Palerme
S’il fallait voir Naples (sa grande rivale) et mourir, un autre dicton recommandait d’oublier Palerme… Mais Palerme est devenu le joyau culturel de la Sicile, reine d’une côte nord qui égrène ses stations Belle Epoque et ses perles antiques, jusqu’au sublime mocassin de Cefalù.
Comme tant de ports de Sicile, Palerme doit la vie aux Phéniciens : le site de la Conca d’Oro, cette « Conque d’or » baignée par la Tyrrhénienne, était un bon tremplin pour piquer sur le nord de la Méditerranée. Les Grecs, puis les Romains, pensent de même, mais laissent sa prééminence à Syracuse ; quant aux Byzantins, forcés de donner un chef-lieu à l’île, ils optent… pour Taormine.
Ce sont donc les Arabes qui rendent justice à Palerme, en en faisant une capitale. Ils la rebaptisent Al-Madina, c’est-à-dire « La Ville » ; une ville par excellence qu’ils couvrent de mosquées, comblent de hammams, percent d’une multitude de qanatin, canaux d’irrigation.
Les Normands poursuivent sur la lancée, mais, quand le sud de l’Italie passe aux Angevins, Palerme est spoliée de son rang, au profit de Naples.
La potion est amère : le 31 mars 1282, quand sonnent les vêpres de Pâques, la population saute sur le prétexte d’un soldat aux mains baladeuses pour se soulever et faire tâter du fer à tous les Français de l’île.
Nouveaux maîtres, les Aragonais, puis les Espagnols, lâchent du lest en flattant la noblesse locale, oisive et donc corruptible.
Après les courts passages de la Maison de Savoie et des Autrichiens, Palerme est libérée du joug des Bourbons, en 1860, par Garibaldi.
Vraie métropole d’une région autonome, Palerme est aujourd’hui l’un des ports mythiques de l’Italie, au même titre que Gênes et Naples. Mal remise des bombardements américains, subissant une Mafia puissante qui grippe toutes les initiatives, la ville canalise pourtant son agitation naturelle. A l’instar de sa rivale, Naples, ses monuments rouvrent, et ceux qu’on ne peut restaurer sont dévolus à des concerts ou au théâtre d’avant-garde.
A la jointure de la vieille ville et du centre risorgimental, les brasseries New Age, les restaurants « siculo-arabes », les bars à la barcelonaise, poussent comme des champignons. En dix ans, la criminalité a chuté considérablement, et, malgré les embouteillages chroniques, malgré le sirocco qui rend fou, l’air y est plus pur qu’à Copenhague.

Palermo street By: Peter Eichenauer – CC BY-NC-SA 2.0
Le centre monumental
Au milieu de rues qui hésitent entre immeubles cossus et maisons bardées d’échafaudages, il rassemble la plupart des monuments d’avant le Risorgimento.
Quattro Canti
Piazza Vigliena.
Sur une intersection qui forme un octogone, quatre personnages veillent sur leur fontaine, dans un style que ne renierait pas l’Escurial. Le soleil passe de l’un à l’autre, indifférent à l’effarante suite de feux rouges grillés par les autos qui s’y frôlent, selon les subtilités du code de la rue palermitain. Le projet, lancé en pleine occupation espagnole, visait à placer une croix symbolique sur la ville, la divisant en quatre quartiers grâce aux deux axes de la via Maqueda, du nom du vice-roi de l’époque, et de la via Vittorio Emanuele, plus connue sous son ancien nom de Cassaro.
Fontaine Pretoria (Fontana Pretoria)
Piazza Pretoria.
Construite en 1555 (et récemment restaurée), elle était destinée à une villa de Florence. Les hasards de l’histoire la firent atterrir ici, en kit, imposant des niaiseries érotisantes à des Palermitains peu habitués aux libertinages des Toscans. A côté se trouve l’église baroque de Saint-Joseph-des-Théatins (San Giuseppe dei Teatini),savante débauche de marbre et de stucs.
La Martorana (Santa Maria dell’Ammiraglio)
Ouvert tlj sauf dimanche de 9 h 30 à 13 h et de 15 h 30 à 18 h.
C’est à l’amiral (ammiraglio) Georges d’Antioche que l’on doit cette église arabo-normande à trois coupoles. Son pavement polychrome et ses mosaïques ont échappé de justesse aux remaniements du XVIIe siècle. Près du chevet se dresse un gracieux campanile gothique.
Cathédrale (Duomo)
Corso Vittorio Emanuelle. Ouvert tlj de 8 h 30 à 12 h 30 et de 16 h à 18 h. Entrée payante pour le trésor et la crypte.
C’est le décor de fond de cette place cernée de balustres, où se croisent poussettes et champions de calcio en herbe. Ancienne église byzantine, ex-grande mosquée, cet édifice crénelé dégage une harmonie étonnante, qui unit art arabo-normand, gothico-catalan et dôme néoclassique. La pierre, qui joue sur toute la subtilité du relief et de la couleur, donne toute sa mesure au chevet, où elle devient une véritable marqueterie.
A gauche en entrant, une sorte de stèle est sculptée dans la colonne, vestige de l’ancienne mosquée : les initiés pourront y déchiffrer la sourate d’introduction du Coran, la plus sacrée. L’intérieur a perdu son cachet d’origine : le baroque a réglé son compte au médiéval. On notera cependant les tombeaux des souverains normands, de l’empereur Frédéric II et de sa mère, Constance, dont vous admirerez la couronne magnifique autant que barbare dans la salle du trésor (payant).
Palais des Normands (Palazzo dei Normanni, Palazzo Reale)
Piazza Indipendenza.
On retrouve difficilement l’architecture normande dans ce robuste bâtiment effrité, dont le gothique ne remonte guère qu’au XIXe siècle. Une tour émerge pourtant et, si l’on se risque dans les expositions d’art contemporain qui occupent les sous-sols, on retrouve les soubassements légués par les Phéniciens, les Romains, les Arabes…
Les émirs eurent ici longtemps leur qasr (palais, à l’origine du mot « alcazar » et du terme de « Cassaro », nom populaire du corso Vittorio Emanuele). Leur goût du faste et de l’espace les poussa vers le quartier, alors luxueux, de la Kalsa.
Les Normands se réinstallèrent au qasr, mieux fortifié pour l’exercice d’un pouvoir parfois discuté. Roger, surnommé le « Sultan baptisé », y avait même installé un « atelier de broderie », nom de code pour désigner… son harem !
Suivez le guide !
A l’est de la cathédrale, dans le Papireto, ancien lit d’une rivière frangée de papyrus, s’alignent les baraques du marché aux puces. Si les prix ne vous séduisent pas, peut-être trouverez-vous votre bonheur sur les étals des receleurs de la piazza Marina.
Salle du Roi Roger
Visite sur autorisation lundi, vendredi et samedi de 9 h à 12 h.
Elle est encore décorée comme à l’époque normande, avec ses murs de marbre et ses mosaïques représentant des scènes de chasse à l’arc. Après avoir servi de siège aux nombreux pouvoirs qui se sont succédé, le palazzo accueille aujourd’hui le Parlement sicilien, qui s’attache à une besogne ardue sous de riches fresques du XVIIIe figurant… les douze travaux d’Hercule.
Chapelle Palatine (Cappella Palatina)
Ouvert tlj de 9 h à 12 h et de 15 h à 17 h ; samedi de 9 h à 12 h ; dimanche de 9 h à 10 h et de 12 h à 13 h.
Elle est située au premier étage du palais. Construite sur ordre de Roger II, elle a exigé la collaboration d’artistes byzantins (pour les mosaïques) et musulmans (pour les frises du plafond de bois). Les sculpteurs catholiques, eux, se contentèrent de l’extérieur et du candélabre pascal. Si la chapelle forme un tout, ce sont pourtant les mosaïques qui sont le plus intéressantes : sous l’œil d’un Pantocrator (« qui-a-pouvoir-sur-tout », le Christ en majesté des orthodoxes) se déroulent les détails infinis d’épisodes bibliques.
Suivez le guide !
Avant la Toussaint, les marchés regorgent de pâtes d’amande représentant marionnettes, mafiosi et même le Padre Pio, saint chéri par tout le Mezzogiorno.
La Porta Nuova
A l’est du palais se trouve cette « porte neuve », ornée de l’aigle des Habsbourg et coiffée de tuiles vernissées. Quatre Maures – dont deux manchots – soutiennent l’ensemble : ils symbolisent quatre victoires de Philippe II sur les Turcs.
Eglise Saint-Jean-des-Ermites (San Giovanni degli Eremiti)
Ouvert du lundi au samedi de 9 h à 13 h et de 15 h à 18 h les lundi et jeudi ; dimanche de 9 h à 12 h 30.
Sous les orangers caressants, cinq dômes rouges font le gros dos. Pas de doute : ce sont des maçons islamisants qui ont bâti cette église que l’on arpente à plaisir, pour conclure par une halte fraîche dans le cloître, d’un gothique aux relents orientaux, lui aussi. Le mur de droite, en sortant, est ce qui reste de la mosquéed’origine, dont les chapiteaux traînent dans la cour.
Les marchés
Mêlant parfums de café et puanteurs de poisson, ils sont répartis à travers le centre monumental et partent de la place d’une église pour enfermer sous les auvents les rues voisines.
Les plus intéressants sont ceux de Vucciria (déformation de notre français « boucherie » !), de Capo et de Ballaro, marchés alimentaires. Celui de Lattarini (héritage de l’arabe souq al-attarin, marché aux épices) se consacre à la fripe et au surplus militaire, et celui des Calderai (chaudronniers) propose en toute logique tout ce qui touche au métal.
Galerie municipale d’Art moderne (Civica Galleria d’Arte Moderna)
Ouvert du lundi au samedi de 9 h à 13 h et de 15 h à 18 h les lundi et jeudi, le dimanche de 9 h à 12 h 30.
Ce tout nouveau musée réunit le couvent Sainte-Anne de la Miséricorde (1606) et le palais Bonet (XVe siècle) adjacent. Le musée héberge des collections d’œuvres du XVIIIe au XXe (qui s’empoussiéraient dans un théâtre depuis plus d‘un siècle), exposées progressivement au travers d’expositions thématiques.
En parallèle, ses 29 salles révèlent partiellement (économie oblige !) les parties les mieux conservées de fresques ou de stucs cachés par les différentes strates de la décoration.
La Kalsa
Ce quartier pauvre s’étend autour de la place homonyme, veillée par l’église baroque Sainte-Thérèse (Santa Teresa della Kalsa). Rues étroites aux odeurs de savon, contreforts de madriers, chiens errants, terrains vagues où pourrissent les camions : la zone porte encore les cicatrices des bombardements. On y rencontre à l’occasion quelque mafieux à la retraite, lisant la Gazzetta dello sport en faisant reluire sa bague en or.
La Magione (Santa Trinità)
Via Magione. Ouvert tlj de 7 h 30 à 11 h 30 et de 16 h à 18 h 30 ; dimanche de 8 h à 13 h.
Cette église normande émergeant d’un triangle de palmiers semble être quelque bastion catholique de Palestine. Elle est consacrée à la Trinité, mais les Palermitains préfèrent l’appeler d’un nom aux relents de mystère et de magnificence : « la Magione ». L’intérieur est très sobre. On admirera plutôt les ruines du cloître d’origine… si le gardien le permet.
La place de la Magione a été choisie par Visconti pour le tournage de la fusillade entre Garibaldiens et partisans des Bourbons, dans Le Guépard.
Palais Abatellis (Palazzo Abatellis)
Via Alloro, 4. Ouvert tlj de 9 h à 13 h 30 (jusqu’à 12 h 30 le dimanche) et de 15 h à 18 h mardi et dimanche. Entrée payante.
On y trouvera, entre autres merveilles artistiques, le Triomphe de la Mort et la toile la plus achevée d’Antonello de Messine : une Vierge dont la bouche, d’une pudeur toute sicilienne, sourit sous le voile bleu.
Jardin botanique (Orto Botanico)
Via Lincoln. Ouvert de 9 h à 18 h, jusqu’à 13 h le week-end. Entrée libre.
Soupir de soulagement en frontière de Kalsa, il s’accole à la villa Giulia et abrite 1 200 espèces de plante, présentées selon des prodiges d’imagination des paysagistes. Un aquarium expose des plantes aquatiques.
Guignols à la sicilienne
On ne peut pas les manquer : c’est l’un des souvenirs les plus vendus auprès des touristes en Sicile. Les pupi sont des marionnettes à tiges et à fils, typiquement siciliennes. Elle sont revêtues d’armures et leurs caractères n’ont été codifiés qu’en 1860, par Giusti Lo Dico.
Créant l’opera dei pupi, ce folkloriste puisa son inspiration et ses personnages dans le Roland furieux de L’Arioste, parodie de la Chanson de Roland. Ces saynètes burlesques, données en sicilien, ne sont évidemment que prétexte aux peintures de mœurs et aux allusions politiques… des Guignols de l’info en quelque sorte !
La télévision a eu un temps raison du Charlemagne qui louche et des émirs aux faces sombres, les laissant à la curiosité des touristes. Mais depuis quelques années, ils reprennent du poil du cimier et reprennent pour un public averti leurs décapitations obsessionnelles.
La Loggia
Ce quartier autrefois dévolu aux Catalans et aux Génois semble se cacher derrière le vieux port (Cala). Il recèle quelques églises de ces colonies étrangères et quelques façades Renaissance ou baroques. Il vit le jour dans les vie Vucciria et Bandiera, et sort le soir piazza Marinara.
Eglise Saint-François-d’Assise (San Francesco d’Assisi)
Piazza San Francesco. Ouverte tlj sauf dimanche. Visite guidée payante sur rendez-vous.
La plus belle église gothique de Palerme fut bâtie par les marchands de Pise, qui, comme les autres républiques maritimes, avait son petit ghetto. Juste en face baille l’Antica Foccaceria : on y déguste des friands à l’italienne, des pains à la fressure et des galettes de pois chiches.
Eglise Sainte-Marie-de-la-Chaîne (Santa Maria della Catena)
Via Vittorio Emanuele. Ouverte tlj de 9 h à 17 h, jusqu’à 12 h le week-end.
Un monument du XVe siècle, assez austère, malgré son gothique qui se voulait flamboyant.
Palais Mirto (Palazzo Mirto)
Ouvert de 9 h à 13 h 30 (12 h 30 le dimanche) et de 15 h à 17 h 30 les mardi et jeudi. Entrée payante.
Une somptueuse demeure des XVIIIe-XIXe siècles dont les plafonds dorés et les murs à la décoration ostentatoire exhalent la richesse de la noblesse sicilienne d’avant le Risorgimento.
Eglise Saint-Dominique (San Domenico)
Ouverte de 8 h à 12 h 30 et de 16 h à 18 h. L’oratoire suit des horaires parfois fantaisistes.
Baroque à souhait, elle vaut surtout le détour pour l’oratoire du rosaire, décoré avec les fameux angelots de stuc (putti) de l’artiste palermitain Giacomo Serpotta (1650-1732). Celui-ci a su mêler, dans ses œuvres, la grandiloquence religieuse et des poulbots du cru, tout droit tirés des recoins lépreux de son quartier natal.
Suivez le guide !
Via Notarbartolo, un arbre peint signale l’endroit où vivait le célèbre juge Falcone, qui paya de sa vie d’avoir lancé la mode des « repentis » ; et piazza XIII Vittime, un monument est élevé « A ceux qui sont tombés dans la lutte contre la Mafia ».
Eglise Sainte-Zita (Santa Cita)
Ouvert de 9 h à 17 h du lundi au samedi. Le dimanche, téléphoner auparavant.
Là encore, Serpotta laisse littéralement exploser son talent : on devine la peau laiteuse des angelots inspirés par les gamins de Palerme, dit-on. On tend la main vers le soyeux d’un plissé ; le stuc s’anime et vit entre les mains de ce génial artiste.
Musée international des Marionnettes (Museo internazionale delle Marionette)
Via Butera, 1. Ouvert tlj de 10 h à 13 h et de 16 h à 19 h. Fermé le dimanche et le samedi après-midi. Entrée payante.
Il rassemble 2 000 pièces : non seulement les fameux pupi, mais aussi leurs homologues de toute l’Europe et l’Asie.
Nouvelle ville
C’est le Palerme de la bourgeoisie gâtée par le Risorgimento. Il s’étend au nord-ouest et se distingue par de nombreux bâtiments de style Liberty.
Teatro Massimo
Piazza Verdi.
Ce « théâtre majeur » fut bâti sur un cimetière de nonnes. Selon une superstition locale, la tombe d’une religieuse aurait été dérangée par les pioches des ouvriers, d’où de multiples contretemps dans sa construction… et sa restauration récente, qui demanda rien de moins que vingttrois ans ! De style risorgimental, ce théâtre imposant est l’un des plus beaux d’Italie.
Le foyer en style Liberty dévoile deux kiosques en fer forgé, alors que l’imposante coupole, décor inoubliable de la tragique scène finale du Parrain III, prend un tour oriental.
Musée archéologique régional (Museo archeologico regionale)
Piazza Olivella. Ouvert mardi, mercredi et vendredi de 9 h à 13 h 30 et de 15 h à 18 h 30. Entrée payante.
Cerclant des patios fleuris et frais, ses galeries présentent les plus importantes découvertes de Sicile, des Phéniciens aux Normands, dont on verra les monnaies de compte dotées de la croix catholique, du nom du roi en arabe, et d’une devise en grec. Les objets découverts à Sélinonte y sont en bonne place, et une salle est dédiée aux bronzes hellénistiques, étrusques et romains. Elle révèle quelques belles sculptures, comme cette statue de bélier, trouvée à Syracuse.
Villa Malfitano
Via Dante. Ouvert tlj sauf dimanche de 8 h à 13 h. Entrée payante.
Entourée de jardins aux allées courbes, elle est la représentation typique du style Liberty en vigueur au XIXe siècle et de rigueur dans le quartier. Elle fut érigée par Joseph Whitaker, un passionné d’archéologie que l’on retrouvera sur l’île de Mozia. Dans le jardin, l’arbre le plus curieux est un ficus magnoloides aux racines coulantes comme des lacets.
L’ouest de la ville
L’urbanisme des années soixante aux prises avec les tas de terre des lots inexploités. Au milieu, les lieux les plus intrigants de Palerme.