des objets d’art populaire et des outils agricoles.
Igalo
A 3 km à l’ouest d’Herceg Novi.
Cette localité toute proche de la frontière croate a exercé son attrait sur le maréchal Tito, qui y fit bâtir une immense demeure. La Villa Galeb est depuis utilisée comme résidence officielle de la République monténégrine pour accueillir des hôtes étrangers. La ville possède un autre atout : ses eaux thermales et ses boues thérapeutiques. Elles ont motivé la construction d’énormes structures de cure, comptant au total plus de 2 000 chambres qui attirent surtout une clientèle scandinave.
Nijvice
Tout près de la frontière croate, sur la pointe de Prevlaka, qui fut âprement convoitée pendant la guerre de Yougoslavie, se trouve une plage naturiste.
Manastir Savina (monastère de Savina)
A 2 km à l’est d’Herceg Novi. Ouvert tous les jours de 6 h à 20 h. Entrée libre.
Idéalement situé sur une colline, au milieu d’une végétation touffue de cyprès et pins maritimes, il offre une vue superbe sur la baie. On conçoit que ce monastère orthodoxe, dont la fondation remonterait au premier tiers du XIe siècle, ait attiré de grands esprits comme le prince-poète Petar II Petrović-Njegoš, qui y passa deux années d’études.
Il comprend les bâtiments monastiques, un cimetière et trois églises : la plus ancienne est placée sous l’égide du principal saint serbe, Save, qui en aurait lui-même posé la première pierre au XIIIe siècle. Elle conserve une croix en cristal de roche, supposée être celle du saint. En contrebas, se trouvent deux églises consacrées à l’Assomption de la Vierge. La plus petite des deux fut construite la première, au XVe siècle.
Ses fresques, de la même époque, illustrant des épisodes de la passion du Christ, sont attribuées à Lovro Dobricević, l’un des grands peintres de la région de Kotor. Avec sa coupole et son campanile, la grande église est l’œuvre de l’architecte Nikola Foretić, originaire de l’île de Korčula, et a été bâtie dans le derniers tiers du XVIIIe siècle. Elle possède une spectaculaire iconostase peinte par Simeon Lazović et son fils Aleksije, originaires de Bijelo Polje.
Le trésor du monastère est l’un des plus précieux du pays. Il contient de l’argenterie liturgique, des icônes et des manuscrits, dont la Krmcija, un recueil de lois du XVIe siècle. Certains objets, dont des reliquaires, proviennent du monastère bosniaque de Tvrdos. Lorsqu’il fut détruit par les Turcs en 1694, ses occupants trouvèrent en effet refuge à Savina.
Massif de l’Orjen
S’élevant à 1 895 m au-dessus d’Herceg Novi, c’est un lieu de promenade recherché. Le sol calcaire, soumis à de fortes précipitations, a été incroyablement raviné par les infiltrations et certaines zones, comme la « piste de danse des sorcières », au nom très parlant, sont tellement découpées qu’elles exigent une grande prudence. Si la montagne accueillait autrefois une abondante végétation de pins bosniaques, elle a été largement déboisée pour les besoins de la transhumance. Les itinéraires de randonnée sont soigneusement entretenus par les clubs alpins.
La route d’Herceg Novi à Risan
De ce côté des bouches de Kotor, la route est large et la visite aisée. Herceg Novi se situe à 27 km de Risan ; sur la première moitié du parcours, les centres habités forment une chaîne continue sur le littoral.
La passion selon Loti
Pierre Loti avait la passion de la Méditerranée et de l’Orient. Au Monténégro, il put assouvir les deux. Ses pages sur les bouches de Kotor sont exaltées : les « bleus irisés des montagnes », les « verts d’émeraude des myrtes », les « rouges des grenades » et un ciel « en blancheur de lave »…
En 1880, le marin Pierre Loti fit une escale de deux mois à Baošići, près d’Herceg Novi. Le temps d’emmagasiner des souvenirs esthétiques, mais aussi de tomber amoureux d’une jeune « gardeuse de chèvres ». Une aventure qu’il mettra en scène et publiera en feuilleton dans le journal Le Temps, à l’automne 1881, sous le titre Pasquala Ivanovitch.
Bijela
A 8 km à l’est d’Herceg Novi.
Le nom de cette petite ville de près de 5 000 habitants signifie « blanche » ; elle était pareillement nommée en latin (Alba). Ses chantiers navals, dont on aperçoit les grues, sont toujours actifs et détournent les baigneurs de ses plages. A la sortie de l’agglomération, vers l’intérieur des terres se trouve l’église de Bogorodica, dont une chapelle possède certaines des plus anciennes fresques de la région (début du XIIIe siècle).
Kamenari
A 11 km à l’est d’Herceg Novi.
Cette localité située au point le plus étroit des bouches de Kotor est sans intérêt majeur, si ce n’est que l’on y prend le ferry pour Lepetani, juste en face, pour économiser une vingtaine de kilomètres entre Kotor et Herceg Novi (4 € l’aller simple). Le calcul n’est pas toujours gagnant : la route étroite que l’on doit ensuite prendre, qui longe la rive sud du golfe de Kotor, ne laisse pas toujours passer deux voitures de front.
Le détroit des chaînes
Le point le plus étroit des bouches de Kotor, entre Kamenari et Lepetani, ne mesure que 300 m. Il a pris le nom de détroit de Verige, « chaînes » en serbo-croate. La légende veut que la reine illyrienne Teuta, connue pour ses activités de piraterie, ait choisi d’établir une barrière à cet endroit pour contrôler le trafic et protéger le golfe interne, notamment Risan où elle s’était établie.
Les deux caps entre lesquels était tendue la chaîne ont pris par la suite des noms symboliques : à l’ouest, le cap Turc (Turski rt) et à l’est, le cap de la Vierge (rt Gospa)…
Grottes de Lipci
A 6 km de Kamenari. Entrée libre.
Dans le village de Lipci, les archéologues ont découvert des peintures rupestres datant de l’âge du bronze (environ 1700 av. J.-C.). Elles représentent des animaux, avec notamment une scène de chasse au cerf.
Risan
A 4 km à l’ouest de Perast.
La ville, installée dans une anse, a plus de 2 000 ans. Elle fut le siège de tribus illyriennes et de la fameuse reine Teuta au IIIe siècle av. J.-C. L’hôtel, que l’on a baptisé de son nom, n’aurait sans doute pas comblé la reine. Gros bloc de béton posé sur la plage, il jure avec l’architecture vernaculaire en pierre.
Tombée aux mains des Romains, Risan y gagna de nouveaux monuments, comme cette mosaïque consacrée à Hypnos, dieu du sommeil (IIIe siècle), récemment restaurée avec la contribution de l’USAID (Agence des Etats-Unis pour le développement international). A la différence de ses voisines, la rue principale de Risan n’est pas parallèle au rivage mais perpendiculaire, comme pour symboliser la dimension moins maritime de la localité.
La reine Teuta
Elle n’a régné que fort peu de temps (231-228 av. J.-C.), mais peut s’enorgueillir d’avoir, comme Cléopâtre, inquiété la puissance romaine. Montée sur le trône d’Illyrie à la mort de son époux Agron, elle envoie ses navires jouer les corsaires dans toute la mer Adriatique.
Aux émissaires romains venus protester, elle répond qu’il s’agit d’une activité licite et fait exécuter l’un d’eux. La réponse ne se fait pas attendre : les légions romaines débarquent sur la côte dalmate en 229 av. J.-C., assiègent et prennent une à une les villes de la côte, jusqu’à ses fiefs de Risan et Skadar. Selon certaines versions, Teuta se serait suicidée en se jetant des murailles d’une forteresse (à Risan ou Hvar, dans l’actuelle Croatie).
Sa renommée a franchi les siècles : Chaucer la cite dans l’un de ses Contes de Canterbury…
Suivez le guide !
A la sortie de Risan, en direction de Morinj, se trouve la source de Sopot. Au printemps, elle se transforme en un torrent bouillonnant qui se jette dans la baie.
Crkvice
A 14 km au nord-ouest de Risan.
Ce petit village, que l’on atteint par une route en lacet, détient un record : c’est le plus arrosé du Monténégro, et d’Europe lors des années les plus pluvieuses. Il reçoit communément plus de 5 000 mm de précipitations par an, avec un record absolu en 1937 – plus de 8 m…
Grahovo
A 29 km au nord de Risan.
C’est le site de l’une des plus importantes batailles de l’histoire monténégrine. En 1858, l’armée turque y fut défaite. Cela marqua l’opinion publique européenne et joua un grand rôle dans la reconnaissance de la souveraineté du Monténégro au congrès de Berlin vingt ans plus tard.