4 - Se déplacer d’île en île


Le carnaval de Mindelo

La baie de Mindelo depuis le balcon de l'hotel © Heidi De Vries

Les préparatifs du carnaval

Mindelo, l’insouciante, « la ville cigale » du Cap-Vert qui chante et qui danse, se transforme radicalement à l’approche du carnaval. Partout, de petites fourmis s’activent dans les quartiers populaires de Cha de Alecrim, Fonte de Meio et surtout Monte Sossego surnommé « le Mont des Amours ». Les bataillons d’enfants qui forment le gros des troupes carnavalesques préparent leurs costumes. Les jeunes garçons rivalisent d’ingéniosité et d’humour en se confectionnant des déguisements de fortune. Les jeunes filles, les belles crioulas qui vont défiler, répètent leur chorégraphie. Autour des chars en construction, camouflés derrière les murs, on distingue des tubulures, des armatures sommaires et des carcasses informes. Dans les cours et sur les terrains vagues, l’activité est fiévreuse : coups de marteaux, bruits de ponceuses, vrombissements des scies électriques.

Une tradition ancestrale

Depuis les années 1930, Mindelo, enthousiaste et « fauchée », se saigne pour son carnaval qui évoque celui du Rio des années 1960, avant qu’il ne devienne une prestigieuse parade. S’inspirant des entradas portugaises des XVIIe et XVIIIe siècles - des rituels festifs pendant lesquels une population effrontée pouvait exorciser ses frustrations - le carnaval de Mindelo, malgré une médiatisation grandissante, conserve encore une salutaire authenticité. L’émulation est grande et se transforme parfois en rivalité lorsque les cortèges bariolés des jeunes gens aisés se mesurent aux groupes qui descendent des faubourgs. C’est le cas la veille du grand défilé, lorsqu’à la nuit tombée, le vent porte des roulements de tambours virevoltant en boucles sonores. Deux groupes d’une centaine de danseuses précédés d’une batterie de tambourinaires, les « Bleus » et les « Rouges », le Samba Tropical, ouvrent les réjouissances dans une ambiance carioca. Dans la foule, les regards scrutent les costumes somptueux et les maquillages impeccables avec un certain dédain : cette parade est celle des jeunes issus de la bourgeoisie. Le cortège parcourt la ville et s’immobilise sur la place Amilcar Cabral dans une canonnade de batucadas suivie d’ultimes salves de sifflets. Puis la jeunesse dorée de Mindelo file à la soirée privée de l’hôtel Porto Grande. La vraie fête, pour tout le monde, c’est demain !

Le grand cortège

La foule s’impatiente et enfin les premiers fantassins déferlent sur la ville. Déguisements sommaires, instruments de fortune, la cohorte de La Guerre des boutons n’en dégage pas moins une énergie communicative. Derrière, on distingue les premiers chars délicieusement kitsch qui ressemblent à de gigantesques pièces montées supportant les danseuses. Un bric-à-brac allégorique : un cygne géant chevauché par un prince en turban, une base spatiale hérissée de fusées, une mappemonde trônant sur un socle futuriste. Un duo de reporters en herbe, caméra en carton et micro en bois, interviewe les acteurs du char Raça Negra : « Alors, comment va l’homme blanc ce matin ? » Les réponses fusent : « Mal réveillé ! »… « Ça va, mais il fait chaud ! ». Les colons et les planteurs, le corps peint en blanc, font mine de fouetter les esclaves s’échinant à broyer la canne.

L’atmosphère reste bon enfant. Le service d’ordre est très dissuasif : des jeunes enduits de boue, d’huile et de mélasse canalisent les débordements des spectateurs. Les méfaits de la drogue et du sida sont dénoncés grâce à des saynètes cocasses. Un groupe mime un échange de valises, farine blanche contre dollars de Monopoly, qui se termine en fusillade apocalyptique. Un groupe de préservatifs géants danse avec frénésie. La foule est hilare. A la nuit, la parade, maintenant protégée par des barrières, défile lentement, illuminée par des feux de Bengale. Le grogue et le punch local enfièvrent la foule sans qu’aucune violence ne soit à déplorer. Au matin, les chars à l’abandon sont pris d’assaut par des équilibristes puis c’est l’heure du verdict : sur le podium, les reines, dans leurs costumes bigarrés, immobiles, tendues, attendent la proclamation des résultats. Une voix s’élève et une clameur salue la Reine(Rainha) qui en général fond en larmes. Son prix : une voiture flambant neuve, des vêtements et des cadeaux. Une ovation récompense le plus beau char. Des prix sont attribués à l’architecte des chars et au créateur des costumes primés. Des sommes raisonnables qui constituent néanmoins un petit magot au Cap-Vert. Les vainqueurs exultent. Les perdants concoctent déjà leur revanche et, une fois de plus, le « Monte Sossego » s’est illustré.
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