Les Cyclades Nord
Andros, Naxos, Paros, Kéa, Kythnos, Mykonos, Syros
Cyclade ou Sporade, chaque île a son atmosphère, son rythme, son dosage entre tourisme et authenticité, accueil et flibuste ; chacune prospère ou périclite au gré d’un mythe ou des hasards de la desserte, d’une carrière de marbre ou de la carrière… d’un film.
Les Cyclades
Cinquante-six îles qui font le cercle (kuklos) autour de Délos : naguère, les touristes n’avaient d’yeux que pour le vieux sanctuaire. Santorin, c’était pour les initiés. Mais, en dix ans, les Cyclades sont devenues un « must », offrant tout le spectre des plaisirs, du rêve solitaire à la « rave » organisée. Le succès crée des embouteillages, les Cyclades n’en mourront pas : leur âme dépasse la dimension humaine.
Andros, entre Hermès et la Vierge
Bateau depuis Rafina, Tinos, Syros et Mykonos.
A 7 milles seulement d’Eubée (qu’elle semble prolonger, avec Tinos et Mykonos), c’est la première Cyclade lorsqu’on arrive par le nord-ouest. Ses 370 km2, vêtus d’un humus fertile et prospère, inaugurent bellement l’archipel. Andros est caractérisée par ses pigeonniers, introduits par les Vénitiens, et les murets de pierre qui transforment les terroirs villageois en véritable damier. Elle est aussi l’un des refuges des familles d’armateurs les plus riches de Grèce. L’une d’entre elles a notamment créé, à Andros-Ville (Hora), un musée d’art moderne. Il ne doit pas faire oublier l’un des chefs-d’œuvre de la sculpture antique, le jeune Hermès d’Andros, déhanché et amputé des bras, qui s’est retiré au musée archéologique voisin.

Andros, Cyclades, Grèce © freegr
La Fondation Vasili et Elisas Goulandris
Ouverte uniquement en hiver.
On a le plaisir – et la surprise – d’y découvrir des oeuvres contemporaines, grecques bien sûr, telles celles de Mihalis Tobros, mais également des Giacometti, des Botero, des Hundertwasser.
La Panagia Theoskepasti
Le toit de l’église de la Panagia Theoskepasti (littéralement : Notre-Dame-Couverte-par-Dieu) aurait été offert par des marchands : le pope n’ayant pas l’argent pour payer la charpente, ils rembarquèrent le bois commandé. Une tempête les ramena à de meilleurs sentiments : ils durent promettre à la Vierge de lui céder tout le stock si elle les tirait d’affaire… Non loin de là, une sobre statue de Mihalis Tobros, dédiée au marin inconnu, rappelle que la mer n’est pas toujours paisible dans les Cyclades…
Le monastère de Panahrantos
Au sud d’Andros-Ville.
Ce monastère fortifié a été fondé au Xe siècle par Nicéphore Phokas, l’empereur le plus redouté des Turcs et des Arabes. L’église, abondamment dotée, abrite le crâne de saint Panteleimon, aux vertus curatives, à ce qu’on croit.
Palaiokastro
Au centre de la côte ouest.
Le château vénitien est connu pour la légende de cette vieille femme qui aida les Ottomans à envahir l’île. Prise de remords, la traîtresse se précipita d’une falaise, en un point appelé encore aujourd’hui le Saut de la Vieille (Grias to Pidima).
Agios Petros
Au nord de l’île.
Sur l’un des plus beaux points de vue, se dresse une plaisante tour hellénistique de section ronde et haute d’une vingtaine de mètres. On y accède à pied et on peut y monter. Pour les visiteurs moins actifs, les plages sont sur la côte ouest, à Fellos et Batsi.
Aux quatre vents de la Grèce…
A Athènes, la « tour des Vents » en recense huit. Chacun a son azimut (d’où le nom de « rose des vents » donné au cadran de nos boussoles. Le plus connu est Zéphyr, doux souffle venu de l’ouest. Il y a aussi Borée, le vent du nord que La Fontaine désigne de son nom latin d’Aquilon – et les Grecs de son nom turc, Meltemi. Auxiliaire des récoltes, Apéliote est celui de l’est ; Notos est le méchant venu du sud, chargé des pluies volées à l’Ethiopie. Olympias, celui du nord-ouest, tombe des pics glacés de l’Olympe. Cécias pousse les grêles du nord-est ; Euros vient du sud-est et Lips, du sud-ouest. Amis ou ennemis des matelots et des kite surfers, tous sont aux ordres d’Eole, qui les tient enfermés dans des outres en son île de Tinos – alias Eolia.
Naxos, la fille d’Ariane
Bateau depuis Le Pirée. Avion depuis Athènes.
C’est la plus grande. Sur ses pentes, l’ingrat Thésée abandonna Ariane -qui l’avait pourtant sauvé du Labyrinthe. On y cultive aujourd’hui des vignes à vin blanc et des cédrats, dont on fait une liqueur. Quand les croisés se partagent la Grèce, les Cyclades reviennent aux Vénitiens. Naxos devient capitale d’un « duché de l’Archipel ». On voit encore aujourd’hui ces curieuses églises à deux nefsoù l’on disait simultanément la messe en grec et en latin.Rivale de Paros pour le marbre, Naxos a fourni Delphes… et la très photographiée porte du temple d’Apollon, alias Portara, à Naxos-ville. C’est à peu près tout ce qui nous est parvenu de l’édifice, qui, une fois n’est pas coutume, n’a pas été détruit : bien au contraire, il s’est contenté de piétiner dans la réalisation de travaux qui semblaient prometteurs.
Le musée archéologique(ouvert du mardi au dimanche de 8 h 30 à 15 h. Entrée payante) expose une collection d’idoles cycladiques qui consolera ceux qui ne pourront voir celles d’Athènes, ainsi que des mosaïques de l’époque de l’occupation romaine. Hormis ses petites figurines, Naxos est célèbre pour des statues beaucoup plus colossales.Le village d’Apollon doit tout bonnement son nom prestigieux à un kouros inachevé de 10 m de haut, censé représenter le dieu. A Muloi, à une dizaine de kilomètres de Naxos-ville, on en verra deux autres, d’une hauteur respective et respectable de 5 et 8 m.
Paros, l’île de marbre
Bateau depuis Le Pirée et Mykonos. Avion depuis Athènes.
Dès les premiers récifs usés par le vent en entailles élégantes, Paros se présente comme l’île du marbre. Ses carrières, que l’on visite toujours, nous ont donné le Harpiste du Musée cycladique d’Athènes, la Victoire de Samothrace du Louvre, les Lions de Délos et même la cathédrale de Levkes, l’ancienne capitale.
Le port de Paros-ville est relié à la petite sœur, Antiparos, et à toutes les îles des Cyclades. On y admirera au passage l’agencement original des voûtes de Notre-Dame des Cent-Portes (Panagia Hekatondapiliani), qui comporte, dit-on, 99 ouvertures : la centième sera trouvée le jour où les Grecs reprendront Istanbul aux Turcs. En marge de Golden Beach, le sanctuaire très international du fun board, Paros a su garder son calme, qu’on savoure dans le va-et-vient des pêcheurs, à Logaras ou Naousa; tandis qu’on découvrira l’arrière-pays au fil de la route d’Apeiranthos.
Kéa, la choisie
Bateau depuis Lavrio.
Proche du cap Sounion, Kéa faisait des clins d’œil aux Athéniens. Quand le Nefos étouffe la capitale, ils viennent s’éventer dans leurs belles villas cossues, construites sous ses pins. Les attractions se limitent à un lion de 10 m de haut taillé dans le roc pour protéger les riverains contre les nymphes – génies féminins maléfiques -, qu’on peut admirer à la sortie de Ioulis, la capitale. Les amateurs de forti fications monteront jusqu’au vieux kastro vénitien, et pourront aussi détailler une magnifique tour hellénistique, à Moni Agia Marina.Kéa produit également un petit vin très apprécié, ainsi que des amandes et un miel parfumé.
Kythnos
Plutôt fréquentée par la clientèle nationale – qui y a installé de nombreuses résidences secondaires -, Kythnos se prête à la découverte, à pied, de villages isolés et de quelques vestiges antiques. L’île était jadis célèbre pour ses peintres d’icônes, ses potiers et sa station thermale aux eaux ferrugineuses et qui porte inévitablement le nom de Loutra. Convertie au balnéaire, seule cette dernière a encore quelque réputation. D’autres plages se trouvent à Apokrousi et Episkopi.
Mykonos (Mukonos), volage et voltage
Bateau depuis Le Pirée, Rafina et Paros. Avion depuis Athènes. Charters depuis l’Europe.
Jadis, cette ancienne possession vénitienne était connue comme étant la patrie de Mango Mavrogenous. Avec sa fortune personnelle, cette femme-corsaire arma deux bateaux pour défendre l’île contre une flottille venue d’Alger, avant de ponctionner l’argent de poche des grandes dames parisiennes.En 1960, il y avait à peine un vapeur par jour pour Mykonos-Ville. Avec ses 16 moulins, ses 400 chapelles blanches et parfois catholiques, et son sol planté d’aloès, l’île n’était qu’un mythe de peintres du dimanche. Quinze ans après, Mykonos était le Saint-Trop’ hellénique, avec la première plage nudiste de Grèce. Aujourd’hui, elle est desservie par une demi-douzaine de compagnies maritimes et l’on s’y pose en charter. Elle est un des hauts lieux gay mondiaux, et le fief d’une jeunesse insouciante qui y pratique la « fête » entre serviettes de bain, tavernes, discothèques et échoppes trendy, sans faire fuir pour autant pêcheurs, ânes et pélicans – miraculés dans la tourmente du dernier cri.
La « Petite Venise » (Alevkandra)
Y a-t-il un pays qui n’en ait pas une ? Sous le ventilo des Quatre Moulins (Kato Muli), ces maisons cubistes, chaulées, fleuries, garnies de balcons bleu outremer ont donné ses normes à l’architecture cycladique. Le Corbusier s’en est inspiré et, après lui, les clubs de vacances de toute la Méditerranée – voire des Caraïbes !
La Panagia Paraportiani
Au sud-ouest de la jetée.
Comme le dôme bleu de Santorin, son petit portique sans cloche est une des images les plus rabâchées de la Grèce. Son nom signifie Notre-Dame-de-la-Poterne – parce que la Vierge loge dans un curieux édifice immaculé, gobant la porte de l’ancien kastro. Sa construction s’étage (le terme est approprié) entre XVe et XVIIe siècle, mêlant intimement quatre chapelles que coiffe une cinquième.
Le musée d’art populaire
Au sud-ouest de la jetée, sur le front de mer.
Perchant sur le rempart de l’ex-forteresse vénitienne, ses collections donnent une idée de l’artisanat local et de l’aménagement d’une maison de corsaire.
Musée maritime égéen
Dans Tria Pigadia.
Maquettes, instruments de navigation et cartes à l’appui, le panorama d’une histoire tiraillée entre commerce opportuniste, guerre de course et flibuste.
Le moulin Boni (mulos Boni)
Sur les hauteurs, on maintient en pleine forme un des célèbres moulins de l’île. Jadis au nombre de 30, tournant 300 jours par an, ils faisaient face à la forte demande en farine des vaisseaux de tous bords. Un règlement municipal interdisait de construire à proximité, pour ne pas émousser la force éolienne.
Ano Mera
Au centre de l’île.
La deuxième ville de Mykonos vaut surtout pour le monastère de la Panagia Tourliani (Notre-Dame-du-Dôme), qui affiche fièrement sa tour de marbre de Paros, du XVIe siècle. Non loin de là se trouve aussi le couvent de Palaiokastro, qui a investi une ex-forteresse vénitienne.
Les plages
Pas de Mykonos sans plage – ce qui n’empêche pas Paradise Beach d’être un monument historique ! Comme le suggère son nom édénique, elle s’adresse aux nudistes. Trouvant son public trop éclectique, le tout-gay de Mykonos a émigré 2 km plus à l’est, à Super Paradise, où l’on affiche désormais la couleur : à l’est les homos, à l’ouest les hétéros. En attendant Mega Paradise ? Les sables de Platus Gialos sont plus familiaux. De cette station, les navettes desservent des criques discrètes.
Pétros, le pélican immortel
Un pauvre pélican échoue un jour à Mykonos, épuisé par une migration qu’il n’a plus la force d’achever. Mais un accueil triomphal est réservé au looser. Bichonné, son bec insondable toujours rempli, la bête reprend des forces – et perd son nomadisme. Il reçoit même un prénom, Petros (Pierre), devenant vite la célébrité la plus photographiée d’une île que hante pourtant la jet set. Après 29 ans de promotion active, il est odieusement tué par un touriste. Pleuré par tous, on l’empaille. On le cache au musée d’art populaire. Puis on le remplace ; on le marie même, tant et si bien que vous rencontrerez plus d’un Petros, pêchant ou quêtant sur les quais.
Suivez le guide !
Jaune comme un taxi, l’hydroglisseur, alias « flying », vous conduit à Mykonos en deux fois moins de temps – deux heures – que le ferry. Nauséeux s’abstenir : plus sensible aux vagues, l’hydroglisseur secoue pas mal.
Syros, le rêve déchu
Bateau depuis Le Pirée, Tinos et Paros. Avion depuis Athènes.
Une fois n’est pas coutume dans les Cyclades, le principal centre d’intérêt est une ville, Hermopolis, reflet d’une histoire grecque aussi intéressante que le siècle de Périclès : la fondation de la Grèce nouvelle, au milieu du XIXe siècle. Les amateurs de baignade se rendront à Vari. Ceux qui préfèrent les lieux plus déserts opteront pour Grammata ; quant aux naturistes, ils ont leur fief à Armmeos et Delfini.
Hermopolis (Ermoupoli, Hermoupolis)
C’est la capitale de l’île, mais aussi de toutes les Cyclades. Le port est veillé par deux collines assorties d’une église : une pour les orthodoxes, l’autre pour les catholiques – la plus grande communauté du monde hellénique vit ici. Dès l’indépendance de la Grèce, elle devient le centre géographique d’une future Grèce qu’on imagine sans complexe s’étendre jusqu’à Smyrne et Constantinople. Le plus grand entrepôt de charbon de la Méditerranée ravitaille les vapeurs de toutes les nations. Autour de la très pulsatile place Miaoulis (plateia Miaouli), les plus grands architectes comme Ernst Ziller, auteur de l’Hôtel de ville, élèvent cathédrale et édifices néo-classiques rivalisant avec le centre d’Athènes. Ils offrent même à la cité (alors la deuxième de Grèce) le premier opéra, reproduction – en plus étroit – de la Scala milanaise.
L’ouverture du canal de Corinthe recentre la Grèce. Sur le Pirée. Hermopolis s’anémie. En 1920, elle devient le camp de transit des Grecs fuyant Smyrne, un bouzouki dans le baluchon. Ainsi enfle le quartier annexe d’Ano Syros, dans les remparts de l’ancien fief catholique. Phanariotes et Smyrniotes y nourrissent leurs aigreurs contre les bouseux d’Athènes, qui monopolisent le pouvoir et les finances. Au milieu des mauvais garçons naît un grand du bouzouki et du rebetiko (le blues grec), Markos Vamvakaris, qui y a sa statue et son musée.
Markos, trouvère de la pègre
C’est l’un des rares interprètes de rebetiko à ne pas être originaire d’Asie Mineure : Markos Vamvakaris (Markos tout court, pour les intimes !) est né en 1905 à Ermoupoli (Syros). L’île est alors le centre économique de la jeune Grèce, par lequel transite tout le nécessaire à une révolution industrielle… plus que balbutiante ! Fils de paysan catholique converti à la cornemuse, Markos accompagne d’abord son père au tambourin, avant de tenter sa chance au Pirée. Il devient équarrisseur, docker, oubliant ses soucis dans le haschisch et le jeu, l’ouzo et les femmes. En parallèle, il devient surtout l’as des as du bouzouki et de la baglama, instruments très appréciés des marginaux de la pègre pour lesquels il compose. Sa voix aigre et rêche finit par séduire une jeunesse lassée de la dictature. En 1972, il meurt dans la gloire non sans avoir écrit d’amusants mémoires.