Lors de leur découverte, il y a près de six cents ans, Madère et les Açores étaient totalement désertes.
Les navigateurs portugais en ont fait une étape royale sur les routes des Indes et du Nouveau Monde. C’est aujourd’hui l’avant-garde fleurie de l’Union européenne.

Madère

C’est en 1317 que l’île de Madère apparaît pour la première fois dans les récits des navigateurs.
Un capitaine génois, Manuel Pessanha, financé par le roi du Portugal, aurait relâché pendant quelques heures sur la côte d’une île montagneuse couverte de forêts et apparemment déserte. Elle l’était effectivement et allait le rester pendant encore un siècle.

A la conquête des mers

L’ère des Grandes Découvertes commençait. Espagnols et Portugais lançaient leurs caravelles à la conquête des mers. Ce fut l’infant du Portugal, Enrique, dit le Navigateur bien qu’il n’eût jamais mis les pieds sur un bateau, qui remporta la première manche. L’un de ses navires, pris dans une tempête, échoua sur une île inconnue. Afin de remercier son Sauveur, son commandant, João Gonçalves Zarco, la baptisa Porto Santo (Port-Saint). Au loin, surgie de l’océan, une énorme montagne se dressait, couronnée de nuages.

L’île du bois

Rentré au Portugal, João Gonçalves Zarco, toujours à l’initiative de l’infant Enrique, repartit l’année suivante, en 1420, explorer la zone de ces îles mystérieuses.
Cette fois, il piqua droit sur la grande terre aperçue lors de son naufrage et y débarqua quelques semaines plus tard. Devant l’épaisse forêt qui la couvrait tout entière, un nom s’imposa vite : Madeira, « bois » en portugais. La colonisation allait bientôt commencer.

Sept ans d’incendie

Comment défricher cette terre nouvelle ? En y mettant le feu, tout simplement. Selon les chroniqueurs, l’incendie dura de cinq à neuf ans. Il ne se termina que faute de combustible. Ensuite, il ne resta plus qu’à semer et à laisser faire la nature.

Un miracle agricole

Restait à développer la nouvelle colonie. De tout le Portugal, des paysans pauvres commencèrent à débarquer et entreprirent ce qu’on allait appeler l’épopée rurale de Madère. Sur tout le versant sud, on tailla des terrasses, que l’on fertilisa par de la terre apportée à dos d’homme, et on y planta du blé, de l’orge, de la vigneimportée de Crète. Pour irriguer les cultures, on creusa des « levadas », canaux serpentant à flanc de coteau depuis les hauteurs très arrosées jusqu’aux plantations de bananiers qui longent le littoral. Dix ans après le début de la colonisation, Madère exportait la moitié de sa production de céréales.

Un royaume du sucre

Une nouvelle culture allait cependant apporter à l’île une extraordinaire prospérité, celle de la canne à sucre, particulièrement adaptée au climat et à la nature du sol. On importa des plants de Sicile, des esclaves des côtes de Guinée, et, dès la fin du XVe siècle, Madère comptait parmi les principaux producteurs mondiaux. Sespains de sucre faisaient prime dans toute l’Europe.

Une escale capitale

Très vite, Madère devint une escale capitale sur les routes océanes. Les traversées d’alors durant parfois des mois, tous les vaisseaux faisant le tour de l’Afrique pour gagner les Indes s’y arrêtaient pour s’approvisionner.
Pour mieux contrôler la gestion de ce premier embryon d’empire colonial, le roi du Portugal l’incorpora à la Couronne dès 1497, érigea Funchal en cité et y fit nommer, en 1514, le premier évêque hors du continent européen. Le décor était planté pour un avenir radieux.

Les amants des tropiques

Robert MacKean, gentilhomme anglais du XIVe siècle, était tombé amoureux d’une jeune Française du nom d’Anne d’Orset. Devant l’hostilité de leurs familles, les deux amants s’enfuirent au-delà des mers. Funeste décision. Leur bateau fit naufrage sur une île déserte. Seuls quelques-uns de leurs compagnons survécurent et parvinrent à fabriquer un radeau. Capturés par les Barbaresques, vendus comme esclaves au Maroc, ce sont eux qui auraient prévenu les Portugais qu’une nouvelle terre n’attendait que leur venue. On allait, quelques années plus tard, l’appeler Madère.

Le mariage de Christophe Colomb

On l’ignore souvent, c’est à Porto Santo que Christophe Colomb s’est initié aux techniques de la navigation en haute mer. Entré au service d’un marchand génois de Lisbonne, il était venu dans l’île en 1478 pour y acheter du sucre. Il y rencontra Filipa Perestrelo e Moniz, la fille de l’ancien capitaine-donataire, et l’épousa quelques mois plus tard. Il avait vingt-huit ans. Touchée par sa passion pour les terres nouvelles, sa belle-mère lui communiqua les cartes marines de son défunt mari. C’est ainsi que Colomb acquit la certitude qu’il était possible de gagner les Indes en traversant l’Atlantique.

Les pirates à l’assaut

Cette prospérité naissante ne pouvait que susciter l’envie. A plusieurs reprises, les pirates ravagèrent Madère et sa petite voisine Porto Santo. En 1566, notamment, le Français Bertrand de Montluc mit Funchal à sac. Un peu plus tard, le roi Philippe II, qui venait d’annexer le Portugal, inclut pendant soixante ans l’archipel auxpossessions espagnoles.

Un concurrent dangereux

La culture intensive de la canne avait épuisé les sols. Mais surtout le Brésil, autre colonie portugaise, était devenu un concurrent redoutable. Ses prix très bas, dus à la présence de nombreux esclaves, avaient peu à peu éliminé Madère du marché mondial. Si bien que les habitants de l’île en étaient arrivés à consommer le sucre brésilien et, mieux encore, à le revendre en Europe comme leur propre production.
Les planteurs émigrèrent de l’autre côté de l’Atlantique. L’île dut alors se trouver une autre source de revenus. Ce fut son vin.

Le couronnement du madère

Dès la fin du XVIIe siècle, les Anglais, très intéressés par ces îles hautement stratégiques, avaient profité du mariage de leur roi Charles II avec la fille du roi du Portugal pour obtenir le monopole du transport de ce mélange habilement dosé de vin et d’eau-de-vie vers leurs colonies américaines.
A condition, bien sûr, que ce transport ait lieu à bord de bâtiments britanniques.
Bientôt, des Anglais du continent débarquèrent, achetèrent des terres, les aménagèrent, plantèrent de nouveaux cépages, créèrent des structures commerciales couvrant l’Europe et les Amériques. Des dynasties naquirent, dont plusieurs existent encore aujourd’hui.
Rapidement, la totalité du marché du madère passa aux mains des Anglais.
Si bien que, lorsque Napoléon, en route vers Sainte-Hélène, y fit escale, le consul de Grande-Bretagne put s’offrir le luxe de lui faire cadeau de quelques bouteilles millésimées.

Enfin vint le tourisme

Du vin à l’économie et à la politique, il n’y a qu’un pas. Les Anglais le franchirent en quelques décennies. Profitant des guerres napoléoniennes, les troupes britanniques débarquèrent dans l’île en 1801, y furent fort bien accueillies et l’occupèrent jusqu’en 1814. Nombre de militaires préférèrent ensuite rester sur place.
Conquise par les vertus ensoleillées du madère, la bonne société londonienne se mit, dans les années 1850, à prendre ses quartiers d’hiver sous les palmiers de Funchal.
Pendant des dizaines d’années, Madère resta ainsi une sorte de refuge semiclandestin pour l’aristocratie anglaise et les grandes fortunes américaines.
Une nouvelle ère commença en 1964, avec l’ouverture du premier aéroport.
C’était la fin de l’époque héroïque, quand seul l’hélicoptère reliait rapidement l’île au reste du monde.
Des hôtels de luxe avec piscine commencèrent à escalader le promontoire qui prolonge Funchal vers l’ouest.
On y vit passer les membres les plus distingués de toutes les familles princières, des hommes politiques, plus récemment des écrivains.

Les étranges tribulations du vin de Madère

Dès le XVe siècle, des plants de malvoisie importés de Chypre et de Crète avaient rendu célèbre le nom de Madère parmi les amateurs de vin, notamment à la cour de François Ier. Mais c’est seulement trois siècles plus tard que les Anglais eurent l’idée d’y ajouter de l’eau-de-vie de canne afin de le faire « tenir » jusqu’à leurs lointaines colonies américaines.
Agité pendant des semaines par le roulis, surchauffé par la navigation sous les tropiques, ce vin très alcoolisé y gagnait un arôme exceptionnel. Ainsi naquit le madère. Aujourd’hui, les grands négociants le brassent et le chauffent pendant trois mois dans des cuves traversées par des serpentins d’eau à 50 °C.

Une émigration galopante

Cette façade brillante ne peut cependant faire oublier les drames qui, pendant des générations, accablèrent les paysans et les petits artisans. Crise économique après l’indépendance du Brésil en 1822, troubles sociaux, épidémie de mildiou qui détruisit 85 % du vignoble en 1852, choléra, instabilité politique, se succédèrent pendant plus d’un siècle.
C’est durant ces années noires que l’émigration atteignit son apogée. Des dizaines de milliers d’insulaires quittèrent leur île pour recommencer leur vie au Brésil, en Amérique centrale et surtout au Venezuela.

Bienvenue dans l’Union européenne

Depuis la révolution des Œillets, le 24 avril 1974, Madère et Porto Santo connaissent une nette embellie. En 1976, elles ont obtenu le statut de région autonome, avec parlement et gouvernement régional.
Mieux encore, en 1986, l’adhésion du Portugal à l’Union européenne a fait bénéficier les îles de moyens considérables pourdévelopper leur économie et leurs infrastructures.

Les Açores

L’histoire de cet archipel recoupe en de nombreux points celle de Madère. Sa situation au cœur de l’Atlantique lui a cependant valu un destin très particulier.

Les premiers immigrants

Les Vikings et des naufragés d’origines controversées y auraient abordé dès le Xe siècle. Mais officiellement ce sont les Portugais qui découvrent ces neuf îles désertes de 1427 à 1452. Ils les appellent Açores (« autours » en portugais), du nom des oiseaux qui sillonnent le ciel et qui sont en réalité des milans. Le 15 août 1432,Gonçalo Velho Cabral, moine de retour des Croisades, baptise la première de ces terres Santa Maria. La colonisation commence immédiatement.
Les souverains portugais confient aux capitaines-donataires le soin de peupler ces nouveaux territoires perdus en plein océan. Rapidement, des paysans pauvres du continent, mais aussi des Bretons et surtout des Flamands, parmi lesquels des aventuriers et des repris de justice, débarquent. Cette multiplicité d’origines se ressent encore aujourd’hui, ne serait-ce que dans les noms.

Sur la route des Grandes Découvertes

A partir de la fin du xve siècle, tous les grands navigateurs, Christophe Colomb, Vasco de Gama, Magellan… font escale aux Açores. La situation de l’archipel, carrefour de l’Atlantique, lui vaut une célébrité et une richesse qui ne laissent pas indifférent le roi d’Espagne Philippe II. Celui-ci, devenu roi du Portugal, s’empresse, en 1583, d’envoyer un gouverneur à Terceira. La population se révolte et nomme roi le prieur de la principale église d’Angra, mais les Espagnols le contraignent à se réfugier en France.
Bientôt, le Portugal étant redevenu indépendant, les Açores retrouvent leur liberté. Mais ce sont alors les pirates, puis les corsaires anglais, français et barbaresques qui s’attaquent aux îles.

L’or du Brésil

L’archipel retrouve la prospérité au XVIIIe siècle, lorsque les galions chargés de l’or et des diamants du Brésil relâchent dans ses ports, notamment ceux de Faial et de Terceira. Des églises baroques surgissent, toutes blanches avec leurs façades décorées de larges motifs en basalte noir. La chasse à la baleine, notamment à Faial et à Pico, devient une importante source de richesses.
Comme à Madère, le XIXe siècle voit éclore aux Açores des « quintas », propriétés rurales où l’on commence à pratiquer la culture de l’ananas, qui deviendra plus tard l’une des principales ressources de l’archipel.

Un relais transatlantique

D’escale idéale pour d’innombrables navires effectuant la traversée de l’Atlantique, les Açores deviennent, au XXe siècle, un relais aérien indispensable. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’aéroport de Santa Maria, mis à la disposition des Alliés par le président Salazar, accueille les escadrilles américaines en route vers l’Europe.
Jusqu’à l’arrivée des jets, à la fin des années 1960, tous les vols entre l’Europe et l’Amérique font escale, l’hiver, sur cette île minuscule. Encore aujourd’hui, l’île de Terceira abrite la base aérienne de l’US Air Force de Lajes, au cœur de l’Atlantique.

Bonjour le monde contemporain

Son statut de région autonome, accordé par Lisbonne en 1976, et surtout l’entrée du Portugal dans l’Union européenne, en 1986, ont ouvert de larges horizons à l’archipel des Açores. Autrefois marginalisé à l’extrême périphérie de l’Europe occidentale, il se retrouve aujourd’hui en prise directe avec le monde contemporain.
Des aéroports modernes, des hôtels et des bâtiments administratifs flambant neufs, des routes bien entretenues, des palais et des églises joliment restaurés… ont changé en quelques années le visage des îles, particulièrement Faial, Terceira et São Miguel.

Repères chronologiques

Madère

Vers 1320 : un capitaine génois aperçoit la chaîne montagneuse de Madère.
1346 : selon la légende, naufrage de l’Anglais Robert Mackean.
1418 : le Portugais João Gonçalves Zarco s’échoue sur l’île voisine de Porto Santo.
1420 : Zarco prend officiellement possession de Madère, début de la colonisation.
1421 : fondation de Funchal, incendie de la forêt.
1478 : Christophe Colomb fait relâche à Porto Santo et épouse la fille du gouverneur.
1497 : première razzia de pirates.
1566 : sac de l’île par le Français Montluc.
XVIIe siècle : la culture de la vigne dépasse celle de la canne à sucre.
1662 : mariage du roi d’Angleterre et de la fille du roi du Portugal, renforcement de l’influence anglaise.
1801 : occupation de l’île par la marine britannique, pour quatorze ans.
1850 : début du tourisme, notamment anglo-saxon.
1852 : le mildiou détruit près de 90 % des vignes.
1856 : épidémie de choléra.
1901 : l’archipel acquiert son autonomie.
1910 : adhésion à la République portugaise.
1932 : Salazar président.
1974 : révolution des Œillets.
1976 : Madère devient région autonome.
1986 : le Portugal adhère à l’Union européenne.
Février 2010 : importantes inondations dans la région de Funchal (43 victimes).

Les Açores

10 000 av. J.-C. : naissance volcanique de l’archipel.
1351 : première mention sur l’Atlas Médicis.
1420 : Henri le Navigateur lance une expédition.
1427 : Santa Maria première île découverte.
1452 : dernière île découverte, Corvo, la plus à l’ouest.
1466 : arrivée des premiers colons flamands.
1494 : les Açores deviennent partie intégrante du royaume.
1583 : révolte à Terceira contre l’occupation espagnole par Philippe II.
XVIIe siècle : fort mouvement d’émigration au Brésil.
XVIIIe siècle : les vaisseaux chargés des richesses du Brésil ramènent une certaine prospérité. Faial et surtout Pico deviennent des centres réputés de chasse à la baleine.
1829 : défaite à Terceira des partisans du pouvoir absolu, les libéraux triomphent.
XIXe siècle : introduction de la culture de l’ananas.
1936 : l’aviateur français Castex se pose sur un champ de lave à Santa Maria.
1944 : Salazar accorde aux Américains l’autorisation de construire un aéroport à Santa Maria pour ravitailler leurs avions franchissant l’Atlantique.
1950 : reprise d’une forte émigration, cette fois pour les Etats-Unis et le Canada.
1971 : révélation de l’existence de la base américaine de Lajes, à Terceira.
1976 : les Açores deviennent région autonome.
1987 : interdiction de la chasse à la baleine.

Lire la suite du guide