Le centre : Cetinje
Encastrée entre les rudes montagnes du nord et le littoral riant, cette région est le berceau historique du Monténégro. Elle possède les plaines les plus fertiles et abrite deux capitales : l’actuelle, Podgorica, et l’historique, Cetinje.
Cetinje
La ville de Cetinje se trouve au cœur d’une vallée entourée de montagnes. Que l’on vienne de Podgorica ou de Budva, la route monte, atteint un col, puis redescend vers cet amphithéâtre naturel ; le parcours depuis Budva, notamment, offre un panorama spectaculaire sur le littoral.
Cetinje est particulièrement agréable en été, grâce à la fraîcheur que procure l’altitude, mais aussi à l’automne lorsque le feuillage des arbres assume des teintes dorées.
Rappel historique
Jusqu’à la fin du XVe siècle, cette vallée n’accueillait guère que des bergers en transhumance. Son destin change radicalement en 1482. Pour fuir l’avancée turque, le prince Ivan Crnojević abandonne sa capitale (l’ancienne Žabljak, près de l’actuelle Podgorica) et s’installe dans cette plaine qu’il estime mieux protégée.
L’un de ses gestes les plus significatifs est la fondation d’un monastère orthodoxe, qui se distinguera par son imprimerie dès la fin du XVe siècle et qui servira de conservatoire de la culture monténégrine. En effet, dès 1496, Ivan Crnojević est contraint de s’exiler en Italie. Les Turcs détruisent la ville naissante, à l’exception du monastère. Il faudra attendre de longs siècles pour voir ressurgir le destin de Cetinje sous l’impulsion de Petar II Petrović-Njegoš qui, désireux de renouer avec les racines nationales, y bâtit son palais en 1838.
Sa modeste administration y installe ses bureaux. L’essor connaîtra un coup d’accélérateur après 1878 : reconnu comme Etat indépendant au congrès de Berlin, le Monténégro se doit d’accueillir des légations étrangères. Les ambassades de France, d’Italie ou de Russie s’installent à Cetinje et constituent encore aujourd’hui un élément fondamental du patrimoine de la ville.
La constitution de 2007 a confirmé le choix de 1948 : Podgorica reste la capitale du pays. Cetinje bénéficie cependant du titre de « capitale historique » et c’est ici que se trouve désormais la présidence de la République. Cetinje possède les plus importantes collections du pays – que regroupent les cinq établissements du Musée national (Musée historique, galerie d’Art moderne, palais du Billard, musée du Roi Nikola, Musée ethnographique) –, et elle a su surmonter le syndrome de ville-musée grâce à l’implantation récente d’universités.
Rue Njegoševa
C’est la principale artère de la ville, qu’elle traverse du nord au sud. Son tracé rectiligne est scandé par plusieurs places, dont celle du roi Nikola (trg Kralja Nikole), puis la Balšića Pazar (marché Balšić) qui accueillait autrefois, comme son nom l’indique, le marché. En poursuivant vers le sud, on découvre l’ancienne ambassade de France, un bâtiment construit en 1911 sur les plans de l’architecte Louis Godet avec des décorations polychromes en céramique.
Juste après se trouve le palais de la Présidence de la République, qui occupe l’ancien bâtiment de la Banque hypothécaire, dans le plus pur style des années 1930. En haut de l’escalier d’honneur veillent deux statues martiales, un homme et une femme, qui symbolisent le peuple monténégrin. Derrière, deux autres vigiles, en chair et en os ceux-là, vêtus d’un uniforme rouge à galons dorés, montent la garde en permanence.
Cetinjski manastir (monastère de Cetinje)
Ouvert tlj de 8 h à 18 h. Entrée payante.
L’ancien monastère de Cetinje n’existe plus : il a été incendié par les Turcs en 1692. A son emplacement se dresse une petite église votive, Ćipur, édifiée par le prince Nikola Ier Petrović-Njegoš à la fin du XIXe siècle, et où ses restes reposent depuis leur rapatriement de la cathédrale russe de San Remo en 1989. Les seuls vestiges de l’ancien monastère sont quelques colonnes de sa chapelle, visibles à l’entrée.
Le monastère actuel a été bâti par le vladika Danilo Ier Petrović-Njegoš à partir de 1702, à une centaine de mètres du précédent, sur un site plus facile à défendre car à flanc de montagne – ce qui n’empêchera pas une nouvelle et ultime incursion turque en 1785. L’importance du monastère dans la vie de Cetinje et du Monténégro tient évidemment à la fonction du vladika, prince-évêque cumulant pouvoir temporel et religieux, qui y résidait.
A côté des bâtiments monastiques se trouve l’église dédiée à la naissance de la Vierge. Elle est particulièrement chère au cœur des Monténégrins car elle renferme la dépouille de l’un de leurs principaux saints, saint Pierre de Cetinje.
Un lieu fondamental du monastère est le trésor. Il conserve des pièces de très grande valeur, notamment des incunables issus des presses locales à la fin du XVe siècle et des missels vénitiens du XVIe siècle, des couronnes incrustées de pierres précieuses comme celle de Stefan Dečanski, du XIVesiècle, des croix en argent ciselé et en corail du XVIIe siècle et des parements liturgiques. Deux reliques font l’objet d’une vénération particulière : la main droite de saint Jean-Baptiste et un fragment de la Vraie Croix offert par saint Louis.
Biljarda (palais du Billard)
Trg kralja Nikole. Ouvert tlj de 9 h à 17 h. Entrée payante.
Petar II Petrović-Njegoš, l’une des grandes figures de l’histoire monténégrine (on l’appelle simplement Njegoš), est à l’origine d’une petite révolution en 1838. Alors qu’il est encore vladika (la séparation des fonctions religieuses et civiles sera réalisée par son successeur Danilo II en 1851), il quitte le monastère pour s’installer avec ses services dans le palais qu’il s’est fait construire à proximité.
Le nom du bâtiment, qui garde une physionomie toute défensive avec ses tours d’angle, peut sembler énigmatique : il provient de l’un de ses éléments de mobilier, une table de billard importée d’Italie par Njegoš, qui appréciait ce passe-temps. La fonction administrative du Biljarda n’a pas survécu à l’époque communiste. Il abrite aujourd’hui un musée dédié à Njegoš.
Tout ce qui peut rappeler le grand homme y est exposé : ses manuscrits, dont celui du plus célèbre ouvrage en langue monténégrine, La Couronne des montagnes (1847), ses habits et ses couvre-chefs, ses armes et sa correspondance, sa plume et son encrier. Les guides aiment à montrer le fauteuil spécialement modifié à sa demande pour qu’il puisse étendre ses jambes interminables (Njegoš aurait mesuré plus de 2 m). L’immense plan-relief du pays réalisé en 1917 à la demande de l’état-major autrichien est l’occasion d’un plongeon dans l’histoire.
Vladin Dom (palais du Gouvernement)
Novice Cerovića 7. Ouvert tlj de 9 h à 17 h. Entrée payante.
Nikola Ier Petrović-Njegoš, qui s’était fait construire une nouvelle résidence en 1867, endossa de nouveau ses habits de bâtisseur en 1908-1910. Il s’agissait alors de fournir un siège au gouvernement et au nouveau parlement qu’il s’apprêtait à concéder au pays par la constitution de 1910. Avec ses balcons à balustres typiques du style Renaissance, et son fronton à volutes représentatif du baroque, ce palais mélange allègrement les styles. Ses volumes généreux en faisaient un écrin idéal pour un musée. Il en abrite en réalité deux.
Galerie d’Art moderne
Elle usurpe quelque peu son nom. Si elle contient des œuvres de Renoir ou de Chagall et d’intéressants maîtres locaux de la même époque, comme Petar Lubarda, Branko Filipović-Filo ou Dado – ce dernier installé depuis longtemps en France –, elle est tout aussi remarquable pour sa collection d’icônes. Les productions italo-crétoises et russes des XVIIe et XVIIIe siècles peuvent être admirées dans d’autres musées du monde. En revanche, les chefs-d’œuvre peints par la famille Dimitrijević-Rafailović, active dans la région de Kotor au XVIIIe siècle, sont une spécificité locale. Le trésor le mieux gardé est l’icône de la Vierge de Philermos.
Les tribulations d’une icône
La Vierge de Philermos est l’une des reliques les plus vénérées de la religion orthodoxe. Portrait supposé de la Vierge peint par saint Luc, cette icône, en réalité réalisée autour de l’an 1000, a accompagné le destin des chevaliers de Malte jusqu’à la prise de l’île par Napoléon en 1798. Soumise à une série de voyages rocambolesques, elle passa successivement par Rome, par la Russie puis, après la chute des Romanov, par Copenhague et Berlin.
Confiée à la hiérarchie orthodoxe de Belgrade pendant la Seconde Guerre mondiale, on perdit ensuite ses traces. Elle fut retrouvée en 1952 par les agents secrets yougoslaves au monastère d’Ostrog, envoyée à Titograd (Podgorica), puis finalement remise aux musées de Cetinje. Depuis l’an 2000, elle est présentée dans une nouvelle chapelle bleue au musée d’Histoire.
Musée d’Histoire
Fondé en 1989, il tente de résumer l’histoire de la nation monténégrine depuis les temps préhistoriques. Les pièces les plus anciennes sont des pointes de flèche en corne (sixième millénaire av. J.-C.), des armes en bronze utilisées par les guerriers illyriens, et une stèle en pierre représentant le dieu Mercure (IIIe siècle). Suivent des monnaies en or, des sceaux et des documents, dont le concordat conclu avec le Saint-Siège en 1886.
Parmi les pièces les plus frappantes, on peut mentionner le drapeau criblé de balles à la bataille de Vučji Do en 1876 et un masque mortuaire d’un genre un peu particulier : il immortalise la tête du pacha turc Bushatli, que les Monténégrins coupèrent après leur victoire à Krusi en 1769…
Dvor Kralja Nikole I (musée du roi Nikola Ier)
Trg kralja Nikole. Ouvert tlj de 9 h à 17 h. Entrée payante.
Le roi Nikola Ier Petrović-Njegoš, au très long règne, se fit construire un nouveau palais à Cetinje en 1867. Il l’utilisa avec sa nombreuse famille pendant un demi-siècle, jusqu’à son départ en exil à Antibes en 1916. Dix ans après sa mort, l’édifice était déjà transformé en musée. Outre les souvenirs personnels du roi, qui mêlent monnaies, timbres, photographies, drapeaux et décorations, le musée reconstitue en partie les chambres avec leur mobilier d’époque – la chambre du couple royal, ou le salon diplomatique avec son lustre et ses portraits ovales.
La collection de livres contient plus de 10 000 titres, dont quelques raretés, à l’image du célèbreOktoih prvoglasnik, premier livre imprimé dans les Balkans du Sud en 1493-1494. Alors que sa façade était autrefois peinte en rouge sang de bœuf, le palais vient de changer brutalement de couleur, arborant désormais une livrée vert pistache.
Musée ethnographique
Autrefois installé dans le palais du Billard, il a pris son autonomie après le tremblement de terre de 1979 pour occuper, juste en face, l’ancienne ambassade serbe. Il offre un panorama complet des arts et métiers populaires monténégrins. A côté des inévitables pistolets ciselés, attributs essentiels des rudes montagnards, il expose des coffres peints, un métier à tisser reconstitué, des tapis et un ensemble remarquable de costumes traditionnels fastueusement décorés.

Cetinje Monténégro par: inthesitymad – CC BY-NC-SA 2.0
Les environs de Cetinje
Njeguši
A 15 km à l’ouest de Cetinje.
Pour les touristes, sa réputation provient surtout de ses spécialités culinaires : le jambon fumé (njeguški prsut) et le fromage (njeguški sir). Pour les Monténégrins, ce village est avant tout le berceau de la dynastie Petrović-Njegoš, qui a gouverné le Monténégro pendant plus de deux siècles, et notamment de leur célébrité préférée, Petar II.
Perché sur la montagne, avec la mer en ligne de mire, Njeguši a longtemps été un passage obligé entre le Monténégro central et le littoral contrôlé par les Vénitiens. Les gens du cru descendaient à pied au marché de Kotor pour y apporter leurs produits.
Les choses ont changé avec la construction de routes qui évitent le village – sauf pour les courageux que ne rebutent pas les innombrables lacets. Le prix est à la hauteur de l’effort consenti : le paysage qui s’offre lors de la descente vers Kotor est admirable.
Maison natale de Njegoš
Au centre du bourg. Ouvert tlj de 9 h à 17 h. Entrée payante.
Né en 1813 dans le village, Njegoš n’y est pas enterré, ayant exprimé dans ses dernières volontés le souhait d’être inhumé au sommet du mont Lovćen. La maison où il a vu le jour a été bâtie à la fin du XVIIIe siècle. Sa robuste ossature de pierre, la rusticité des pièces et du mobilier de bois montrent qu’il ne s’agissait pas d’un palais de représentation, mais d’une maison traditionnelle. Plusieurs cellules familiales devaient y cohabiter, tout en laissant de la place pour accueillir les animaux et ranger les outils agricoles. L’évocation du grand homme relève ici essentiellement du sentiment. Pour en savoir plus sur ses activités de poète et de souverain, une visite au palais du Billard à Cetinje est recommandée.
Les échelles de Kotor
C’était autrefois le chemin qu’empruntaient les paysans de l’intérieur pour acheminer leurs produits à Kotor. Son nom – les échelles de Kotor (ou de Cattaro en italien) – est explicite : cette route aux innombrables lacets parcourt depuis Cetinje un dénivelé de près de 1 000 m en quelques kilomètres. Le développement de la voie rapide côtière, qui passe par Budva, lui a fait perdre toute importance. La vieille route a été partiellement remise en état (à éviter cependant en hiver) et continue d’être une attraction touristique majeure grâce au panorama exceptionnel qu’elle offre sur la baie de Kotor.
Lovćen (massif)
A 21 km à l’ouest de Cetinje. Entrée payante au mausolée de Njegoš.
Visible de loin, c’est le massif qui a probablement inspiré aux Vénitiens le nom de « Montagne noire » pour qualifier cette contrée accidentée et boisée. Cette anecdote cadre bien avec son importance symbolique : le Lovćen, aujourd’hui parc national, est la « montagne sacrée » des Monténégrins.
A son sommet a été bâti le mausolée de Petar II Petrović-Njegoš, dont l’aspect actuel date des années 1970, avec une statue colossale du sculpteur croate Ivan Mestrović. Elle pèse près de trente tonnes et présente des affinités avec l’attitude du célèbre Penseur. Une coïncidence qui n’est pas fortuite : Meštrović fut l’élève de Rodin. Pour atteindre le mausolée, il faut être prêt à gravir près de 500 marches une fois que l’on aura garé son véhicule.
Les Monténégrins ne mesurent pas leur sueur : pour eux, la visite s’apparente bien à un pèlerinage. Ce mausolée symbolise en effet toutes les luttes qu’ils ont dû mener contre les envahisseurs. Bien qu’il ait été une cible militaire majeure, il a résisté à deux tentatives de destruction, par les Autrichiens durant la Première Guerre mondiale et par les Italiens au cours de la suivante.