Vigie redoutée du Cap-Vert, l’île de Fogo est quasiment visible dans tout l’archipel par temps clair grâce à son volcan très actif qui culmine à 2 829 m. Autour du cône, des paysages dantesques émerveillent ou suscitent une sourde inquiétude. Le clan des Montrond de Cha das Caldeiras, la seule communauté au monde à vivre dans un cratère en activité, cultive un fatalisme serein et une belle joie de vivre : le volcan attire les nuages et la pluie salvatrice. Et tout pousse sur la lave. Fogo ne peut laisser indifférent. Sa noirceur plaira aux romantiques et, à l’opposé, les couleurs chatoyantes de la très jolie ville de São Filipe raviront les âmes moins tourmentées. Fogo n’est pas une destination balnéaire idéale mais le littoral découpé offre de beaux paysages et les insulaires, émigrants dans l’âme et cosmopolites, ont un sens très développé de l’accueil. L’île est propice à de belles randonnées qui mènent à des lieux surprenants car très fertiles.

Le Fogo, une divinité protectrice et destructrice 
Fogo suscite un double sentiment d’attirance et de répulsion. Pour certains, le volcan est une sorte de divinité à deux faces : l’une, positive, symbolise la fertilité, l’autre, négative, exprime le destin menaçant. Une dizaine d’éruptions ont secoué l’île et lors de la plus violente, en 1785, l’explosion envoya des projections à 150 km. Des insulaires rejoignirent alors l’île de Brava ou se décidèrent à faire le grand saut en Amérique. Tout le monde admet que cette énergie tellurique vivante a une influence sur le tempérament des habitants de Fogo. La dramaturgie du Fogo est adoucie par le clan des Montrond qui, loin de se poser en victime expiatoire, profite des bienfaits du volcan. L’éruption brutale de 1951 n’a causé aucune perte humaine, pas plus que celle de 1996, très médiatisée grâce à une suite de hasards heureux : la double présence sur l’île d’une équipe de la télévision nationale et d’un géologue réputé qui ont permis la réalisation en direct d’un formidable spectacle relayé par les chaînes internationales. La majorité des habitants du cratère avait été évacuée, excepté une poignée d’irréductibles persuadés du bien-fondé de leur analyse : la direction des coulées de lave les épargnerait. Ils avaient raison. Près du feu, on n’a pas froid aux yeux. Ainsi en 2000, lorsque la terre a de nouveau tremblé, les géologues ont prédit une éruption. Les « danseurs du volcan » ont alors escaladé le cône, observé les fumerolles, effectué quelques relevés sommaires de température et ont livré leur verdict : « Non, il ne se passera rien ! » Même si la méthode empirique reste très relative en volcanologie, les Montrond ont prouvé qu’une fois de plus ils avaient échappé au pire. Pour combien de temps ?

Le rôle de Fogo dans l’histoire du Cap-Vert 
Bien que Ribeira Grande ait été le premier grand foyer de colonisation et de peuplement de l’archipel, l’île de São Filipe a toujours tenu un rôle important dans l’histoire du Cap-Vert grâce à ses ressources agricoles et à une petite industrie textile. Une société esclavagiste s’implanta rapidement dans l’île qui commença à exporter du coton, du café, du vin et des produits de première nécessité – du savon et de l’huile d’éclairage – obtenus à partir d’une plante endémique, la purgueira.L’économie florissante de l’île tenait en partie à la fabrication de panos, des pagnes de coton tissés très recherchés à l’époque. La création d’une tannerie et l’élevage de bétail et de chevaux permirent également aux commerçants de s’enrichir. La société esclavagiste fortement hiérarchisée occasionna des excès qui entraînèrent de nombreuses révoltes et rébellions, lesquelles encouragèrent les premières velléités indépendantistes au XIXe siècle. Ces revendications furent appuyées par de nombreux insulaires car Fogo reste l’île des émigrants. Les mœurs américanisées de certains d’entre eux alimentent les conversations des anciens mais personne ne se plaindra sur l’île de la présence de 4×4 rutilants ni de jeunes rappeurs.

São Filipe

La ville principale a longtemps donné son nom à l’île de São Filipe jusqu’à ce que l’éruption violente du volcan en 1785 chasse de nombreux insulaires vers Brava. L’île fut alors rebaptisée Fogo : le Feu. São Filipe pourrait revendiquer le titre de plus jolie ville du Cap-Vert. On évoquera plus sûrement son charme en utilisant le terme de « bourg » au vu de sa population d’environ 6 000 âmes. 

Les « sobrados » de São Filipe 
On trouve dans tout l’archipel ces anciennes demeures de maîtres qui hébergeaient les colons portugais, mais c’est à São Filipe que l’on peut observer l’ensemble architectural le plus homogène. Bâties sur deux étages, ces maisons de style portugais comportent des galeries extérieures en bois ou en fer forgé. Elles sont peintes dans des couleurs pastel et leur toit, constitué de tuiles rouges, leur confère une tonalité très chaude. Beaucoup d’entre elles sont à l’abandon. L’histoire des sobrados est indissociable des évolutions sociales puisqu’à partir des années 1930, les Métisses – la classe intermédiaire entre les Noirs et les Blancs – ayant émigré et s’étant enrichis ont démantelé les hiérarchies rigides en rachetant les sobrados aux commerçants blancs affaiblis économiquement et financièrement. São Filipe est une agglomération ouverte, aérée, située dans un cadre pittoresque.

La ville haute et la ville basse 
La ville peu étendue mais très pentue gagne à être découverte depuis les hauteurs d’Alto de Aguadinha.Des ruelles et des rues pavées mènent à de nombreuses petites places décorées de massifs de fleurs et plantées d’arbres. Des lieux de rendez-vous prisés par les citadins. L’Alto de São Pedro est réputé pour ses cavalcades, des spectacles à cheval hérités des traditions portugaises qui ont lieu à l’occasion de la fête de Nossa Senhora de São Filipe, le 1er mai. Plus bas, le Largo da Cadeia Civil édifié au début du XIXe siècle en l’honneur de la reine Carlota Joaquina surprend. Cet étonnant édifice autrefois fortifié a été transformé en bâtiment de douane puis en hôpital. On atteint ensuite la place du 4-Septembre qui regroupe l’ensemble architectural le plus cohérent.

Marché de São Filipe 
Au centre de la ville, le petit espace dévolu au marché évoque l’Afrique malgré le « look » très typé de certains clients, des émigrants résolument habillés à l’américaine. Les ménagères inspectent les étals et les productions posées sur le sol : fruits, tomates, carottes, salades, igname. A l’entrée, des garçons virevoltent avec leurs cuvettes remplies de petits poissons. Plus loin, un homme accroupi devant un cageot propose des steaks de thon. Encerclé, assailli, il attrape les billets, jette les morceaux saignants dans un sac plastique et tente de contenir l’impatience de la foule qui grossit.

Belvédères de São Filipe 
La ville, située sur un promontoire qui surplombe le littoral à une centaine de mètres en contrebas, offre de nombreux points de vue sur les plages. La jeunesse capverdienne aime s’y retrouver. Le regard plonge sur un long cordon de basalte aux nuances moirées. Cette étendue est rarement déserte. Elle est piquetée de silhouettes. Les baigneurs à la peau sombre, vêtus de maillots de bain aux couleurs vives, mouchettent la plage. Ils ne s’éloignent pas du bord et l’on comprend, lorsqu’une barque de pêcheurs ballottée par l’écume blanche s’approche de la grève, que la mer n’est pas vraiment sûre.

La route du volcan

On peut effectuer une excursion d’une journée, voire d’une demi-journée (le strict minimum), au volcan car parfois les nuages s’accrochent en altitude. Mais seul un séjour dans le cratère permettra de s’immerger dans cet univers fantastique. De plus, les plus belles excursions dans l’île en sont proches. On peut rejoindre le cratère du Fogo avec des aluguers collectifs (500 CVE, soit 5 €). Il est également possible de louer un aluguer (6 000 CVE, soit 58 €) ou un truck à plusieurs (7 000 CVE, soit 67,50 €). Le trajet aller direct prend environ 1 h 30 et certaines portions de route ne sont pas en très bon état. 

Armand Montrond, seigneur du cratère 
Auréolé d’une vie mystérieuse, tour à tour assimilé à un comte, un révolutionnaire, un duelliste, un savant, un aventurier, ce héros qui aurait pu surgir de l’esprit d’Alexandre Dumas a peut-être été tous ces personnages à la fois. Il rejoint l’île de Fogo au XIXe siècle. Grâce à une probable connaissance de la médecine, il prodigue ses soins et suscite une vive sympathie chez les insulaires. Marié, cet habile commerçant devint prospère tout en pratiquant son hobby favori : la séduction. Sa considérable progéniture est difficile à estimer bien que le Don Juan de Fogo ait reconnu tous ses enfants légitimes. Il a développé la culture de la vigne en créant un vin rosé : le clarete.

En aluguer collectif 
C’est bien sûr le moyen de transport le plus authentique. Les contacts se nouent rapidement. Le grand intérêt du voyage, outre son coût peu élevé, est de découvrir la vie quotidienne des insulaires de Fogo. Un habitat très dispersé et un trafic réduit confèrent aux aluguers une nette fonction d’omnibus. Parfois, on attendra une femme qui reviendra avec une bouteille de gaz ou un agriculteur en quête d’outils prêtés à un cousin en vadrouille. Tout dépend de l’ordre du jour, de l’air du temps et de la compassion du chauffeur.

Suivez le guide ! 
Il est aussi possible de partir avec Patrick, le patron de la fameuse Poussada Pedra Brabo, installée sur le cratère. ll vous emmène sur place pour 500 CVE.

En louant un aluguer ou un truck 
Cette formule garantit un trajet direct sauf si les loueurs, les « propriétaires » occasionnels, décident d’en amortir le coût onéreux en en faisant profiter les marcheurs. Certains chauffeurs prétextant un emploi du temps chargé n’apprécient pas, d’autres au contraire sourient avec bienveillance. Le voyage en truck sur des bancs à l’extérieur, bien que peu confortable, autorise une vision panoramique.

De São Filipe à Achada Furna 
La route s’élève progressivement dans une zone aride dont la pluviométrie est cinq fois moindre qu’autour du volcan. Les cultures apparaissent entre Lagariça et Cidreira puis la route bifurque à droite pour longer le rempart minéral infranchissable. Un habitat sporadique laisse entrevoir de belles maisons, des résidences secondaires, quelques grosses fermes et d’anciennes bergeries. Puis, dans le village d’Achada Furna, la route part à angle droit vers le volcan.

D’Achada Furna à Cha das Caldeiras 
De la route qui devient moins carrossable, on aperçoit des bâtiments d’un délicieux rose bonbon puis un bloc architectural de couleur vive qui a accueilli la communauté déplacée du volcan. Celle-ci, indifférente au confort et aux injonctions des autorités, a vite réintégré son cratère. On guette le volcan mais son sommet ne sera visible qu’après avoir contourné une barrière rocheuse. Le Fogo a quelque peu perdu de sa superbe puisque l’effondrement de son cône lui a ôté 900 m d’altitude. A contre-jour, le sommet peut paraître modeste (800 m de hauteur) mais nous sommes déjà à 2 000 m et la vraie découverte est à venir.
Près d’Achada Furna, une visite de la « résidence » bâtie par l’Union européenne pour les sinistrés de 1996 s’impose, histoire de la comparer avec les habitats sommaires du cratère.

Cha das Caldeiras 
La « magie noire » commence à opérer dès que la route se retrouve bordée à droite de rochers rouges et ocre et à gauche de coulées solidifiées, griffées de dessins géométriques brillants. Cet amoncellement compact s’étend dans un chaos minéral puis la route s’incurve et, au bout d’une ligne droite, deux portes monumentales, des éperons rocheux, marquent l’entrée du cratère qui couvre une superficie d’environ 40 km2. C’est une cuvette constituée de cendre de scories et hérissée de vestiges de projections rocheuses.

Villages de Portela et Bangaira 
On ne trouve aucun équivalent au monde de ces deux villages constitués de maisons basses en pierre de lave, de fermes et de jolis bâtiments décorés d’un quadrillage noir et blanc. La couleur noire règne à perte de vue et les silhouettes squelettiques des arbres disséminés sur la lave n’incitent pas toujours à la gaieté. Pourtant, le lieu est très fertile. Dès les premières pluies, le miracle s’accomplit presque en temps réel, un tapis vert se forme rapidement. Les fruits poussent et le raisin gonfle. Tout aussi surprenante, la communauté du cratère répond presque exclusivement au patronyme de Montrond, un Français exilé qui a marqué profondément les esprits. Cette appartenance fait la fierté des descendants d’un personnage quasi légendaire. Mais ce métissage original – peaux claires, cheveux blonds et frisés, yeux verts et bleus aux reflets mordorés – n’est pas étranger à l’existence d’une communauté allemande qui s’est longtemps maintenue dans ce véritable bout du monde.

Ascension du Fogo 
Il est préférable de l’effectuer le matin de bonne heure, ne serait-ce que pour assister au lever du soleil sur le Fogo et profiter d’une certaine fraîcheur. Progressivement, le disque solaire accroche le sommet qui rougeoie. Les 800 m d’escalade sur un terrain très meuble (de la poussière volcanique) nécessitent une bonne condition physique. Le port de chaussures montantes et de grosses chaussettes est vivement conseillé. Les sportifs rejoindront le sommet en 2 h, les autres en mettront 3. Bien que l’accompagnement par un guide ne semble pas s’imposer, la présence d’un homme de terrain, un habitant de la caldeira, s’avérera aussi conviviale qu’utile pour une meilleure découverte du lieu. La descente est propice à des expériences plus originales : le surf sur lave notamment ou une course en dégringolade, une pratique très prisée par les Anglais. Une descente normale prend 30 min.

Les vins de Fogo 
Cultivé depuis le XVe siècle sur un territoire très limité, le vin de Fogo se singularise par son originalité. Le manecon, vin de lave, est décrit dans un bel ouvrage intitulé Les 10 vins les plus extrêmes en compagnie notamment d’un autre vin de lave, celui que l’on cultive sur les pentes du volcan açorien de l’île de Pico. Il existe un vin rouge qu’ici on appelle vinho preta (« vin noir »), un breuvage épais au goût étrange : un mélange d’acidité minérale et de vin cuit madérisé. Le vin rosé, le clarete, est excellent : extrêmement fruité et gouleyant. Le manecon blanc rallie tous les suffrages : sec mais fruité, il rappelle le goût de « pierre à fusil » des productions du Jura. Un vin collector comme le montrent les belles étiquettes des bouteilles à l’effigie du volcan.

Excursions à partir de la caldeira

La taille imposante du cratère autorise de nombreuses marches dans un paysage extraordinaire qui se métamorphose selon l’éclairage. Ainsi, lorsque le soleil disparaît derrière la bordeira, la couronne rocheuse du volcan, les contrastes sont encore plus marqués. L’excursion sur Mosteiros, où l’on rejoint le littoral, prend entre 3 et 4 h. Soit l’on revient vers le volcan, soit l’on rejoint São Filipe par la route qui longe l’océan au nord de l’île. 

De la caldeira à Mosteiros 
L’île noire et désolée va se parer de couleurs vivifiantes dès que la piste rejoint Fernão Gomes qui abrite une belle propriété, résidence secondaire du président de la République du Cap-Vert. La piste se rétrécit et, autour de Monte Velha, une végétation impressionnante accueille le visiteur : une petite forêt de conifères, des mimosas géants, de beaux spécimens d’eucalyptus, des arbres fruitiers et des citronniers. Plus loin, les trois cratères volcaniques de Covas de Mosteiros sont tapissés de cultures exotiques. C’est là qu’est cultivé le célèbre café de Fogo au milieu des orangers, des bananiers, des papayers et de la vigne, bien sûr.

Retour sur São Filipe

Le village de Mosteiros a vu son activité décliner lorsque la piste d’atterrissage a été fermée au profit du nouvel aéroport de São Filipe. De Mosteiros, deux routes permettent de rejoindre le chef-lieu de l’île. 

La route du Sud 
La première moitié du trajet s’effectue au pied du volcan et offre sur une quinzaine de kilomètres une succession de points de vue intéressants sur la face cachée du Fogo. On y observe les manifestations dues aux diverses éruptions, notamment dans le village de Bombardeiro épargné au dernier moment par un changement d’orientation des coulées de lave. A Cova Figueira, un sentier de randonnée permet de rejoindre la route qui mène au cratère (3 h de marche) et une piste conduit jusqu’à la crique de Faja, l’un des rares endroits où l’on peut se baigner. Ensuite, on emprunte en sens inverse le tronçon qui conduit du cratère à São Filipe ou une route parallèle, plus basse. Après le Monte Genebre, on rejoindra le littoral jusqu’à la petite chapelle de Nossa Senhora do Socorro qui contemple l’océan.

La route du Nord 
Elle longe le littoral et traverse une zone fertile en révélant des paysages agrestes. Cette belle route pavée, très fréquentée par les piétons, est bordée d’arbres aux essences tropicales. A Salinas de Dentro, des formations rocheuses constituent des bassins protégés très fréquentés par les insulaires. C’est le rendez-vous balnéaire préféré des habitants de Fogo. Sur une petite plage de galets, on observera les barques colorées des pêcheurs, peu nombreux sur l’île.

Suivez le guide ! 
A Salinas de Dentro, non loin de la plage, un petit abri sert à ranger les bateaux de pêche. Il est décoré de jolies peintures d’art naïf.

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