3 - Un pays, une histoire, des hommes
Les clés du passé

Encore à la recherche de ses origines, Madagascar ne peut compter que sur la mémoire collective et les traditions orales. De quoi laisser planer encore plus de mystères sur la passionnante histoire de la « Grande Ile »… L'histoire malgache est très particulière. A cause de la situation géographique du pays, entre Asie et Afrique. Mais aussi grâce au mélange des peuples qui ont émigré par vagues successives : les Indonésiens, les Polynésiens, les Africains, les Arabes… De ces mélanges ethniques naquit, par-delà les diversités régionales, une base insulaire commune, elle-même influencée par l'arrivée des colons européens, des travailleurs chinois et des commerçants indiens.
L'arrivée des Vazimba et des Africains
Il est quasiment certain que les premiers hommes apparurent à Madagascar il y a environ 2 000 ans. Originaires de Malaisie et d'Indonésie, ils sont aujourd'hui connus sous le nom de « Vazimba » et sont à l'origine d'une grande partie de la population actuelle.Comment sont-ils arrivés ? Peut-être lors d'étapes, en faisant du commerce avec les pays qui bordent l'océan Indien, avant d'accoster sur les rivages du Nord malgache. A moins que ce ne soit en naviguant d'une traite jusqu'aux côtes de l'Afrique de l'Est avant de s'installer à Madagascar.
L'arrivée des premiers Africains est au moins aussi mystérieuse. Tout ce que l'on sait, c'est que des peuplades bantoues traversèrent le canal du Mozambique pour s'installer à Madagascar. Par la suite, divers groupes ethniques aux caractéristiques morphologiques marquées émergèrent de cette double influence afro-asiatique, intégrant notamment les cultures vivrières d'Asie et la domestication du zébu, propre à l'Afrique. Et développant une langue où les apports bantous, asiatiques et même arabes se mêlent avec harmonie.
Marco Polo et Diego Diaz
Marco Polo fut le premier à apercevoir les rivages de l'île, mais c'est le navigateur portugais Diego Diaz qui aborda, en 1500, sur l'« Ilha de Sao Lourenço ». Appellation vite remplacée par une autre aux origines inconnues : Madagascar. Malgré leur rôle de découvreurs, les Portugais laissèrent peu de traces sur l'île. Contrairement aux Hollandais et aux Anglais, qui y établirent des postes permanents, ou aux Français, qui s'implantèrent dès 1643 dans la région de Fort-Dauphin. Cependant, attirés par les ressources de l'île Bourbon (la Réunion) et de l'île de France (île Maurice), les Français délaissèrent assez vite Madagascar, laissant la place aux pirates européens, qui menèrent quantité d'expéditions dans l'océan Indien au départ de la côte est.Les pirates de Madagascar
Ravitaillés par les indigènes et attirés par les navires voguant sur la route des Indes, les pirates s'installent à Madagascar après avoir écumé la mer des Antilles. Tour à tour héros ou hors-la-loi, ils s'allient aux chefs de clan, s'assurent le respect des peuplades locales, épousent les filles des tribus et donnent naissance à une nouvelle ethnie métissée : les Zana-Malata. Deux pirates font partie de la légende : le capitaine Misson, fondateur de la république de Libertalia, et Avery, qui se fit proclamer roi de Madagascar.
Les émergences ethniques
A partir du XVIe siècle, plusieurs ethnies émergent en différentes régions du pays. Une fois de plus, l'absence de tradition écrite laisse planer de nombreuses zones d'ombre sur cette page d'histoire malgache. Quelques faits sont pourtant avérés.
Sakalava et Betsimisaraka
Les Sakalava étendirent leur domination depuis l'embouchure de la rivière Tsiribihina, à l'ouest du pays, jusqu'à l'est et aux Hauts Plateaux. Ils échouèrent cependant dans leur tentative d'annexion du sud. A la mort du roi Andriandahifotsy, son royaume fut scindé en deux : le royaume sakalava du Menabe et celui de Boina.
Sur la côte est, les Betsimisaraka s'unifièrent sous la bannière de Ratsimilaho, fils d'un flibustier anglais et d'une princesse malgache.
Au sud, on pense que les Antanosy assurèrent l'émergence de plusieurs ethnies régionales : les Mahafaly, les Bara et les Antandroy.
Au cours des deux siècles suivants, l'île fut le théâtre d'âpres luttes de pouvoir entre ces ethnies principales et quelques autres groupes de moindre importance. Finalement, ce sont les Merina, originaires des Hauts Plateaux, qui mirent tout le monde d'accord…
Un siècle de domination merina
La domination merina débute au XVIIIe siècle et dure une centaine d'années. Dès 1787, par la diplomatie ou par les armes, le roi Andrianampoinimerina unifie les tribus merina des Hautes Terres et étend son autorité sur la plus grande partie de l'île. Intronisé en 1810, son fils Radama Ier charge son armée, forte de 35 000 hommes, de réprimer les insurrections des Sakalava et des Betsileo. Il étend alors son royaume jusqu'aux confins de l'Est et du Nord, puis tout au long de la côte jusqu'à Fort-Dauphin. Incapable de conquérir par les armes le territoire des Sakalava du Menabe (sur la côte ouest), il épouse Rasalimo, fille d'un roi menabe, s'assurant ainsi par mariage la souveraineté sur cette partie de l'île.
L'ouverture à l'Occident
Au début du XIXe siècle, Radama Ier a étendu son territoire sur toute l'île. Il installe sa capitale à Antananarivo et mène une intelligente politique d'ouverture commerciale et diplomatique. L'un de ses premiers actes officiels est de signer avec la Grande-Bretagne un traité interdisant le commerce des esclaves, ce qui était à l'époque impossible à réaliser avec la France. Œuvrant pour le bien de son pays, il fait construire les premières routes, ouvre quelques écoles, développe des fabriques et élabore même un système de traduction phonétique du malgache. En accueillant les premiers missionnaires, il ouvre totalement le pays à l'Occident. Les résultats politiques ne se font d'ailleurs pas attendre : en 1820, la Grande-Bretagne signe un traité qui déclare que Madagascar est un Etat indépendant sous autorité merina.
La plus cruelle des reines
Huit ans plus tard, Radama Ier meurt, laissant la succession à sa veuve, Ranavalona Ire. Dans toute l'histoire malgache, jamais reine n'a été aussi cruelle. Tournant le dos à la politique d'ouverture de son mari, elle défend farouchement un retour aux principales valeurs malgaches. Malgré l'influence d'un conseiller français, Jean Laborde, sa nouvelle politique est excessive : renforcement de l'armée, expulsion des missionnaires et de la plupart des Européens, interdiction de la religion chrétienne, persécution des Malgaches chrétiens.
En ouvrant à nouveau l'île aux étrangers et en réformant le système judiciaire, son fils Radama II assouplit la politique de sa mère, annule plusieurs de ses décrets les plus excessifs et rétablit la liberté religieuse. Son règne est malheureusement de courte durée : en 1862, un an seulement après être monté sur le trône, il est assassiné par le frère de son Premier ministre.
Jean Laborde, naufragé et visionnaire
Il a seulement 24 ans quand cet originaire d'Auch quitte sa famille pour faire, quelques semaines plus tard, naufrage au large de Madagascar. Recueilli à Tamatave, il est présenté à la reine Ranavalona Ire, qui, éblouie par son intelligence, en fera son conseiller et probablement son amant. Visionnaire et créatif, il fera cependant les frais de la xénophobie de la monarque et s'exilera à la Réunion en 1857. Il reviendra à Madagascar après la mort de la reine, s'installera dans une maison de bois sur les hauteurs d'Antananarivo et deviendra le premier consul de France, en 1861. Ses funérailles, en 1878, seront célébrées avec faste dans la capitale malgache.
Histoires de famille
Veuve de Radama II, Rasoherina monte sur le trône. Par tradition, elle épouse le Premier ministre. Celui-ci fera rapidement voter un décret limitant les pouvoirs de la reine, s'offrant ainsi une très large autorité. Il n'en profitera pas longtemps : son frère, le général en chef Rainilaiarivony, fomente une rébellion et épouse la reine. Afin de s'assurer la pérennité du pouvoir, il épousera également Ranavalona II, puis, une quinzaine d'années plus tard, Ranavalona III.
Le retour des Français
Profitant de ces querelles de palais, les Anglais et les Français ne cessent d'accroître leur influence dans la région et sur la « Grande Ile ». Alors que la Grande-Bretagne domine Zanzibar, les Français s'assurent la souveraineté sur Madagascar.Le traité de 1885
A cause des intrigues et des luttes d'influence, le pouvoir réel échappe petit à petit à la reine au profit des Français, qui revendiquent assez rapidement des droits sur la totalité de l'île. Toujours officiellement au pouvoir, Ranavalona III signe, en 1885, quasiment sous la contrainte, un traité qui accorde une indemnité de guerre à la France et préfigure le futur protectorat français. Cinq ans plus tard, la Grande-Bretagne reconnaît l'autorité française sur la « Grande Ile ».
Profitant du non-paiement des indemnités de guerre prévues, forte de la reconnaissance britannique, la France tente alors de faire capituler la reine et son gouvernement. La manœuvre d'intimidation échouera. Il faudra que l'armée française quitte Mahajanga, marche sur la capitale et perde plus de 10 000 hommes pour que la résistance merina s'effondre, entraînant le royaume entier dans sa défaite.
Une nouvelle colonie française
Le 6 août 1896 est une date marquante dans l'histoire du pays : Madagascar devient une nouvelle colonie française. Peu diplomate, le gouverneur général Gallieni veut briser l'aristocratie merina et interdire la langue malgache. Dans le même temps, il fait assassiner deux ministres et exile la reine Ranavalona III à la Réunion, puis plus loin encore : en Algérie.
Parallèlement, la France développe pourtant les infrastructures locales (les routes, le chemin de fer, les installations portuaires, les écoles…), abolit l'esclavage et accroît sensiblement les exportations de produits agricoles.
De l'indépendance au libéralisme
Menée par les Merina et les Betsileo, l'opposition malgache s'organise et se développe dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Troubles, grèves, manifestations se succèdent. La répression française fait plus de 80 000 victimes. Dans les années 1950, l'idée de l'indépendance commence pourtant à se faire jour en France. En 1958, le général de Gaulle revient au pouvoir dans la métropole. Il organise un référendum qui accorde à l'« île Rouge » le statut de république autonome au sein de la communauté française d'outre-mer. Deux ans plus tard, le 26 juin 1960, l'indépendance est enfin proclamée. Philibert Tsiranana, le chef du parti social démocrate, devient le premier président de la République.De la modération au marxisme
Indépendantiste modéré conscient des réalités et des difficultés, Tsiranana laisse aux Français le contrôle des institutions financières et commerciales. De même, il autorise le maintien de bases militaires françaises sur le territoire de la jeune république. Favorable à l'initiative privée, mais présentant peu de résultats concrets, il est pourtant réélu en 1965 et 1972.
D'orientation marxiste, le parti d'opposition AKFM prend de plus en plus d'importance. Ses leaders veulent s'éloigner de la France et se rapprocher de l'URSS. La faiblesse de l'économie et les pénuries de riz suscitent de nombreux troubles et de gigantesques manifestations antigouvernementales. Le président Tsiranana devra démissionner en septembre 1972, laissant la place au chef de l'armée, le général Ramanantsoa.
Piètre politicien, celui-ci mène une politique très floue et sera remplacé par le colonel Ratsimandrava, lui-même assassiné une semaine plus tard. Peu après, Didier Ratsiraka prend le pouvoir et engage le pays sur la voie du socialisme révolutionnaire. Les mesures d'inspiration marxiste se succèdent à un rythme soutenu : nationalisations, ouverture à l'URSS, à la Chine et la Corée du Nord, frein dans les relations avec l'Europe, retrait du franc malgache de la zone CFA. Avec pour principaux résultats la stagnation de l'économie et la chute des rendements agricoles.
La difficile transition du marxisme au libéralisme
Au début des années 1980, le président prend des mesures d'austérité pour obtenir le soutien du FMI et de la banque mondiale. De 1989 à 1992, le pays vit une époque de troubles, avec une paralysie complète de mai 1991 à 1992. Finalement, la Constitution est révisée et la troisième République est instaurée : Albert Zafy, chirurgien, arrive au pouvoir en novembre 1992. Pendant quatre ans, il tente un rapprochement avec l'Occident. Les mauvais résultats économiques, l'impossibilité de suivre les mesures du FMI, la corruption ou encore le blanchiment d'argent lui seront fatals. Didier Ratsiraka revient au pouvoir lors des élections de fin 1996 mais les élections de 2001 portent le maire de Tana, Marc Ravalomanana, au devant de la scène. Les résultats des élections sont contestés.
Didier Ratsiraka refuse de quitter son poste. De décembre 2001 à juillet 2002, Madagascar connaît une grave crise politico-militaire qui paralyse le pays et aboutit à l'éviction de Didier Ratsiraka et à la proclamation officielle de la victoire de son rival au scrutin présidentiel, Marc Ravalomanana. Admirateur du capitalisme anglo-saxon, Ravalomanana veut sortir son pays du sous-développement et le promouvoir sur la scène internationale. Mais sa double casquette de président et de dirigeant du premier groupe agro-alimentaire de l'île lui attire des soupçons d'affairisme. Des troubles politiques ne tardent pas à refaire surface fin 2008, sur fond d'un mécontentement populaire croissant et de rivalités politiques. En décembre 2008, Marc Ravalomanana fait fermer la chaîne de télévision du jeune maire de la capitale, Andry Rajoelina, après une interview de l'ex-président Didier Ratsiraka. Le maire durcit alors le ton et lance un ultimatum pour la démocratie et la liberté d'expression, marquant le début de la crise ouverte avec le régime. Dans la capitale, la contestation se transforme en émeutes sanglantes début 2009, faisant plus d'une centaine de morts.
Le 17 mars 2009, le maire d'Antananarivo, 34 ans, surnommé « TGV » en raison de son ascension rapide en politique, se déclare « président de transition » et reçoit les pleins pouvoirs de l'armée, à qui Marc Ravalomanana, contraint de démissionner, avait confié plus tôt la direction des affaires. Ravalomanana s'exile en Afrique du Sud. La communauté internationale condamne le changement de régime. Madagascar est depuis plongée dans une crise politique, malgré des médiations de pays d'Afrique australe.