Les tourbières
Dans le passé, on voyait les tourbières comme des terrains infertiles, détrempés et inutiles. Mais pour qui se renseigne à leur sujet, ces milieux apparaissent plutôt comme des écosystèmes inhabituels, fascinants et complexes. Les tourbières sont des terres humides qui diffèrent des marais, des étangs et de la plupart des marécages par la formation de couches de tourbe. Cette tourbe leur donne des caractéristiques bien particulières.
La couche supérieure, de 30 à 50 cm d’épaisseur, se compose surtout de mousses et d’autres types de plantes vivantes. La tourbe se trouve sous cette couche vivante. Elle est formée de la matière morte et en décomposition provenant des nombreuses plantes qui vivaient auparavant à la surface, notamment des sphaignes, par-dessus laquelle de nouvelles plantes croissent. Cette tourbe a habituellement plusieurs mètres d’épaisseur (à certains endroits, son épaisseur peut atteindre plus de dix mètres!).
La tourbe étant très absorbante, elle a des propriétés semblables à celles d’une éponge compacte saturée d’eau, ce qui fait obstacle à la circulation de l’eau. Le niveau d’eau reste ainsi élevé dans une tourbière; il atteint la surface ou presque. Ce niveau d’eau, le niveau phréatique, joue un rôle important de maintien de conditions humides favorisant la croissance d’autres plantes de milieux humides. Aussi, cette accumulation d’eau peut réduire l’inondation en aval ainsi que s’écouler lentement dans les périodes de sécheresse. Comme certains autres types de milieux humides, les tourbières comportent des matières végétales qui peuvent absorber les métaux lourds, d’autres contaminants, des nutriments et des sédiments. Elles peuvent donc décontaminer l’eau.
Les tourbières présentent des conditions très particulières. La décomposition de la tourbe produit de l’acide humique, ce qui rend l’eau acide (son pH est faible), presque autant que le vinaigre. En outre, l’eau des tourbières est anoxique (elle contient peu d’oxygène) et sa teneur en nutriments, par exemple en azote, est faible. Dans ces conditions, auxquelles s’ajoutent les basses températures caractérisant les sols des latitudes nordiques, la décomposition ne s’effectue que lentement et difficilement sous la surface.
Une bonne partie de ce qui est nécessaire à la survie des microorganismes décomposeurs de nombreuses espèces ne se trouve pas dans les couches de tourbe. Ainsi, au lieu de se décomposer rapidement, les mousses mortes s’accumulent sous les mousses vivantes. Dans certains cas, les tourbières des climats tempérés, boréaux, subarctiques et arctiques ont commencé à se former il y a plus de 10 000 ans, soit à la fin de la dernière période glaciaire.
La formation d’un centimètre de tourbe prend environ dix ans, mais la croissance des mousses est plus rapide dans les régions où il pleut beaucoup, et la tourbe s’y accumule plus rapidement. Il y a ainsi accumulation, plutôt que décomposition : une grande quantité de matière végétale morte subsiste sous forme de tourbe, composée à 40 p. 100 de carbone. Au lieu d’être transféré à l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone (le CO2 est l’un des produits de la décomposition et un gaz à effet de serre), du carbone est conservé dans les tourbières. Pour cette raison, les tourbières constituent les plus importants lieux de stockage terrestre de carbone (elles renferment environ 30 p. 100 du carbone contenu dans l’ensemble des sols de la planète) et jouent un rôle important dans la régulation des changements climatiques.
Comme les processus de décomposition ne se font que très lentement dans la tourbe, les tourbières peuvent constituer des archives de l’histoire naturelle et culturelle d’une région. Il arrive que du pollen, des feuilles, des animaux et des artéfacts humains, provenant de la tourbière même ou bien des lieux avoisinants, se retrouvent piégés dans la mousse et soient ainsi soumis aux conditions particulières de la tourbe, propres à la préservation. Des milliers d’année plus tard, des scientifiques peuvent ainsi trouver dans les tourbières des restes d’organismes ayant vécu à proximité et en déduire les caractéristiques de l’environnement local d’autrefois.
Au Canada, la plupart des tourbières sont soit ombrotrophes, soit minérotrophes. À ces deux catégories, définies en fonction de leur source d’apport en eau, correspondent des milieux bien différents. La composition de l’eau varie selon sa provenance, et cela peut déterminer dans une large mesure le type de peuplement végétal (y compris les espèces de mousses du genreSphagnum).
Dans le cas des tourbières ombrotrophes, les précipitations (pluie, brouillard, fonte des neiges) constituent le seul apport d’eau. Ombrotrophe signifie « tiré de la pluie ». Cette eau de précipitations contient peu de minéraux et de nutriments en solution, ou n’en contient pas du tout, et ne neutralise donc pas les acides produits par la végétation en décomposition. C’est pour cette raison que l’eau des tourbières ombrotrophes est acide et que sa teneur en nutriments est faible.
Sous la surface de ces tourbières, l’oxygène est également très rare. Ces conditions, et le fait que les organismes qui se trouvent dans ces tourbières peuvent ne pas être protégés du vent et du soleil, ne permettent pas une grande biodiversité. La formation de certaines tourbières ombrotrophes résulte de la croissance progressive de mousses sur un petit lac isolé ou un étang jusqu’à son remplissage, mais la plupart se sont plutôt formées par la croissance de mousses sur un terrain humide, la tourbe finissant par retenir l’eau à cet endroit. Le type de végétation qui pousse à la surface des tourbières ombrotrophes peut varier : certaines ont quelques petits arbres, d’autres ont seulement de petits arbustes, tandis que d’autres encore n’ont que très peu de végétation ligneuse.
Dans le cas des tourbières minérotrophes, les précipitations ne constituent pas le seul apport d’eau. Ces tourbières sont également alimentées par de l’eau souterraine ou, parfois, par des ruisseaux. En raison de la provenance de leur eau, elles sont plus riches en minéraux dissous, et parfois en nutriments, et elles ne sont habituellement pas acides, mais plutôt neutres ou alcalines (l’eau pure a un pH neutre). Ces conditions peuvent permettre une décomposition plus rapide que dans les tourbières ombrotrophes.
La tourbe peut donc s’y former plus lentement; elle y est souvent moins épaisse que dans les tourbières ombrotrophes. Les conditions des tourbières minérotrophes étant plus favorables que celles des tourbières ombrotrophes, la biodiversité y est habituellement plus grande. On en trouve en bordure de lacs et de rivières. Leur surface, comme celle des tourbières ombrotrophes, peut être garnie d’arbres ou d’arbustes ou en être dépourvue. Il arrive que de grandes mares de tourbières ombrotrophes soient bordées de tourbières minérotrophes.
D’autres types de terrains marécageux peuvent présenter par endroits une accumulation peu profonde de tourbe bien décomposée et constituent donc également des tourbières.
Vidéo : les tourbières du Canada