Où vont les Mauriciens stressés ? A Rodrigues. Pour l’industriel venu de Port-Louis ou de Phoenix, l’île apparaît comme un havre de paix. Pas d’embouteillage, presque pas de voitures. Ici, il y a dix ans à peine, ne circulait qu’un seul taxi et les gens se rendaient à pied de villages en villages. L’île a beau appartenir à Maurice, elle diffère complètement de sa grande sœur. Dans les ruelles de Port Mathurin ou de Mont Lubin, on ne croise ni Indien, ni musulman, ni Chinois. L’île est créole à 97%. Cette particularité lui confère un charme indolent. Encore plus que Maurice, Rodrigues demeure proche de la France. On y joue de l’accordéon et du violon. On y chante des romances dans la langue de Crébillon, le poète léger du XVllle siècle. L’île, entourée d’un immense lagon, se révèle fripée comme la peau d’un vieux saurien. Les cultures s’accrochent aux monts plissés. Plus aride que Maurice, Rodrigues n’en possède pas la luxuriance. Ses trente six mille habitants sont plus paisibles. La vie y coule, loin des usines et des zones franches. C’est ce calme et le cœur des Rodriguais qui séduisent et retiennent le voyageur. 

Rodrigues au fil de l’histoire

Diego Rodriguez, un pilote portugais, découvrit Rodrigues en 1528. Il lui donna son nom mais n’y aborda sans doute pas. L’île, entourée d’un vaste lagon et de dangereux récifs, attirait peu les navigateurs. Au XVlle siècle, les Hollandais y firent pourtant de nombreuses haltes pour s’approvisionner en tortues. Son premier habitant, François Leguat, y séjourna bien malgré lui. Après son départ pour Maurice, l’île resta à nouveau déserte. Seuls des pirates et des vaisseaux en route vers les Indes la fréquentèrent. Les tortues ayant disparu de Maurice et de la Réunion, ils venaient à Rodrigues pour faire provision de chair fraîche. Mahé de La Bourdonnais, Gouverneur général des îles de France et de Bourbon, organisa cette traite pour pallier les graves disettes qui sévissaient à Maurice. A partir de 1735, une petite troupe séjourna en permanence sur l’île. Elle y demeura jusqu’en 1791, date à laquelle la tortue disparut complètement de Rodrigues. Quatre ans plus tard, les premières familles françaises s’installèrent sur l’île. Les Gontier, Marragon, Monnier, Guatier allaient y demeurer, cultivant maïs et manioc en compagnie de quelques esclaves. En 1810, seize mille soldats britanniques s’y rassemblèrent avant d’attaquer Maurice. Leur succès sur les forces françaises allait donner Maurice et Rodrigues à l’Angleterre. La population commença à croître pour compter 3 000 habitants à la fin du XIXe siècle contre deux cents en 1825. L’île à vocation agricole, exporta des denrées alimentaires vers Maurice jusque dans les années trente. L’augmentation de sa population mit fin à ce commerce. Après la seconde guerre mondiale, l’île demeure en léthargie. A partir des années soixante, les Rodriguais supportent de plus en plus mal d’être considérés comme une simple dépendance de Maurice. Le désir d’une plus grande autonomie voit le jour. En 1967, ils votent massivement contre l’indépendance. Celle-ci fut pourtant acquise et l’île fut intégrée à Maurice. Depuis, Rodrigues envoie deux députés à l’Assemblée Nationale. Sans vouloir l’indépendance, les Rodriguais réclament toujours une plus large autonomie afin de mieux gérer leur destin. 

La cendrillon des Mascareignes

A six cents kilomètres de Maurice, la plus petite île de l’archipel des Mascareignes (avec Maurice et la Réunion) s’étire sur dix-huit kilomètres de long et huit de large. Bordée de plages et de côtes rocheuses, Rodrigues possède un lagon deux fois plus grand qu’elle où se trouvent une quinzaine d’îlots. La cendrillon des Mascareignes est assez aride avec des cultures en terrasses. Son relief tourmenté culmine à 393 mètres au mont Limon. 

L’île aux oiseaux

Ayant perdu son solitaire et ses tortues, la faune de Rodrigues se résume essentiellement aux oiseaux. L’Île aux cocos abrite de grands rassemblements de goélettes blanches et de noddis. La forêt qui surplombe Port Mathurin constitue le refuge préféré d’une chauve-souris spécifique à l’île. On la rencontre en grand nombre à la tombée de la nuit. Vous croiserez également des perdrix, le cardinal de Rodrigues, endémique, et si vous avez beaucoup de chance le très rare « oiseau la vierge », que l’on remarque à ses pattes bleues. 

Forêts et fleurs

Rodrigues a souffert de la déforestation. Lataniers, vacoas et filaos forment aujourd’hui les espèces les plus courantes. Ceux au noms poétiques tels que le bois puant, pipe ou gandine, tout comme le café marron sont fort rares. En revanche, dans les jardins vous trouverez un hibiscus aux fleurs roses qui ne pousse qu’ici, ainsi que des vieilles filles une plante semblable aux myosotis mais avec des fleurs orangées, très commune et délicieuse en infusion. 

Climat

Le climat est plus sec qu’à Maurice, comme en témoigne la végétation moins dense. De septembre à novembre la pluie est fort rare. La température moyenne est de 30°C de novembre à avril. Elle varie de 15 à 29°C de mai à octobre. Aucune inquiétude pour la baignade : la température de l’eau ne descend jamais sous les 23°C. 

Une économie rurale

Rodrigues est restée très à l’écart du développement de Maurice. Pauvre en infrastructures, l’île se sent délaissée. Sans zone franche ni industrie, le secteur public, la pêche et l’agriculture constituent les trois principaux pourvoyeurs d’emplois. Un tiers de la main d’œuvre est employée par l’Etat. La pêche, faute de gros bateaux, demeure artisanale et se limite au lagon. Les piqueuses d’ourites, un poulpe appelé localement « zourite » au pluriel, avec leur simple fouine, assurent plus de la moitié des prises. Les hommes pêchent avec juste un fil et au filet du 1er mars au 30 septembre. L’élevage, principalement de cochons mais aussi de vaches et de moutons, constitue la première exportation de l’île. Les agriculteurs louent les terres à l’Etat pour y planter maïs, patate douce, oignon et ail. Enfin, le tourisme devrait constituer l’un des facteurs de développement des années à venir. Les Rodriguais veulent encourager un tourisme convivial de tables et chambres d’hôtes plutôt que de grands hôtels. Reste à voir si ce pari sera tenu. 

Population créole

L’île compte 36 000 habitants, soit 3% de la population mauricienne. Cette population est homogène : elle est à 97% créole et catholique. Les rares Indiens travaillent en général dans la fonction publique alors que les petites communautés chinoise et musulmane tiennent les commerces. Cette population se décompose en « Rouges » et en « Montagnards ». Les « Rouges » descendent des quelques familles françaises établies à Rodrigues au début de la colonisation. Ils vivent souvent près des côtes, notamment vers la Baie aux huîtres. Ils ont gardé les yeux bleus ou verts de leurs ancêtres. Les Montagnards descendent quant à eux des anciens esclaves africains et malgaches qui s’établirent dans l’arrière-pays lors de l’abolition de l’esclavage. Au cours des dernières années la population a peu augmenté ; beaucoup de Rodriguais émigrant vers Maurice, l’Australie et d’autres pays. 

Gastronomie

Tout est bon dans le cochon. Et les cochons de Rodrigues sont excellents. Les Anglais, qui occupèrent l’Île, apprirent aux Rodriguais à préparer le bacon et le jambon fumé. La cuisine rodriguaise comporte d’une manière générale beaucoup de porc, mais aussi de poissons et d’haricots rouges. Un repas traditionnel comprend un bouillon de poisson, une rougaille d’ourites, des haricots rouges et une purée de maïs. Ce légume constitua la base de la nourriture rodriguaise avant d’être peu à peu supplanté par le riz. Les Rodriguais ont pris l’habitude d’en consommer à la suite de sécheresses qui les privèrent de leur précieux maïs. On accompagne ces plats de piments limon – citron – ou mangue qui sont extrêmement forts. L’île n’est guère riche en fruits, mais on y trouve ces petits limons qui sont délicieux pressés en jus. Quant à la tourte rodriguaise, elle se compose de coco, de cannelle et de papaye confite.

Fêtes

Les Rodriguais célèbrent toutes les fêtes catholiques, mais ils s’enthousiasment surtout pour la « banané », la nouvelle année. Pour ces huit jours de fête et de « ripaille », chaque famille tue un cochon qu’elle prépare en grillades, boudins, gratons. L’un des autres moments forts a lieu début mars pour l’ouverture de la pêche au filet. Quelques unes des mille pirogues de l’île se rassemblent pour fêter l’événement. 

Musique

Rodrigues possède une tradition musicale solidement ancrée. Lors des « fancy fair », les kermesses locales, et le soir dans les deux grands hôtels, vous aurez l’occasion d’entendre des groupes dont les noms sont déjà un poème: « Ziskakan », « Bois sirop du bois dur » ou « Réveille Plaine Coco ». La musique rodriguaise mêle des apports européens comme l’accordéon, à des rythmes africains. Le sega tambour avec accordéon est nettement plus rapide que celui de Maurice. Ses paroles servent souvent à moquer gentiment ses voisins. Un orchestre traditionnel comporte un bobre (percussion en bois), deux triangles, des tambours et boites de conserve et surtout un accordéon diatonique. Cet instrument serait apparu au XIXe siècle avec la venue des marins. Il s’est propagé au lendemain de la première guerre mondiale lorsque des soldats en rapportèrent d’Europe. D’Europe également est venue la tradition des romances et des danses. Vous aurez souvent l’occasion de danser la polka, le lavai (valse), le kotis (scottish) ou encore le mazok (mazurka). Aujourd’hui, les vedettes de l’î1e s’appellent Gonzague Pierre-Louis, un chanteur aveugle, Edouard Doyal devenue star avec sa chanson « Cryééé », ou encore Betsy et le groupe Racines. A Rodrigues personne ne vit de la musique, mais tout le monde la vit intensément. 

Le Tour de Rodrigues

L’île ne faisant que dix-huit kilomètres de long, on en fait vite le tour, ce qui ne veut pas dire qu’on la découvre en un jour. Rodrigues en fait ne se visite pas vraiment, mais se vit. L’idéal est de s’y promener, de boire un petit rhum le dimanche lorsque les Rodriguais s’installent sur la plage pour un barbecue, puis d’aller à une « fancy fair », kermesse, pour un sega endiablé. Quand la semaine recommence, on part en pirogue, pour une petite pêche ou tout simplement pour admirer les piqueuses d’ourites. Ou on fait le tour de l’île. 

Port-Mathurin

La capitale se lève et se couche tôt. A partir de quatorze heures elle se vide de ses fonctionnaires et plonge dans un calme presque absolu. Elle ne compte, il est vrai, qu’une poignée de ruelles qui se coupent à angle droit. Elle s’anime surtout pour le marché du samedi (y arriver très tôt) et lorsque les îliens affluent pour revoir leurs amis ou vendre leurs troupeaux aux commerçants mauriciens débarquant du Mauritius Pride. En s’y promenant on découvrira des bazars, une charmante église en bois et la résidence du gouvernement. 

Pointe Vénus

En 1761, l’abbé Pingré y observa le transit de Vénus pour calculer la distance entre la terre et le soleil. En 1901, les Britanniques y posèrent un câble destiné à faciliter les communications entre Maurice et l’Australie. La maison coloniale qui domine la route fut importée en pièces détachées du Royaume-Uni après avoir été primée à Londres lors d’une exposition consacrée aux maisons idéales. Elle a été jusqu’aux années 80 le seul hôtel de l’île commercialisé par Air Mauritius. Il est question de la rénover pour la transformer en centre culturel.

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