Les clés du passé

Padrao dos Descobrimentos © Allie_Caulfield

Padrao dos Descobrimentos © Allie_Caulfield

Grande puissance mondiale à la Renaissance, le Portugal connut son apogée aux XIVe et XVe siècles en découvrant le monde. Le pays rayonne alors sur quatre continents, et son influence sur l’économie mondiale de l’époque est considérable. Cinq cents ans après l’arrivée du navigateur Vasco da Gama en Inde, le pont du même nom, inauguré pour l’Exposition universelle de 1998, enjambe l’histoire jusqu’à nos jours, comme pour marquer une période de renaissance tant attendue.

Le temps des invasions

Avant Jésus-Christ, l’ouest de la péninsule Ibérique est habitée par des tribus lusitaniennes lorsque les Grecs, puis les Phéniciens, implantent des comptoirs dans le Sud, tandis que les Celtes occupent le Nord. Vers 1200 av. J.-C., Lisbonne est fondée par des marchands, qui gagnent du terrain dans l’estuaire du Tage. Les Carthaginois soumettent le pays jusqu’au IIIe siècle av. J.-C., puis les Romains entament leur grande conquête, qui ne s’achèvera qu’en 61, lorsque César écrasera définitivement la résistance opposée par les tribus. Rome administre la région pendant plusieurs siècles. Au début du Ve siècle, les Vandales, les Suèves et les Wisigoths occupent la majeure partie de la péninsule, mais leurs royaumes ne durent guère. Enfin, la conquête musulmane débute en 711. La présence de la civilisation arabe laisse bizarrement peu de traces – contrairement au sud de l’Espagne – outre les azulejos ou le quartier pittoresque de l’Alfama à Lisbonne…

La formation du royaume

Les temps médiévaux se caractérisent par d’âpres luttes menées par les rois de la première dynastie contre les musulmans et contre les monarchies hispaniques, désireuses d’élargir leur territoire. La Reconquête sur les musulmans qui enflamme alors tout le continent – les croisades en sont le ferment – fait venir dans la péninsule Henri de Bourgogne, appelé à la rescousse par le roi de Léon et de Castille. Pour récompenser la victoire du chevalier, le souverain lui accorde la main de sa fille Teresa, dont la dot se compose du comté de Portucale, région située au nord du fleuve Douro. De cette union naît Afonso Henriques, qui se fait proclamer, après la mort de son père et en intrigant contre sa mère, alors régente, premier roi du Portugal (1140).
Ses successeurs s’attacheront à bouter les musulmans des derniers bastions qu’ils détenaient et, en 1256, le roi Afonso III fait de Lisbonne la capitale du Portugal, dont les frontières sont définitivement fixées. Une crise dynastique survient au XIVe siècle, et c’est le grand maître de l’ordre d’Avis – l’un des tout premiers ordres militaires créés en Europe -, João Ier, qui devient roi, après une bataille acharnée, à Aljubarrota, contre les Castillans, avides d’un trône supplémentaire.

L’école de Sagres

L’infant Henri, passé à la postérité sous le qualificatif de « Navigateur », donne l’impulsion nécessaire à l’épopée des Grandes Découvertes. Retiré sur la presqu’île de Sagres, après la victorieuse prise de Ceuta en 1415, il s’entoure de savants qui doivent l’aider à relier directement l’Europe aux Indes. Cartographes et astronomes y fondent une école dont les « élèves » perfectionneront les instruments de navigation et expérimenteront leurs découvertes. L’astrolabe et le cadran leur permettent ainsi d’élaborer des cartes maritimes assez précises pour que les expéditions se fassent plus lointaines. Enfin, c’est à Sagres que les Portugais réalisent la première caravelle, nouveau type de bateau qui révolutionnera la navigation.

Les précurseurs

La prise de Ceuta par João Ier marque le début de l’expansion portugaise. En 1415, une flotte dirigée par le roi, accompagné de ses trois fils, et composée de 200 navires quitte Lisbonne pour le Maroc, afin de mettre un terme aux actes de piraterie perpétrés sur les côtes atlantiques. C’est à cette occasion que l’infant Henriques (qui deviendra Henri le Navigateur ) réalise qu’une route qui relie les Indes à l’Europe doit exister. En consacrant temps, argent et énergie aux expéditions qu’il commande depuis son fief d’Algarve, il donnera l’impulsion nécessaire aux précurseurs des grands découvreurs, qui reculent les frontières à chacun de leurs voyages. Madère est « découverte » en 1419, les Açores en 1427, le Cap-Vert en 1444, le Sénégal en 1445. C’est à cette époque que les premières cargaisons d’esclaves débarquent sur le Vieux Continent. A la fin du XVe siècle, les navigateurs, qui ont dépassé le golfe de Guinée, São Tomé e Príncipe, parviennent, sous les ordres de Bartolomeu Dias, à dépasser le cap des Tempêtes, rebaptisé cap de Bonne-Espérance.

Le partage des terres

En 1494, le traité de Tordesillas règle le partage des terres découvertes entre Portugais et Espagnols. A l’ouest d’un méridien défini d’un commun accord, elles reviennent à la Castille, à l’est, au Portugal. Le Brésil, « découvert » par Pedro Alvares Cabral en 1500, revient donc à la couronne hispanique, alors que l’exploration des côtes africaines continue. Vasco da Gama touche le Mozambique en 1498 et réussit, en poussant encore, à relier Calicut. La route des Indes est ouverte. Le XVIe siècle en profitera, et Goa, principal comptoir du Portugal aux Indes, régit l’histoire commerciale du Portugal et, au-delà, de l’Europe. Or et ivoire venus d’Afrique, épices (poivre, cannelle, gingembre, clou de girofle) rapportées des Indes, deviennent des valeurs marchandes considérables, et le Portugal, l’une des premières puissances coloniales du monde.

Le temps des esclaves

Abolie en 1836 par le gouvernement libéral, l’importation d’esclaves noirs en provenance des terres conquises d’Afrique et du Brésil a pris une considérable ampleur au XVIe siècle, allant jusqu’à constituer un dixième de la population lisboète, soit environ 10 000 âmes. La noblesse n’est pas la seule à profiter de cette déchéance humaine. Les récits et illustrations de l’époque montrent que les gens du peuple en possédaient également. Désertées par une population qui rêve d’aventures lointaines, les campagnes sont habitées par les esclaves, à qui reviennent tous les travaux manuels.

L’empire portugais

En conquérant Ormuz en 1507, Goa en 1510 et Malacca en 1511, le Portugal pose les jalons de ce qui deviendra l’empire portugais d’Asie. En 1557, les autorités chinoises autorisent même les Portugais à installer un comptoir sur leurs terres : Macao ne leur sera rendu qu’à la fin du XXe siècle ! A chaque expédition, l’évangélisation gagne du terrain. Les jésuites, avec saint François-Xavier, accompagneront Vasco da Gama lors de son expédition. En dix ans, le saint réussit à convertir une bonne partie du sud de l’Inde.
Le déclin de l’empire s’amorce seulement à la fin du XVIe siècle, avec la réunion des deux couronnes ibériques (Espagne et Portugal). Le Portugal, petit à petit, perd ses comptoirs, et son influence diminue au profit de puissances plus importantes. Seul le Brésil reste encore une colonie propre.

La retraite brésilienne

C’est en 1640 que le Portugal recouvre son indépendance. Il a beaucoup perdu de son rapprochement avec l’Espagne : les Anglais, concurrencés par les Hollandais, se sont pour ainsi dire partagé le vaste empire africain et asiatique initié par ses navigateurs. Cependant, au Brésil, dicresté sous influence lusitanienne, on découvre de l’or et des diamants. Ceux-ci enrichiront le Portugal jusqu’au XVIIIe siècle. Le Brésil devient naturellement la terre d’exil de la famille royale, chassée du continent par les troupes napoléoniennes. En Europe, la régence portugaise fait appel aux Anglais pour se débarrasser des envahisseurs français, livrant ainsi le pays à une puissance étrangère tout aussi avide. Les rivalités enflent entre libéraux et absolutistes, les uns soutenus par les Anglais, les autres par les Français. La situation dégénère en guerre civile. Celle-ci s’achèvera au milieu du XIXe siècle seulement. L’infant Pedro, fils aîné du roi exilé João VI, refuse de rentrer dans son pays, sur lequel les Anglais ont la mainmise. En 1826, il devient le premier empereur du Brésil indépendant.

La destruction de Lisbonne

Le 1er novembre 1755, à l’heure de la grande messe de la Toussaint, une secousse sismique, suivie d’un raz de marée et d’un incendie qui dure trois jours, détruit totalement la ville basse. Le bilan est lourd : plus de 10 000 morts – 40 000 selon Voltaire ! -, sans compter les victimes des épidémies et des famines qui succédèrent aux catastrophes naturelles, et 20 000 maisons englouties. Sebastião José de Carvalho e Melo, Premier ministre du roi José Ier et futur marquis de Pombal, s’attelle à la reconstruction de la Baixa immédiatement après avoir exigé du souverain les pleins pouvoirs, dont il usera abusivement pour d’autres « dossiers ». Les plans de la nouvelle ville sont marqués par une esthétique rationnelle, cent ans avant que le baron Haussmann ne fasse de même sur les grands boulevards parisiens ! Grandes artères à angle droit formant un irréprochable damier, immeubles standardisés, vastes esplanades aérées, forcent l’admiration des Européens de l’époque.

De la république à la dictature

Le XIXe siècle est marqué par le difficile apprentissage du libéralisme, qui se développe dans presque toute l’Europe. L’alternance peu réussie entre libéraux et monarchistes absolutistes, qui provoque plusieurs guerres civiles, et le sentiment de nationalisme exacerbé par la morgue des Anglais et des Français, qui se partagent les colonies portugaises, ouvrent le terrain à la dictature. Une grave crise politique mène, en 1910, à la création de la première république du Portugal. Mais, affaibli par les guerres civiles, ruiné, le pays sombre dans un chaos politico-économique qui conduit la droite nationaliste au pouvoir. Le 28 mai 1926, un coup d’Etat militaire, qui impose le général Carmona comme chef de gouvernement, met un terme définitif à la république. Il faudra attendre 1974 pour que le Portugal retrouve sa liberté.

L’Estado Novo

António de Oliveira Salazar, professeur d’économie politique à la prestigieuse université de Coimbra, fait son apparition au gouvernement comme ministre des Finances. Ecartant les généraux du pouvoir, il devient président du Conseil des ministres. Il fonde l’Union nationale, parti unique dont le ferment se focalise sur l’identité portugaise et le nationalisme. La nouvelle Constitution de l’Estado Novo (Etat nouveau) instaure la dictature.
Salazar s’appuiera, durant les quarante-six ans de son triste règne, sur des tribunaux spéciaux jugeant des délits politiques. Partis, syndicats, grèves, sont interdits. Le pays s’isole de la scène internationale, diplomatiquement mais aussi économiquement. Des millions de Portugais fuient leur pays, chassés par la dictature ou forcés d’aller gagner leur vie ailleurs.
Au début des années 1960, les guerres coloniales africaines (Angola, Guinée-Bissau, Mozambique, Cap-Vert) et l’invasion de Goa par les Indiens affaiblissent encore le pays et annoncent la fin de l’empire colonial. A l’intérieur, la politique salazariste mise tout sur le tourisme – naissant en Algarve – et sur l’agriculture. Or ce secteur est progressivement relégué chez tous les voisins européens, qui voient davantage leur avenir dans l’industrie. Géré comme un grand domaine rural, le Portugal devient, en quarante ans, un pays arriéré. Après la mort de Salazar, le régime qu’il avait instauré ne dura que quelques années, sous la conduite de son successeur, Marcelo Caetano.

Révolution des Œillets et décolonisation

Le 25 avril 1974, une insurrection militaire à Lisbonne met fin à la dictature. Les généraux rebelles, œillets rouges à la boutonnière, prennent la capitale et libèrent le peuple du joug de l’Etat. Les libertés civiles sont restaurées et les prisonniers politiques libérés. Le lourd dossier de la décolonisation est enfin ouvert, déclenchant une vague de retornados, descendants des colons d’Afrique qui débarquent en métropole. Au même moment, le Timor-Oriental est envahi par les troupes indonésiennes.
La démocratie enfin instaurée, le Portugal se remet péniblement, dans le dernier quart du XXe siècle, des écueils d’une politique surannée. Les efforts économiques, couronnés de succès, entrepris par ce peuple au volontarisme hors du commun, l’adhésion à la Communauté européenne et, tout récemment, à la zone monétaire euro, font renaître le Portugal sur la scène diplomatique internationale, l’obligeant pour la première fois de son histoire à se tourner vers le continent. Macao, dernier bastion portugais d’Asie, est restitué à la Chine en décembre 1999.

Le Timor dans la tourmente

Rendu public assez récemment, à la suite d’exactions commises par l’armée indonésienne sur la population, le conflit du Timor est longtemps resté la dernière épine du Portugal colonial. L’île, annexée par l’Indonésie en 1975, est coupée en deux, la partie orientale revendiquant son indépendance. A l’issue de violents combats et sous la pression du Portugal, l’ONU est chargée d’administrer le territoire. Finalement, l’indépendance sera accordée au territoire du Timor oriental. Les premières élections libres ont lieu en 2001 afin de créer une assemblée constituante. En 2002, l’ancien chef rebelle, Xanana Gusmão, devient le premier chef d’Etat de Timor-Lorosae.

Lire la suite du guide