Pas vraiment de ville phare, mais des villes qui racontent quelque chose… Car, si Tràpani ou Mazara ne sont pas forcément médiatiques, Ségeste sonne comme un mot familier, à plus forte raison Marsala, et son vin onctueux.
Tràpani
A 85 km à l’ouest de Palerme.
Elle doit sa fortune à sa rade, si bien abritée qu’elle était l’un des rares ports de la Méditerranée exploitables durant les impétueux mois d’hiver. Aujourd’hui, Tràpani vit des bénéfices de la mer, du sel au thon rouge. Un éventail d’avenues qui se rue de toutes ses enseignes, pour buter contre un dédale de ruelles. Ses forts effrités pour canonner un ennemi improbable ?
Sa grand-place bordée d’arbres, typique du Risorgimento ? Malgré l’atmosphère que lui donnent des vagues qui la lèchent sur deux côtés, Tràpani a un intérêt limité. Quoique… le trésor de la ville est au sud, dans l’étendue envoûtante de ses marais salants.

Tràpani By: Emiliano – CC BY-NC-SA 2.0
Eglise de l’Annonciation (Chiesa de l’Annunziata)
Via Pèpoli. Ouvert tlj de 9 h à 12 h et de 16 h à 18 h.
Passé l’arc Renaissance signé Gagini, on verra la chapelle de la Madone de Tràpani, bardée d’ex-voto et de marbres polychromes.
Suivez le guide !
S’il est une semaine sainte à laquelle il faut assister, en Sicile, c’est bien celle de Tràpani.
Entourée de pénitents encagoulés portant des bouquets de cierges, la foule suit les figures qui retracent, avec force détails sadiques, les derniers instants de Jésus.
Musée Pèpoli
Via Pèpoli. Ouvert tlj de 9 h à 13 h 30, et de 15 h à 18 h les mardis et jeudis. Entrée payante.
Dans cet ancien couvent couvert de marbres, on trouvera, au milieu d’œuvres d’art populaire, un Titien, une sculpture de Gagini et la Madone du Maître… de Tràpani.
Chapelle du Purgatoire (Capella del Purgatorio)
Via Giglio.
Son principal intérêt est de pouvoir y admirer les 20 tableaux de la semaine sainte, en bois et carton-pâte, réalisés au XVIIe siècle pour remplacer les « mystères » de la Passion, alors joués par des figurants : issu du Moyen Age, le théâtre n’était plus en odeur de sainteté !
Erice (Eryx)
A 15 km à l’est de Tràpani.

Erice – Castello Pepoli By: cercamon – CC BY-NC-SA 2.0
Perchée à 571 m sur une butte aux virages compliqués, ce village triangulaire a longtemps été un fief des Phéniciens, qui ont laissé des remparts épais, percés aujourd’hui de trois portes médiévales.
Ces hauteurs imprenables attirèrent les Arabes, qui les rebaptisèrent Jibal Ahmad (« Mont-Ahmad »), puis les Normands, qui préférèrent les consacrer à saint Julien. Erice tomba ensuite en décadence jusqu’à ce que l’époque fasciste lui donne un nouveau souffle, avec le tourisme… et son nom d’origine.
Très courue, la promenade n’en est pas moins agréable, au milieu des maisonnettes blanches et fleuries d’un village qui pourrait sortir du Lubéron. N’y manquent ni les logements chez l’habitant, ni les pâtisseries qui embaument l’amande fraîche.
Cathédrale (Duomo)
Elle est remarquable par sa grande rosace, du XIVe siècle, et son puissant campanile, qui servait à l’occasion de point de défense.
L’intérieur a été refait dans le style néogothique cher au XIXe siècle.
Château de Vénus (Castello di Venere)
C’est sur ce site que se trouvait l’acropole, où les Phéniciens adoraient Astarté, leur déesse de l’Amour.
Chauvins, les Romains passèrent les pouvoirs à Vénus, d’où le nom porté par la forteresse normande. Au XIXe siècle se sont greffés des remparts et le château Pèpoli.
Scopello
A 50 km de Palerme.
Sur ces falaises hautes de 35 m, Jérôme Salle a tourné une des cascades fétiches du film Largo Winch, d’après le roman (et la BD) de Philippe Francq.
Une thonerie désaffectée a servi de décor au monastère du film.
Ségeste (Segesta)
A 30 km au sud-est de Tràpani. Ouvert tlj de 9 h au coucher du soleil. Entrées payantes.
Avant de s’helléniser, Ségeste était la capitale des Elymes, une puissante peuplade autochtone. Elle faisait de l’ombre aux Grecs.
En 307 avant notre ère, après un siège digne de l’Iliade, sa population est massacrée par les guerriers de Syracuse : les prisonniers sont tués en étant projetés à la catapulte, tandis que les soudards s’affairent à faire avorter les femmes enceintes et à couper les seins des autres.
Aujourd’hui, rien ne transparaît de ces antiques crimes de guerre surtout quand les soucis saluent la venue du printemps en tapissant les pentes vallonnées du site.
Le temple
Beau témoignage dorique du Ve siècle avant notre ère, il est inachevé. Il décevra peut-être ceux qui ont déjà vu Agrigente et Sélinonte, mais l’atmosphère romantique qui s’en dégage a pourtant inspiré maints peintres et graveurs du XIXe siècle.
Acropole
On prend place dans le bus, qui démarre pour peiner dans les lacets. Chaque tournant offre un point de vue différent sur le temple, en face… et sur les quelques courageux qui ont boudé le véhicule communautaire pour monter à pied et à travers champs.
Sur la colline sont mêlés les murets de la Ségeste antique et médiévale, recouverte d’une estrade pour faciliter les déplacements.
Entouré d’un mur, comme pour échapper aux regards, un splendide théâtre grec s’ouvre à flanc de colline. Des panneaux explicatifs distinguent les différentes époques avec un code de couleurs. Entre autres restes, on reconnaît ceux d’une ancienne mosquée dont la niche désigne La Mecque.
Au cœur des « saline »
On roule vers Marsala et lentement on entre dans un monde double et miroitant. Blanchi, briqué, violacé par les algues, un carroyage de petites digues et de canaux se laisse enjamber par des ponts de planches grises.
Oui, les Romains du IIe siècle ont accompli un travail digne d’eux, transformant des lagunes fétides en de très rentables marais salants. Cette activité est toujours vivace. Le sel est mis à sécher en longs tas à double pente, semblables à des toits de maison. On les recouvre d’un toit pour les protéger des intempéries.
Suivez le guide !
Les bus se font parfois attendre une fois qu’on a bien visité l’acropole. A l’inverse, ils forcent parfois à écourter la visite : le mieux est donc de redescendre à pied.
Calatafimi
A 7 km à l’est de Ségeste.
Ce gros bourg typique de la Sicile est célèbre pour une cérémonie qui y a lieu, tous les cinq ans : les hommes vont à la messe avant de défiler, fusil de chasse au poing, en costume noir et gants blanc. Ils commémorent ainsi la rébellion de la ville lorsque les Bourbons prétendirent prohiber les armes.
Alcamo
A 20 km à l’est de Ségeste ; 50 km à l’est de Tràpani.
C’est la patrie de Ciullo d’Alcamo, premier auteur d’un texte – érotique – en sicilien. C’était près d’un siècle avant que Dante ne lance l’italien, via sa Divine Comédie ! On en verra d’abord un joli manoir perché à flanc d’autostrade, le château de Calatubo.
Protégée par celuici, Alcamo est fière de ses églises marbrées, toutes décorées par une famille de sculpteurs siciliens, les Gagini : l’église paroissiale (Chiesa Matrice), bien sûr, mais aussi Saint-Thomas (San Tommaso), avec un beau portail XIVe siècle à ogives concentriques, Saint-Sauveur (San Salvatore) et Saint-François-d’Assise (San Francesco d’Assisi), qui expose même, relique insigne, la main jadis habile d’Antonello Gagini.
La réserve régionale du Zingaro
A 35 km de Ségeste ; 40 km de Tràpani.
Inauguré en 1989, ce site protégé est surtout intéressant pour sa portion côtière, qui égrène un rideau de pitons aigus et tourmentés, assez inoubliable.
Marsala
A 21 km au nord de Mazara del Vallo ; 31 km au sud de Tràpani.
Elle est d’abord Lilybée, la ville carthaginoise fondée par les rescapés de la prise de Mothia par les Syracusains, en 397 avant notre ère. Ce sont les Arabes qui lui donnent son nom actuel, Mars Ali (« Port-d’Ali »).
La ville connaît la gloire gloire en exportant le vin des environs, stocké dans ces grands entrepôts à tours qui jalonnent le lungomare. C’est également à Marsala que se déroula l’événement fondateur de l’histoire de l’Italie proprement dite : le débarquement de Garibaldi et de ses « Mille ». Aujourd’hui, Marsala est une ville calme et prospère aux vitrines provinciales, et qui s’endort sans état d’âme à l’heure de la sieste.
Bonne pâte
Mises au point par les cordons bleus musulmans, les recettes de ces confiseries à la pâte d’amande ont été paradoxalement récupérées… par les monastères. Au début, les nonnes ne les confectionnaient que pour la Toussaint et les fêtes patronales.
Et puis, après le Risorgimento, ces délices ont bravé le monopole des cloîtres, pour faire leur entrée chez un artisan typique de l’ère bourgeoise : le confiseur. Aujourd’hui, elles portent toujours leurs noms pieux, comme la frutta martorana, et composent volontiers le visage de Padre Pio ou la figure transfigurée de quelque martyr. Mais les meilleurs secrets de fabrication sont restés dans les couvents. Alors, si Erice peut se glorifier de la meilleure pâtisserie de Sicile, c’est que la patronne est une orpheline… élevée par les braves sœurs !
Musée Baglio Anselmi
Lungomare Boeo. Ouvert tlj de 9 h à 13 h, et de 16 h à 19 h le mercredi et le samedi.
Dans l’un des nombreux entrepôts à vin aux allures d’arsenal se cache le musée archéologique, consacré aux vestiges de Lilybée. La pièce la plus intéressante est un navire de guerre carthaginois, repêché en mer et reconstitué après traitement du bois.
Le vaisseau était déjà doté de déflecteurs et de stabilisateurs. A bord, on retrouva des os de porc, animal pourtant interdit chez ce peuple sémitique : l’animal indiquait la direction de la terre grâce à son odorat, et ses cris servaient à l’occasion… de corne de brume.
Musée des Arazzi (Museo degli Arazzi fiamminghi)
Via Garaffa. Ouvert tlj sauf lundi de 9 h à 13 h et de 16 h à 18 h. Entrée payante.
Les huit tapisseries flamandes du XVIe siècle racontent la conquête de la Palestine par Vespasien et Titus. Ces œuvres d’une grande finesse ont été fabriquées à Bruxelles, en laine et soie.
Marsala contre Bourbon
Aujourd’hui d’appellation contrôlée, le marsala représente les deux tiers de la production vinicole de l’île. Sa fabrication, inspirée par celle du porto si cher aux Anglais, fut lancée au XVIIIe siècle par un certain John Woodhouse, qui voulait ruiner le monopole portugais.
L’affaire marcha si bien que, lorsque les ouvriers vinicoles se mirent en grève, en 1860, les Anglais contactèrent la compagne de Garibaldi, lui demandant de pousser son bien-aimé à débarquer en Sicile pour rétablir l’ordre… et réaliser l’unité italienne.
Pour protéger les « Mille » des canons des forts de Marsala, la marine britannique posta un bâtiment juste derrière leur rafiot. Craignant un incident diplomatique, François II, roi des Deux-Siciles, interdit d’ouvrir le feu : la petite troupe en chemises rouges posa pied sur les quais sans être inquiétée. En quelque sorte, le marsala avait eu raison… du Bourbon !
Mazara del Vallo
A 21 km au sud de Marsala ; 115 km au sud-ouest de Palerme.
Mazara, c’est d’abord le damier de la ville récente, aux maisons pimpantes mais sans grand caractère. C’est ensuite le canal, où les chalutiers hérissés de treuils et de mâts dansent dans un bruit de rouille. C’est enfin la vieille ville toute criante de bambini mal peignés, restaurée avec bon goût après un récent tremblement de terre. Cette Mazara-là a tout d’une ville maure qu’aurait colonisée le baroque espagnol.
Des églises à balcons de fer, des statues de plâtre, des enduits colorés… mais également un certain nombre de dômes aux proportions plus islamiques que catholiques. Il est vrai que c’est ici que débarquèrent les Arabes, en 837, avant de chevaucher, épée au clair, vers Agrigente.
Cathédrale (Duomo)
Face au Lungomare.
Au-dessus du porche se trouve un bas-relief représentant Roger, le glaive tiré, en train de sabrer un musulman. Construite peu après l’arrivée du comte, l’église a gardé quelques aspects du style normand, malgré une réfection des plus baroque.
Eglise Saint-Nicolas-Royal (San Nicoló Regale)
Elle est pure avec son plan carré chapeauté d’une coupole, ses trois absides et sa cimaise crénelée : on la doit aux Normands, même si sous son pavement des mosaïques indiquent un édifice plus ancien.
Gibellina
A 65 km au sud-est de Tràpani.
Dans la nuit du 15 janvier 1968, un tremblement de terre rase Gibellina. Pour figer le souvenir de ce tragique événement, les débris du vieux village du XIVe siècle ont été recouverts par le sculpteur Alberto Burri : une vaste chappe blanche coupée de grosses fissures comme une lèvre gercée. Elle sert parfois de décor à des concerts et des pièces de théâtre donnés en plein air.
Suivez le guide !
Ne cherchez plus le marsala à l’amande (alla mandorla) : selon les règles rigoureuses de l’appellation contrôlée, il est interdit. En revanche, vous trouverez le même produit sous le nom moins racoleur de vino alla mandorla.