La domination turque
Le temps des janissaires (1453 à 1821)
En 1430, les Ottomans étendent leur domination au nord de la Grèce. Constantinople est prise dans un étau. En 1453, elle tombe aux mains de Mehmet II. Le dernier empereur byzantin est mort, l’arme à la main, sur les murs de la ville, mais la légende prétend qu’il s’est caché dans une statue de marbre pour restaurer un beau jour l’Empire grec.En 1571, les flottes espagnoles et italiennes attaquent les vaisseaux du sultan dans leur hivernage du golfe de Lépante, en face de Patras : les Turcs perdent 30 000 hommes et 200 galères dans la terrible bataille. Mais rien ne les arrête, pas même les terribles chevaliers de Rhodes, qui ont dû se replier à Malte ; pas même les Vénitiens qui, en 1669, quittent Héraklion après un siège si bien mené qu’il inspire un jeune ingénieur militaire, Vauban.Les Grecs d’Asie Mineure ont un statut assez souple au sein de l’Empire ottoman. Dans son quartier du Phanar, dans le nord d’Istanbul, le patriarche reste le chef spirituel de tous les Grecs. Autour de lui prospère une bourgeoisie lettrée qui collabore avec les Ottomans. Mais la Grèce proprement dite a un statut beaucoup plus dur, celui de colonie. Les campagnes doivent fournir un quota d’enfants à Istanbul, qui sont convertis à l’islam et enrôlés dans un corps d’élite, les janissaires. Les popes se chargent de l’agitation anti-turque dans des écoles clandestines, et, dans les montagnes, des bandes de « brigands », les Kleftedes, forment des foyers de guérilla.

Statue of Rigas Feraios © Tilemahos Efthimiadise
Vers l’indépendance (1789 à 1829)
Quand éclate la Révolution française, la lutte s’intellectualise. Rigas Feraios écrit une déclaration des droits de l’homme à la grecque et des chants séditieux sur l’air de la Carmagnole. Le 25 mars 1821, près de la station de ski de Kalavrita, l’archevêque de Patras brandit le drapeau à croix bleue. C’est la révolution. Au terme de combats qui ne font pas dans le détail, Athènes est libérée. Ce succès pousse les indépendantistes à toujours plus d’audace : Nikitas se taille le surnom de « mange-Turcs », Kolokotronis se retranche à Karitaina, Botzaris fait sauter Missolonghi plutôt que de le rendre. Quand Chio se soulève à son tour, les Turcs massacrent 25 000 habitants. Relayée par les tableaux de Delacroix, la propagande « philhellène » gagne les salons. Victor Hugo s’embrase : « En Grèce ! en Grèce ! adieu vous tous ! il faut partir ! Qu’enfin, après le sang de ce peuple martyr, le sang vif des bourreaux ruisselle ! » Son confrère Byron mourra pour la cause, avec 280 autres philhellènes : officiers français, agents russes, escrocs américains… dont l’élan préfigure les brigades internationales de 1936.En 1827, une escadre franco-anglorusse coule la flotte turque à Navarin. C’est le coup de grâce. Istanbul abandonne la Grèce… aux luttes de factions, car les puissances étrangères poussent leurs pions dans la coulisse : les Russes désignent un gouverneur, Capo d’Istria. On l’abat à Nauplie. Les Bavarois dépêchent l’autoritaire Othon Ier. On le force à abdiquer. Les Anglais imposent Georges Ier. Il doit s’exiler. Et pendant que la disette bat la campagne, les linguistes s’étripent sur la langue officielle : grec classique simplifié ou grec vulgaire enrichi ?
Une grande idée et une grande catastrophe (1829 à 1936)
Les politiciens les plus intransigeants veulent reprendre Constantinople : c’est la « Grande Idée », qui vise à annexer cette Asie mineure peuplée de minorités grecques… de plusieurs millions d’âmes ! Plus réaliste, le Crétois Venizelos pousse la Grèce à annexer son île natale, avant de l’entraîner dans deux guerres balkaniques et celle de 1914 -1918. La Grèce y gagne ses frontières actuelles, plus Smyrne, que les Alliés confisquent à l’ex-Empire ottoman en punition de son soutien à l’Allemagne. Mais Smyrne reste à prendre ! Athènes envoie des troupes. D’abord débordée, l’armée turque se ressaisit. C’est la débandade. Les Grecs de Smyrne sont exterminés sous les yeux impassibles des Alliés, qui mouillent dans la baie. La « Grande Idée » débouche sur la « Grande Catastrophe ».Pour limiter les massacres, la Grèce et la Turquie procèdent à des échanges de populations. Les Grecs d’Asie Mineure – les Micrasiens – embarquent pour le Pirée, Salonique ou Ermoupoli. Après des siècles passés dans un monde cosmopolite, les nouveaux venus sont rompus au commerce international. Cela éveille les jalousies des métropolitains. Les Micrasiens se retrouvent confinés dans des nouveaux quartiers, mal desservis, où ils forment un prolétariat bien organisé – et une pègre qui trouve son compte dans l’instabilité chronique du jeune Etat.
La Grèce contemporaine
Le temps des dictateurs (1936 à 1944)
En 1936, voulant éviter les troubles que traverse l’Espagne, le général Metaxas établit une dictature fortement anticommuniste. Il tente de trouver un soutien auprès de Hitler. Mais Mussolini a des vues sur la Grèce. Le 28 octobre 1941, quand Rome envoie un ultimatum à Athènes, la réponse s’inscrit en grosses lettres au fronton de l’Acropole : « Ohi ! » – « Non ! » Et ce n’est pas qu’un mot : l’armée italienne prend une raclée en Epire. Le Duce en appelle au Führer, tandis que les Britanniques prennent pied en Crète. Hitler reprend l’île grâce à la première invasion aéroportée de l’histoire. La parole est désormais à la Résistance qui, malgré une répression sans égale et une situation économique difficile (la faim décime près de 40 000 Athéniens), fait perdre plusieurs fois la face à Berlin.
La guerre froide et les temps nouveaux (apès 1944)
En 1944, l’Elas, le puissant maquis communiste, réclame sa part de pouvoir dans la Grèce libérée. Mais les accords de Yalta ont placé la Grèce dans la sphère d’influence des Britanniques, qui refusent toute coalition avec les « Rouges ». La guerre civile éclate. Churchill fait donner le napalm. Des milliers de communistes sont déportés en Egypte, où ils meurent dans des marches forcées. Cinq ans de guerre civile laissent le pays plus instable que jamais. En 1967, une poignée de colonels s’empare du pouvoir. Les opposants s’exilent ou redécouvrent les camps de concentration.En 1974, soucieux du non-alignement de Chypre, Washington pousse Athènes à y monter un coup d’Etat. Saisissant l’occasion, la Turquie envoie ses troupes pour protéger les Chypriotes turcophones. Le nord de l’île se retrouve occupé. Cette bévue, aujourd’hui encore pomme de discorde entre la Grèce et la Turquie, hâte la fin du « régime des Colonels ». Des manifestations sanglantes font le reste. Par référendum, les Grecs optent alors pour la démocratie. En 1979, la Grèce fait son entrée dans la CEE. En 2002, la vieille drachme s’efface devant l’euro. Mais le pays souffre d’une caste politique qui se renouvelle peu, d’une économie stagnante, du déclin même de ses points forts, comme la pêche et la marine marchande. Certes, Athènes inaugure le troisième millénaire en faisant la nique aux cyniques avec l’immense succès des Jeux olympiques de 2004, mais on lui reproche de trop compter sur les aides européennes, mises à mal par la crise de 2008. Des scandales politiques, des incendies tragiques qui mettent au jour les dysfonctionnements ne facilitent pas les choses.