En 581, la dynastie des Sui, qui reconstruisait une Chine du nord dévastée par les guerres, décida d’unir ses destinées au sud plus prospère. Des centaines de milliers d’hommes furent mobilisés vingt ans pour creuser « à l’aide de cuillères à thé » un ouvrage à la mesure de la Grande Muraille : le Grand Canal qui relia le delta du Yangzi jiang au bassin du fleuve Jaune. Ce n’est pas une voie, mais un réseau de travaux hydrauliques, de canaux et d’écluses qui, sur 1 700 km, permet encore aux barges d’échanger le charbon du nord contre le riz du sud.

Lac Tai, Wuxi chef-lieu du Jiangsu Chine

Lac Tai, Wuxi chef-lieu du Jiangsu Chine By: Céline RosalèsCC BY-NC-SA 2.0

Wuxi et le lac Tai
A 42 km de Suzhou ; 127 km de Shanghai.
A la jonction du Grand Canal impérial et du Tai hu, un des quatre grands lacs d’eau douce de Chine (2 400 km2), des bateaux de toutes tailles mouillent le long des quais de Wuxi, grand marché du riz, qui écoule également le traitement de la soie à échelle industrielle.

Le jardin Jichang
C’est là qu’on trouvera un peu de quiétude. Il fut si admiré par l’empereur au XVIIIe siècle qu’il le fit copier au palais d’Eté de Pékin. Dans les galeries qui serpentent au bord de l’eau, des fenêtres octogonales forment autant de tableaux sur les monts Xi et Hui, panoramas célèbres de la cité.
On gagnera plus à filer vers la campagne au rythme de la vie du lac Tai : ballets de filets des villages de pêcheurs, géométrie des bassins de pisciculture, forêts de roseaux, champs de lotus et de châtaignes d’eau.

Des villages et des eaux
Non loin de Shanghai, s’étendent les vieilles bourgades, sillonnées par des canaux qu’enjambent des ponts en dos d’âne, qui composent le Shuixiang, la « campagne des eaux » que l’Unesco a inscrit au patrimoine mondial. Leurs ruelles sont étroites, on y circule volontiers en bateau. La vie y est paisible derrière les persiennes. Le linge sèche sur des tringles de bambou, au seuil d’une porte une dame tricote, le cliquetis des pièces du mah-jong s’échappe d’une maison de thé. Laquelle choisir ? Difficile à dire : chacune a son cachet, ses anecdotes, ses lieux de charme ; toutes sont à 1 à 2 h de voiture de Shanghai, à portée des autoroutes Shanghai-Hangzhou et Shanghai-Suzhou (Zhujiajiao,à 40 km au sud-ouest de Shanghai ; Xitang,à 71 km au sud-ouest ; Zhouzhuang,à 85 km à l’ouest ; Tongli,à 80 km à l’ouest ; Luzhi, à 58 km à l’ouest ; Nanxun, à 120 km au sud-ouest ; Wuzhen,à 140 km au sud-ouest).

Suzhou, la cité de la soie
A 84 km de Shanghai. Suzhou est la ville de la soie depuis le Moyen Age. « Ils ont de la soie en grandissime quantité, disait Marco Polo. Ils font maints draps de soie pour leurs vêtements. » Autrefois, les flottes de soie pour le tissage étaient réalisées par les familles qui élevaient le bombyx du mûrier. Aujourd’hui, les cocons sont dévidés dans des usines, travail qui n’emploie que des femmes, étuvant les cocons pour tuer les chrysalides et déroulant le fil de 1 800 m que décolle la chaleur.
Quel meilleur guide qu’un Vénitien pour décrire la Venise de Chine ? « Sugiu est une très noble cité et grande. Et vous dis très véritablement qu’il y a bien 6 000 ponts de pierre dans cette cité, sous lesquels une galère ou deux pourraient bien passer », racontait Marco Polo. Il omet ses joyaux : les jardins de mandarins. Ils sont aujourd’hui le fil rouge de la visite d’une ville qui a troqué son passé de ville d’eau, contre les habits high-tech dont l’ont dotée les capitaux singapouriens.Suivez le guide !Comme les mandarins retirés qui conviaient des artistes de renom pour jouer sur l’air d’un poème célèbre, offrez-vous un concert nocturne au jardin du Maître des filets (de mi-mars à mi-octobre, tlj de 19 h 30 à 21 h 30).

Des jardins aux noms évocateurs 
Derrière les murs chaulés se cachent des jardins (ouvert tlj de 7 h 30 à 17 h 30. Entrée payante), résidences de mandarins rentrés au pays après une vie agitée dans les honneurs de la capitale. Tracé au XIe siècle, restauré au XVIIIe, le jardin du Maître des filets ordonne ses dimensions minuscules autour d’une pièce d’eau. La nature, domptée par des jardiniers-poètes, y donne l’illusion de l’infiniment grand dans l’infiniment petit – « la nature contenue dans une graine de moutarde », disent les Chinois -, pareille à ces paysages en pot, les bonsaïs, peintures miniatures en trois dimensions avant d’être des arbres torturés. Un kiosque pour contempler le reflet de la lune, une collection de hushi, pierres érodées par le lac T a i voisin, des galeries et des portes en forme de lune, tout multiplie les perspectives.
Le jardin de la Forêt des Rochers en forme de Lion fut dessiné, lui, par des moines et des lettrés. Pavillons lambrissés d’acajou, étagères ajourées garnies d’antiquités ou de pierres de rêve, ouvrent sur les galeries en zigzag du jardin Liu. Ce symbole du jardin classique chinois s’étend au pied de la colline du Tigre, où la pagode du Rocher nuageux penche inexorablement depuis quatre siècles.

Nankin, la « capitale du Sud »
A 177 km de Wuxi et 303 km de Shanghai.
Au nord de la ville, le double viaduc qui enjambe le Yangzi jiang fut le premier ouvrage lancé sur le Long Fleuve et le trait d’union symbolique entre Chine du Nord et Chine du Sud (1968). Moderne, densément peuplée, la capitale du Jiangsu ne doit son charme qu’aux pentes boisées de pins et de cyprès du parc Zhongshan.

Un destin capital
Le site devint siège du pouvoir au début du IIIe siècle, pour les dynasties fondées au sud de l’empire disloqué des Han de l’Est. Foyer du bouddhisme, Nankin était aussi un pôle économique, avec ses forges et ses fonderies aux épées fameuses, ses brocarts de soie et ses céramiques bistres.
En 1359, Zhu Yuanzhang, chef des Turbans rouges insurgés contre les Mongols, y établit sa capitale. Neuf ans plus tard, il y fonda, après avoir bouté l’ennemi, l’ère des Ming, la dynastie de « Lumière ». 200 000 riches familles furent contraintes de venir s’installer à l’abri du rempart de briques qui courait sur 57 km autour de la cité… et qui court toujours, par pans entiers : contrairement à Pékin, où les Ming transférèrent leur siège en 1421, laissant à Nankin le titre qui lui est resté – « capitale du Sud » -, il ne fut pas rasé.
Les tours de la Cloche et du Tambour, où l’on sonnait les heures, sont elles aussi toujours debout.
La porte de l’Est a été rebaptisée Zhongshan, en hommage au Cantonais Sun Yatsen qui proclama, à Nankin, l’avènement de la République de Chine, en 1912 (Yatsen, en cantonais, devient Zhongshan en mandarin).

Au sud, dans le quartier des Fleurs et des Saules 
Cette jolie métaphore désignait jadis le quartier des plaisirs éphémères, restitué, en tout bien tout honneur, autour de l’ancien temple de Confucius. Les plaisirs d’aujourd’hui sont ceux des gourmets, qui se régalent auprès des bateaux-restaurants circulant sur les eaux d’un canal.
Une belle demeure d’époque mandchoue héberge le musée du Royaume céleste des Taiping (ouvert tlj de 8 h à 17 h. Entrée payante).
Le jardin de la Contemplation, attenant, est une merveilleuse composition de rocailles bordant une pièce d’eau.

Dans les collines du parc Zhongshan 
Au pied de ces pentes qui fleurent le pin, le Musée provincial (ouvert tlj de 9 h à 16 h. Entrée payante) expose un patrimoine exceptionnel, tel ce fameux linceul de 2 600 plaques de jade cousues de fils d’argent pour protéger le corps d’un homme mort voici deux mille ans.
Sur les crêtes, les Ming établirent un bureau d’astronomie : dans les jardins de cet observatoire de la colline Pourpre et Or(ouvert tlj de 9 h à 16 h 30. Entrée payante), des dragons filiformes serrent dans leurs griffes de savants instruments de mesure du XIVe siècle.
Le fondateur des Ming choisit ce site de collines pour y construire sa sépulture. Son allée des Esprits(Ming Xiaoling, ouvert tlj de 6 h 30 à 18 h 30. Entrée payante), paires d’animaux et couples de mandarins, annonce celle des tombeaux Ming de Pékin, mais au lieu de s’aligner elle fait un coude pour des raisons dictées par la géomancie.
C’est là également que fut bâti, en 1929, le mausolée de Sun Yatsen. Le père de la Chine moderne repose à l’abri d’un pavillon à l’ancienne, couvert de tuiles vernissées bleues (ouvert tlj de 8 h à 18 h. Entrée payante).

Zhejiang et Anhui : au pays du thé

Mars 1751 : sur le bleu du ciel de Hangzhou claquent les bannières d’une flotte extraordinaire. L’une des grandes jonques fluviales brille tout particulièrement. A son bord, un homme entre deux âges, vêtu de la longue robe de soie jaune brodée de dragons que le protocole réserve aux empereurs : Qianlong, quatrième souverain de la dynastie mandchoue des Qing, découvre l’enchantement des paysages du Zhejiang. Aujourd’hui, ils sont toujours, avec le Anhui voisin, un hymne à la douceur : nappes de brumes montées des eaux, bruine diaprant le ciel au printemps, courbes des collines où le riz, le mûrier et le théier poussent à merveille.

Suivez le guide !
Laissez-vous séduire par la poésie des pierres de Nankin. Nés d’une pluie miraculeuse de fleurs, ces galets aux veines colorées sont collectionnés avec passion.

Le royaume des croquants

Au milieu du XIXe siècle, un certain Hong Xiuquan, natif du Guangxi, fut pris de visions divines… après trois échecs successifs aux examens de recrutement des fonctionnaires. Passant de la prédication à l’opposition ouverte au pouvoir mandchou, il marcha sur le bassin du Yangzi jiang, entraînant avec lui une armée de la misère de 500 000 hommes. En 1853, il enleva Nankin pour en faire la capitale du royaume céleste de la Grande Paix, le Taiping Tianguo. La répression menée par les impériaux contre les Taiping fut atroce. Acculé, Hong Xiuquan se suicida dans son palais avec de nombreux partisans, en 1864.

Hangzhou, le jardin des délices
A 504 km de Nankin et 201 km de Shanghai.
Des vagues de collines moutonnant sur les berges d’un lac reflétant le ciel : telle s’offrait Hangzhou au regard de la cour des Song, qui trouva refuge en ces lieux après la prise de sa capitale, Kaifeng, par un empire nomade, en 1126. Même après que la vague mongole eut balayé à son tour cette dynastie exilée, Hangzhou continua de briller grâce à ses grands marchands prodigues, mécènes et collectionneurs d’objets rares et de matières précieuses.

Lac de l'Ouest - Hangzhou © tangka

Lac de l’Ouest – Hangzhou © tangka


Autour du lac de l’Ouest 
Les empereurs mandchous baptisèrent « délices » les beautés naturelles de Hangzhou, dont le lac de l’Ouest est le fleuron. On y canote au départ du parc de la Contemplation des poissons, joli jardin qui cultive l’art de la surprise en recoins moussus et parterres fleuris. Les bassins de l’île des Petites Mers(Xiaoying zhou) forment des lacs gigognes, où les souverains venaient contempler, les nuits d’été, le jeu du reflet de la lune et des lampes allumées dans trois lanternes de pierre.
Le Pont brisé prolonge la digue du Poète Bai Juyi, qui dessert l’île de la Solitude, où se dresse le Musée provincial (ouvert du mardi au dimanche de 9 h à 16 h. Entrée payante). On y apprend qu’on moissonnait déjà le riz dans la région il y a sept mille ans.
Sur la rive nord, on entretient un temple en hommage à Yue Fei(ouvert tlj de 6 h à 18 h 30. Entrée payante), un général qui s’employa toute sa vie à reconquérir le vieux pays du fleuve Jaune, tombé aux mains des « barbares » au XIIe siècle. Rive est, près de Hefang jie, un quartier préservé de la vieille ville, la pharmacie Hu Qing Yu Tang conserve ginseng, hippocampes, scolopendres et autres ingrédients dans des rangées de pots en porcelaine bleu et blanc. Bâtie en 1874, elle est toujours une officine, doublée d’un musée (ouvert tlj de 8 h à 17 h. Entrée payante).

Dans les collines de l’Ouest 
Elles produisent l’un des meilleurs crus de thé vert, le puits du dragon(longjing), dont la primeur était jadis privilège impérial. Le musée du Thé de Chine(ouvert tlj de 8 h 30 à 16 h 30. Entrée payante) retrace l’histoire et les usages du Camelia sinensis.
Au temple Lingyin(ouvert tlj de 8 h à 16 h. Entrée payante), les forêts de bâtons d’encens brûlant dans d’imposants brûle-parfum témoignent de l’importance de ce monastère bouddhique fondé au IVe siècle.
Dans la petite forêt voisine, la Falaise venue en volant fut sculptée d’images rupestres au XIIe-XIIIe siècle. Au sud, la Pagode des Six Harmonies(ouvert tlj de 8 h à 18 h. Entrée payante) domine la rivière Qiantang.

Marco Polo : les merveilles de Cathay

Les hasards des troubles en basse Volga conduisirent deux marchands vénitiens, les frères Polo, à la cour du Grand Khan mongol. La papauté, en quête d’un allié contre l’Islam, patronna un second voyage auquel participa le jeune Marco. Le khan Kubilaï, qui régna sur la Chine entre 1259 et 1294, impressionné par les talents de polyglotte du jeune homme, lui confia, entre autres tâches, le contrôle des taxes à Hangzhou. Durant ses trois ans de captivité dans les prisons génoises, le Vénitien conta à son compagnon de cellule le récit de ses seize années passées en Chine et de ses voyages réels ou fictifs en Asie. Les « merveilles » de ce livre campent une Chine entre fantasme et réalité. 

Tunxi (Huangshan shi) et le Huizhou
A 243 km de Hangzhou et 444 km de Shanghai.
Porte des Huang shan, Tunxi a préservé Laojie, une vieille rue au confluent des rivières Huang et Zui. Ici, l’on apprend pourquoi l’encre et sa pierre à broyer constituent d’inestimables trésors que le calligraphe se procure à prix d’or. L’atelier HuKai Wen (ouvert tlj de 7 h 30 à 11 h 30 et de 13 h 30 à 17 h 30. Entrée payante), y « cuisine » encore les gâteaux d’encre, selon une recette tenue secrète et dans des ateliers fleurant bon le camphre. Quant au schiste sombre du bourg voisin de Shexian (à 23 km), son grain serré semé de particules de mica offre une texture idéale pour diluer l’encre en bâton en la frottant au contact de l’eau.

Souvenirs du grand négoce
Sous les Ming et les Qing, les marchands du Huizhou bâtirent des fortunes sur le commerce de ces trésors. L’encre et les pierres étaient acheminées vers les grands centres commerciaux de l’Est, avec les autres produits de l’Anhui, bambou, bois d’œuvre et thé, par la voie de la rivière Xin’an. Les négociants scellaient leur réussite de deux manières : en se faisant bâtir de luxueuses résidences pour loger leur parentèle dans leur village natal et en investissant une partie de leurs recettes dans les études de leurs fils pour les promettre à la carrière mandarinale. Le Huizhou est plein de ces souvenirs : arche commémorative élevée par décret impérial en l’honneur d’un lauréat à Shexian, temple des Ancêtres du clan des Bao à Chengkan(à 30 km), palais du marchand de sel Wang Tinggui à Hongcun(à 66 km), demeures des négociants de thé à Nanping(à 65 km). 

Huang shan, les monts Jaunes
A 70 km de Tunxi et 480 km de Shanghai.
Ils s’élèvent au cœur de l’ancien pays de Yi, si longtemps coupé du monde que la légende en a fait la porte de la Source des pêchers, terre idéale libérée des contingences humaines. Falaises abruptes surgies des brumes, pins suspendus aux à-pics au-dessus du vide, murmures de sources invisibles, volutes de nuages rapides : c’est le pays de la « montagne » (shan) et de l’« eau » (shui), dont l’union (shanshui) désigne le paysage en chinois. L’Empereur jaune, ancêtre mythique du peuple chinois, inaugura la randonnée aux Huang shan en venant cueillir des simples pour composer un élixir. Plus prosaïquement, des téléphériques desservent les sommets de nos jours. On peut ainsi, sans fatigue excessive, descendre et monter au fil des sentiers et contempler les « mers », panoramas célèbres de cet archipel de montagnes et de nuages : mer du Nord, Mer céleste, Mer antérieure et mer de l’Ouest.

Le mont des Neuf Lotus (Jiuhua shan)
A 235 km de Tunxi et 449 km de Shanghai.
Ses neuf pics aigus surgissant de la plaine lui valurent son nom de Jiuhua, les Neuf Lotus, une des quatre montagnes sacrées des bouddhistes. Depuis le VIIIe siècle, on y rend un culte au Dizang d’or, divinité dont la compassion s’exerce auprès des âmes égarées des défunts. Un bourg de temples aux hauts murs jaunes en forme le centre, tandis que routes, chemins et même deux téléphériques s’échappent à travers le massif vers les couvents du Zhongminyuan.

Les couvents du Zhongminyuan
Ils sont bâtis à la mode des villages de l’Anhui (murs chaulés, percés de fenêtres à croisées de bois, larmiers de briques rouges et noires) : la Terrasse céleste (altitude 1 321 m), qui offre des panoramas pareils à ceux des monts Jaunes, et l’étrange palais du Centenaire. Là, on vénère la momie dorée du moine Sans-Défaut qui, vingt-huit années durant, recopia le sutra de la Guirlande de fleurs, à l’aide d’une encre faite de son sang mêlé de poudre d’or.

 

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