Un peu délaissée du fait de son aspect austère, São Nicolau est encore peu touchée par le tourisme. Ses habitants, en majorité pêcheurs et agriculteurs, peuvent ressentir un certain isolement mais, enracinés à leurs terres fertiles et à leurs riches traditions, ils continuent à vivre avec fierté et courage. La communauté de São Nicolau perpétue les valeurs de solidarité et d’entraide qui lui ont permis de lutter contre les terribles famines et l’émigration. Tous les visiteurs louent l’extrême gentillesse des insulaires dotés d’un incomparable sens de l’accueil. Découpée, accidentée, mais assez accessible, l’île abrite des paysages grandioses, très typés, peu communs dans l’archipel. Elle sacrifie également à l’aspect balnéaire puisqu’on y foule des plages au sable noir basaltique dont les vertus médicinales sont réputées. A São Nicolau, le Cap-Vert d’antan perdure à travers la musique traditionnelle et les rituels sociaux ancestraux.
São Nicolau, le premier grenier du Cap-Vert
São Nicolau n’exerce plus dans l’archipel sa suprématie en matière d’agriculture mais bénéficie, dans une zone de moyenne altitude, de terres fertiles grâce à une pluviométrie conséquente : 800 mm/an à Faja de Cima. Au XVIIIe siècle, São Nicolau est le premier grenier du Cap-Vert. L’eau est abondante, les sources nombreuses et un peuplement conséquent conduit une communauté dynamique à développer une agriculture diversifiée : fruits, légumes, manioc, café, vignes, canne à sucre, etc. L’élevage du bétail est également important. Puis des fléaux s’abattent sur l’île : raids de pirates, sécheresses, famines, invasions de criquets et de sauterelles. Après bien des vicissitudes, la famine de 1950 lui porte un coup fatal. Mais une fois de plus, grâce au courage et à la ténacité des insulaires, les cultures redeviennent rentables.
La route de Faja de Baixo à Faja de Cima
La route qui mène de Ribeira Brava, le chef-lieu de São Nicolau, à Tarrafal sur la côte ouest, traverse la partie la plus verte de l’île, notamment entre Faja de Baixo et Faja de Cima. Les cultures se nichent dans les vallées (ribeiras) et sur le flanc des montagnes où elles s’étagent en terrasses. Au fur et à mesure que la route s’élève de Faja de Baixo (250 m d’altitude) à Faja de Cima (800 m d’altitude), la lumière peut changer soudainement. Des lambeaux de nuages s’accrochent aux pitons déchiquetés et le brouillard et la pluie engloutissent le paysage. Au gré des éclaircies, on aperçoit des silhouettes penchées sur leurs parcelles entourées de belles haies aux motifs entrelacés.
Sur la route, les hommes marchent en portant leurs outils agricoles, les femmes transportent de l’herbage. Au soir, ils rejoindront leurs pimpantes maisons peintes. Autour des fontaines publiques, des groupes bavardent en remplissant les bidons. De part et d’autre de la route, on discerne des cultures maraîchères, des arbres fruitiers, du maïs et les tiges graciles de la canne à sucre. Les ânes, les mulets et les élégants onagres se chargent du transport des précieuses denrées.
Les dragonniers de São Nicolau
Cette zone abrite l’emblématique dragonnier, l’un des arbres les plus anciens de la création, en voie de disparition mais moins rare qu’on ne le dit. On le rencontre en Macaronésie (archipels des Açores, des Canaries, du Cap-Vert et de Madère). Le suc de cet arbre, qui peut vivre 1 500 ans, sert à colorer le rhum local, le grogue.
Monte Gordo
La route vers Tarrafal se poursuit jusqu’à Cachaço, point de départ d’une belle randonnée sur le Monte Gordo, le point culminant de l’île (1304 m). Cette balade de 4 h (aller-retour) conduit à travers un massif forestier de conifères, d’eucalyptus et de sisals jusqu’au sommet pelé du monte Gordo dont le cratère abrite une petite plantation de café. En continuant jusqu’au col, on atteint un promontoire qui offre une vue magnifique sur l’île. Par très beau temps, on distingue quasiment tout l’archipel. Souvent, on se contentera d’observer les îles voisines et les îles montagneuses.
Suivez le guide !
La construction de la galerie de Faja qui permet de capter l’eau souterraine est un modèle d’ingéniosité. Depuis 35 ans, elle produit 800 m3/jour.
La descente vers Tarrafal
Les paysages entraperçus lors du survol de São Nicolau permettent de saisir la réalité géographique et humaine de l’île. Entre la terre ocre taillée au burin par la nature, les monts dentelés et les vallées verdoyantes, les contrastes sont forts. La partie ouest de l’île, quasiment désolée, n’en offre pas moins des ambiances fortes. De Cachaço à Tarrafal, une succession de monts dentelés et de gorges évoquent les décors de western. La route pavée file vers des hameaux dans une région aride surnommée « l’Altiplano du Cap-Vert » en référence à la Bolivie. Les jeux incessants de lumière donnent un relief saisissant à ce chaos minéral. Au fur et à mesure qu’on descend vers Tarrafal, le soleil gagne du terrain et la température remonte sensiblement.
Des traditions ancrées dans le quotidien
La vie quotidienne peut garder un sens caché : un jeune garçon jette une pierre à une jeune fille qui la ramasse, entérinant ainsi un long rituel. Le garçon écrit une lettre enflammée et un échange de cadeaux s’ensuit. La virginité de la promise est souhaitable. Si tel est le cas, cette dernière se présentera avec une fleur en bouton ; dans le cas contraire, avec une fleur ouverte. Après le consentement des familles, les fiançailles sont célébrées dans la maison de la jeune fille. Un an plus tard, le mariage a lieu. Le couple rejoint la chambre nuptiale décorée, et au matin le témoin de la mariée allume un feu d’artifice en criant « C’était le premier ! » et en exhibant le drap rougi. Sinon, le témoin se présentera avec une jambe de pantalon remontée jusqu’au genou signifiant que le marié peut encore refuser l’engagement.
Tarrafal
La seconde ville de l’île a dépassé le chef-lieu Vila da Ribeira Brava tant au niveau de la population que de l’économie, essentiellement basée sur les produits halieutiques. La construction par les Soviétiques d’un port bien abrité – l’un des meilleurs mouillages de l’archipel – a été déterminante. Les conserveries de poisson sont plutôt modernes et les fonds alentour poissonneux. Une communauté très active vit de la mer. Après le travail, les pêcheurs dorment à l’ombre de leurs barques multicolores alignées comme à la parade. Une partie de la production est exportée vers l’Italie. Au matin, sur les murets, sur les quais, sur des tonneaux, les poissons frais et salés sont disposés par des femmes aidées de leurs enfants. Ils vont sécher à l’air libre jusqu’au soir où ils seront rangés dans des casiers. Les couchers de soleil sur Tarrafal sont particulièrement spectaculaires : les maisons aux couleurs vives forment un contraste saisissant avec le sable noir et le relief accidenté en toile de fond qui prend des tonalités rougeâtres.
La mer omniprésente dans la vie des insulaires
La pêche, active à São Nicolau, reste en majorité traditionnelle. Elle est pratiquée dans les petits villages côtiers. Parfois, elle revêt des aspects plus insolites. Ainsi, à la sortie de Tarrafal, on découvre une étrange communauté : une famille de pêcheurs vit sur la plage dans une cabane aménagée. Les hommes réparent les filets à l’ombre d’une cannisse. La mère fume la pipe depuis l’enfance. Sur la plage d’un noir bleuté, bordée de rochers sombres, une petite fille regarde pensivement la mer près d’une barque jaune vif. Les fêtes, nombreuses à São Nicolau, se déroulent souvent sur les plages. Des files joyeuses s’y rendent à pied et le matin, après un week-end de concerts et de jeux où l’on élit toujours une reine, des silhouettes vacillantes, accrochées à un bidon de rhum, chaloupent sur la terre ferme.
La pêche sportive
La présence dans les parages d’une faune sous-marine riche et spectaculaire – de gros spécimens de requins notamment – attire les adeptes de la pêche sportive. De fait, ce sont les espadons et les célèbres marlins bleus habitués à croiser au large qui suscitent l’intérêt de spécialistes de plus en plus nombreux à visiter Tarrafal, dont la renommée s’étend sur toutes les mers.
Les plages de Tarrafal
Bien que la plupart ne soient pas toujours aisées d’accès, les plages autour de Tarrafal sont très fréquentées par les insulaires. Espaces de jeu, espaces festifs où l’on se réunit en clans et en familles pour fêter parfois des anniversaires, les étendues de basalte ont également des vertus curatives : leur sable noir contient du titane et une forte proportion d’iode qui soignent des affections rhumatismales, l’arthrite, ainsi que des maladies telles que le rachitisme ou l’arthrose. On rejoindra ces plages soit en louant des taxis, soit en partageant des aluguers, soit en se faisant déposer en bateau, soit en longeant à pied le littoral souvent déchiqueté. Des marches longues et difficiles compensées par la traversée de sites insolites, quasi lunaires.
Praia de Francês et praia da Luz
Situées au nord de la ville, elles sont facilement accessibles. La praia de Francês offre un espace intime et isolé. La praia da Luz est plus vaste et plus venteuse.
Plage de Barril
A 20 min en voiture, cette grande plage très prisée des insulaires se transforme parfois en discothèque balnéaire lors des week-ends.
Plage de Baia Debaicho de Rocha
Elle ne répond pas à l’image stéréotypée d’un blond ruban immaculé. C’est pourtant une superbe étendue de sable brun clair posée entre une mer transparente et un décor hallucinant de rochers déchiquetés surplombant d’étranges formations dues à des coulées de lave. De Tarrafal, les bons marcheurs parcourront ce no man’s land minéral en 2 h et pourront peut-être rentrer en profitant d’un 4×4. Les habitants de Tarrafal et des environs fréquentent cette plage le week-end.
De Tarrafal à Ribeira da Prata
La route continue vers Barril sur 20 km et s’arrête à Ribeira da Prata.
Praia Branca
Ce joli village littéralement accroché à la montagne est typique.
Ribeira da Prata
Le village abrite la Rocha Scribida. Le mystère de « la Roche écrite » divise : s’agit-il d’un témoignage très ancien d’un premier peuplement ou d’un simple phénomène géologique ?
Suivez le guide !
En contrebas de praia Branca, la piscine naturelle de Lagoa, fréquentée par les insulaires, est tous les mois le siège de fêtes. C’est un lieu idéal pour la pêche à la ligne.
Vila da Ribeira Brava
Fondé en 1653, le chef-lieu de l’île est une jolie ville (5 000 hab.) qui évoque la vie provinciale d’antan. Derrière les grandes maisons peintes dans des couleurs pastel, les jardins potagers sont nombreux et les coqs chantent. Des rues pavées et des ruelles plus étroites aboutissent sur la praça do Terreiro, un petit chef-d’œuvre de grâce et de simplicité, dominé par l’imposante cathédrale Nossa Senhora do Rosario érigée au XVIIe siècle. Face au jardin trône le buste du docteur Julio, bienfaiteur de São Nicolau, qui participa à la création du Calejao, le premier séminaire-lycée du Cap-Vert et de l’Afrique de l’Ouest, créé en 1869 et qui accueillit jusqu’en 1912 l’intelligentsia capverdienne.
De Vila da Ribeira Brava à Ribeira Funda
Une route mène vers les villages côtiers du nord-ouest de l’île. Cette zone révèle de très beaux paysages qu’on découvrira soit en aluguer soit en randonnée (une journée) ou encore en combinant les deux.
Entre Carvoeiros et Ribeira Funda
Les randonneurs profiteront des marches sur une route pavée qui surplombe le littoral, jalonnée de belles vues sur la mer et la montagne.
Après avoir rejoint Estancia Bras, ils gagneront le délicieux hameau de Ribeira Funda, tourné vers la pêche traditionnelle. Un sentier mène alors vers Faja de Baixo dans une zone fertile. Le retour sur Vila da Ribeira Brava peut s’effectuer en aluguer par Queimada, dans un cadre superbe. Une visite de la fabrique de rhum au trapiche de Queimada permet de découvrir l’élaboration artisanale de la boisson.
L’est de l’île
Peu peuplée, assez difficile d’accès, cette région est pourtant digne d’intérêt. Une piste mène jusqu’à Carriçal, le dernier village de l’île. Elle abrite des formations géologiques intéressantes : les caldeiras,anciens cratères volcaniques. Cette zone nécessite l’utilisation d’un véhicule adapté, de type 4×4.
De Vila da Ribeira Brava à Juncalinho
La route qui rejoint le littoral après une dizaine de kilomètres offre quelques-unes des plus belles cartes postales de l’archipel. Loin des clichés exotiques, des paysages à la grandeur sauvage défilent. On visitera l’impressionnante caldeira de Morro Alto avant de rejoindre Juncalinho, puis on empruntera une piste conduisant au village de Jalunga, une enclave verte dont la fraîcheur est due à une source. Le village de Carriçal, encore un bout du monde, vivote grâce à sa petite conserverie tournant au ralenti. Ultime vision : une petite plage bordée de cocotiers.
Le bon docteur Julio
Julio Jose Dias, fils du gouverneur de l’île, naît en 1805. Après ses études, il part à Paris étudier la médecine et, son diplôme en poche, rentre au pays pour se consacrer sans relâche à soigner les habitants de São Nicolau. En 1866, il est nommé officier médical du gouvernement. Il offre sa maison au Grand Séminaire qui formera l’élite intellectuelle du Cap-Vert et se retire en dehors de la ville. Il donne une source à la ville, lui permettant d’avoir enfin de l’eau potable. Il fait des donations aux pauvres de l’île de Madère et occupe plusieurs postes civils sans jamais réclamer un salaire. Le 3 septembre 1873, à 68 ans, il monte au dernier étage de sa maison, regarde l’horizon et dit à sa femme : « Anna, je vais mourir ! » et il s’écroule.