3 - Un pays, une histoire, des hommes
Les clefs du passé
Rapts d’éléphants blancs et de reliques du Bouddha, successions fratricides et parricides, alliances dynastiques signées dans le sang et la violence, l’histoire de la Birmanie s’écrit en lettres guerrières. Pieux bouddhistes, ses rois étaient aussi de farouches conquérants, qui étendirent leurs empires jusqu’en Chine, prirent aux Indes le Manipur, l’Assam et le Bengale, et poussèrent jusqu’aux bords du royaume khmer, à Vientiane (Laos), à travers le nord-est du Siam (Thaïlande).
A l’origine étaient…
Les mythes des origines font remonter les débuts de la Birmanie à l’époque du Bouddha, au VIe siècle av. J.-C. Aujourd’hui, des chercheurs, forts de la découverte du squelette d’un petit primate vieux de quelque 40 millions d’années,Bahinia pondaungensis, s’emploient à démontrer que la Birmanie est… le berceau de l’humanité, soutenus par le discours officiel, qui y voit la preuve de la « dignité de son peuple ».Les Pyu, précurseurs méconnus
Les Môn, un héritage hindou
Les Birmans, conquérants fédérateurs
S’il n’a pas à proprement parler fondé la dynastie birmane, qui existe depuis l’an 107 (règne de Thamudarit), Anawratha la conduit à son apogée en donnant naissance à la brillante civilisation de Pagan.Venus de Chine eux aussi, les Birmans sont avant tout des éleveurs et des agriculteurs. Ils font de Pagan, sur l’Ayeyarwaddy, en amont de Pyay, leur capitale dès l’an 849, mais c’est avec Anawratha qu’ils entament leur longue ascension vers la gloire. Sous son règne (1044-1077), le pays connaît sa première unification : Anawratha soumet les Môn de Thaton en 1057, fédérant ainsi sous son autorité une grande partie du pays actuel, des bords de l’Arakan jusqu’au golfe de Mottama, au sud. Ses successeurs renforcent les nouveaux liens d’allégeance par des mariages avec des princesses môn.
La chute de Pagan
La dynastie de Toungoo
Konbaung, la dernière dynastie
Peu à peu, il parvient à reprendre les territoires qu’avait su réunir la dynastie de Toungoo, et ses successeurs, dont Bodawpaya (1782-1819), continuent son œuvre : c’est le troisième empire unifié de Birmanie. Sa suprématie se maintient jusqu’à l’annexion du royaume par les Britanniques.
Thabinshwehti, un roi chez les esprits
Sur la route de Mandalay
Aux conflits qui, depuis plus de mille ans, opposent Môn, Birmans et Shans en une kyrielle de dynasties contemporaines les unes des autres, succèdent d’autres conflits, avec de « longs nez » venus d’Occident, cette fois. Avec les guerres anglo-birmanes se profile la colonisation du pays.1824-1826 : premier conflit anglo-birman
Alaungpaya a pris, en 1757, le Manipur et l’Assam. En 1785, c’est au tour du roi Bodawpaya de regarder vers l’ouest : il s’empare de l’Etat d’Arakan, qu’il annexe à son royaume.Ces avancées répétées des Birmans en terre indienne, alors sous tutelle de la couronne d’Angleterre, décident les Britanniques à intervenir. Le conflit est évité de justesse, mais, quelques dizaines d’années plus tard, les seigneurs d’Inwa récidivent. Entendant protéger les frontières de leurs possessions indiennes, mais n’étant pas parvenus à traiter avec le pouvoir en place, les Britanniques lancent leur flotte sur la baie du Bengale, en 1824, prennent le Tennasserim et marchent sur Rangoon et sur Pyay (Prome), qu’ils soumettent en 1825. Ils contraignent le roi Bagyidaw à signer le traité de Yandabo (1826), par lequel la Birmanie cède aux Anglais l’Arakan et le Tennasserim.
1852 : deuxième conflit anglo-birman
Brimades et humiliations de part et d’autre enveniment à nouveau la situation ; le traité de Yandabo, signé par Bagyidaw, est déclaré nul et non avenu par son successeur, sous le prétexte que ce n’est pas lui qui l’a signé, et, en 1852, éclate le deuxième conflit anglo-birman. Cette fois, les Britanniques s’emparent de la région de Bago et du delta de l’Ayeyarwaddy, isolant la cour birmane dans l’intérieur de ses terres et la privant de tout accès à la mer, prenant le contrôle des échanges effectués par voies maritime et fluviale.1885 : troisième conflit anglo-birman
Le roi Mindon accède au trône en 1853, au lendemain du conflit. Il s’emploie à apaiser les relations avec les Britanniques, signant avec eux des traités d’échanges commerciaux et d’aide à l’industrialisation de son pays. Mais les conflits renaissent à sa mort, en 1878 : son jeune fils Thibaw, fortement influencé par la cruelle Supayalat, son épouse, mène une politique bien moins conciliante. Il signe un traité commercial avec les Français, dans l’espoir que ceux-ci l’aideront à bouter les Britanniques hors de basse Birmanie. C’est l’inverse qui se produit : en 1885, à la faveur d’un incident mettant en cause une compagnie britannique d’exploitation de teck, les Britanniques marchent sur Mandalay et s’emparent de la haute Birmanie. La Grande-Bretagne contrôle désormais la quasi-totalité du territoire. Thibaw est envoyé en exil en Inde : la Birmanie n’a plus de roi.Le temps des colonies
Les Britanniques installent à Rangoon une administration coloniale. La Birmanie est rattachée à l’Empire des Indes, dont elle devient une « province ».La mainmise économique
S’occupant des terres de haute et de basse Birmanie plus que des régions périphériques, qu’ils laissent sous le contrôle de chefs locaux, les Britanniques s’emploient à développer le potentiel économique de leur nouveau fief. Offrant déjà une riche production agricole, la plaine du delta de l’Ayeyarwaddy se voit encore mettre en valeur : les Britanniques augmentent les surfaces de rizières et leur rendement, et parviennent à faire de la nouvelle « province des Indes » le premier producteur mondial de riz. Ils développent également les exploitations minières, augmentent la production et l’exportation des rubis. Des compagnies britanniques s’approprient l’exploitation des forêts de teck et se lancent dans l’exportation du pétrole, dont la Birmanie possède de beaux gisements.Le réveil nationaliste
Las du joug britannique qui bride les velléités d’autonomie, outragés par ces Occidentaux qui ont aboli une monarchie à laquelle ils étaient fort attachés, brimés par l’arrivée massive d’Indiens que les Britanniques favorisent à leur détriment, les Birmans s’organisent en des mouvements de révolte. Le sentiment nationaliste et anticolonial grandit.Dans les années 1920, des grèves de protestation éclatent parmi les étudiants de Rangoon. Dans les années 1930, la récession économique exacerbe les tensions, et la colère gagne les milieux paysans.
Aung San, l’antibritannique
C’est en 1936 qu’Aung San, futur héros de l’indépendance, apparaît sur la scène politique. Il est alors âgé de 21 ans et, comme l’était sa famille, il est foncièrement hostile à la présence britannique sur le sol birman.Aung San prend la tête du mouvement contestataire étudiant et des nouvelles grèves anticoloniales. Deux ans plus tard, à sa sortie de l’université, il devient secrétaire général de l’association nationaliste « Nous, les Birmans ».
Espoir déçu de liberté
Aung San, devenu général (bogyoke, en birman), n’en continue pas moins sa lutte pour l’indépendance. S’étant rendu à Londres, il arrache finalement au Premier ministre anglais, le 27 janvier 1947, la promesse britannique de rendre à la Birmanie son indépendance dans les douze mois qui suivraient. Assassiné le 19 juillet 1947 avec six de ses camarades, le bogyoke Aung San ne devait jamais voir cette liberté à laquelle il avait consacré son existence. L’indépendance de la Birmanie est proclamée six mois plus tard, le 4 janvier 1948.
U Nu, premier Premier ministre
Le bogyoke Aung San aurait dû présider aux destinées de la toute jeune Union indépendante de Birmanie. C’est U Nu, du groupe des Trente Camarades fondé par Aung San, qui, en 1948, prend les rênes du pouvoir. Lourde responsabilité : le pays est déchiré par des dissensions ethniques, et l’économie sort exsangue de cinq années de guerre. Impuissant devant la complexité de la tâche, U Nu fait appel au général Ne Win, lui aussi ancien membre du groupe des Trente Camarades, pour le soutenir.La démocratie en deuil
En 1962, Ne Win fomente un coup d’Etat militaire et s’empare du pouvoir, dont il écarte U Nu. Quarante ans plus tard, il tient toujours, en coulisses, les rênes du pouvoir, qu’il a officiellement transmises en 1992 au général Than Shwe et au Premier secrétaire Khin Nyunt. La Birmanie n’aura connu l’espoir de la démocratie que durant quatorze ans.La loi des nombres
Le 8-8-88
Un prix Nobel assigné à résidence
Au lendemain des massacres, Aung San Suu Kyi prend la parole devant 500 000 personnes rassemblées à la pagode Shwedagon, pour réclamer un gouvernement démocratique. En vain : à la faveur d’un nouveau coup d’Etat militaire, les dirigeants instaurent le SLORC (State Law and Order Restoration Council) : la répression contre les partisans de la démocratie se fait sans merci. Aung San Suu Kyi, qui a fondé, le 24 septembre 1988, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), se voit assignée à résidence dans les mois qui suivent. Il faudra la pression de l’opinion internationale, assortie de menaces économiques, pour y mettre fin, six ans plus tard, en 1995.La liberté n’est que provisoire. À nouveau placée en résidence surveillée en 2001, Aung San Suu Kyi est « définitivement libérée » en mai 2002... pour 12 mois à peine. En mai 2003, inquiètes du succès populaire des rassemblements politiques qu’elle organise en province, les autorités militaires provoquent un incident lors d’une réunion de la LND à Monywa. Arguant de la nécessité d’assurer la sécurité de la Dame de Rangoon, ils l’enferment à Insein, la prison politique de Rangoon, avec 70 membres de son parti. Depuis, son état d’arrestation est prolongé de 6 mois en 6 mois par les autorités et Aung San Suu Kyi passe de maison d’arrêt en résidence surveillée, sans téléphone ni possibilité de communiquer librement avec l’extérieur.
La capitale déménage
Remue-ménage à Rangoon fin 2005 : la capitale déménage. Le gouvernement commence à transférer les ministères clefs vers Pyinmana, à quelque 400 km au nord de Rangoon, sur la route de Mandalay ; tout près de la bourgade, une ville nouvelle sort de terre, à grand renfort de ciment et de larges avenues. Elle prend le nom de Naypyidaw, la "résidence des rois." En février 2006, Naypyidaw est officiellement la nouvelle capitale du Myanmar. Les raisons de cette brusque mutation restent obscures. Le porte-parole de la junte affirme que Naypyidaw, plus au centre du pays, est une capitale plus légitime que Rangoon. Journalistes et politologues, eux, soupçonnent la peur d’une invasion américaine par le détroit de l’Ayerwaddy. D’autres analystes voient là une manière de contrôler de plus près les minorités ethniques rebelles shans, chins, karens, etc. des zones frontalières. La thèse d’un conseil des astrologues attitrés du chef du régime n’est pas non plus à exclure : les militaires renoueraient ainsi avec les vieilles traditions royales de Birmanie, qui veulent que l’on fasse entrer son nom dans l’histoire en fondant une nouvelle capitale, et que les décisions politiques majeures se fassent sur les prédictions lues dans les astres...