Chypre, du fait de sa position géographique stratégique, a connu, au cours des siècles, tous les conquérants qui s’illustrèrent dans l’histoire du bassin méditerranéen : Grecs, Assyriens, Perses, Phéniciens, Romains, Byzantins, Français, Vénitiens, Turcs, Anglais…, pour, enfin, être indépendante en 1960. Une balade dans le temps qui s’étale sur près de sept mille ans de civilisation.
Les premières traces d’habitation (8000-3900 av. J.-C.)
Les premières traces d’habitation dans l’île se trouvent à proximité de l’autoroute Nicosie (Lefkosia)-Limassol (Lemesos), sur les sites de Khirokitia et Kulavarros-Tenta. Les hommes du néolithique, 8 000 ans av. J.-C., y construisirent des huttes rondes : les tholos, sous le sol desquelles ils enterraient leurs morts. Ils ne fabriquaient et n’utilisaient que des récipients en pierre. Les premières poteries n’apparaîtront que 5 000 ans av. J.-C.
L’arrivée des Achéens (3900-1050 av. J.-C.)
Vers 3900-2500 av. J.-C., le cuivre commence à être exploité. Ce métal va changer la vie des Chypriotes de l’époque. Non seulement pour la fabrication des armes et des outils, mais aussi par le commerce que l’île établit avec le Proche-Orient et la mer Egée. Ce commerce est principalement développé, vers 1300 av. J.-C., par les Mycéniens qui installent des comptoirs sur la côte. Aux Mycéniens succéderont les Achéens, nom donné par Homère aux Grecs, qui apporteront avec eux leur langue, leur religion et leurs coutumes. L’hellénisation de l’île ne cessera plus.
Les cités-royaumes (1050-58 av. J.-C.)
Ces Achéens fondèrent plusieurs cités qui devinrent les cités-royaumes de l’île. Elles étaient au nombre de dix et se partageaient Chypre. Toutes ces cités, grâce aux Phéniciens, entretenaient des relations commerciales suivies avec les pays riverains du bassin méditerranéen. Salamine, Amathonte (aujourd’hui Lemesos), Kourion, Marion (Polis), Paphos (Pafos), Kition (Larnaka), Tamassos (Politiko) et Idalion (Dali) sont parmi les cités-royaumes qui ont le plus marqué l’histoire de l’île. Au VIIe siècle av. J.-C., Chypre connaît une ère de prospérité. Sa richesse attire les convoitises, et différents conquérants se pressent sur ses côtes. Les cités-royaumes, jalouses les unes des autres, tentent, chacune de leur côté, de préserver leur indépendance, mais tombent sous la domination successive de l’Assyrie, de l’Egypte et de la Perse. Evagoras, roi de Salamine, tente au nom de l’hellénisme une ultime révolte en voulant unifier l’île. Mais abandonné par Athènes et trahi par les autres cités-royaumes, il se rend en 374 et conclut la paix avec les Perses qui deviennent maîtres de Chypre. En 333 av. J.-C., Alexandre le Grand défait Darius, roi des Perses, et intègre Chypre à son empire. A la mort d’Alexandre, ses généraux se disputent sa succession. En 325, l’île est rattachée aux possessions du général Ptolémée, devenu roi d’Egypte, qui demeure à Alexandrie. Les cités-royaumes sont toutes soumises par les troupes de Ptolémée. Elles sortent de l’histoire. Pafos devient capitale de Chypre.
Evagoras Ier
Au nom de l’hellénisme, Evagoras Ier, roi de Salamine, voulut au IVe siècle av. J.-C. unir les cités-royaumes de Chypre contre l’invasion perse. Il réussit à s’emparer d’une partie de l’île pour concrétiser son projet. Mais trahi et abandonné, il échoua. Cette figure de légende de la cause grecque domine l’Antiquité chypriote. Un historien a écrit à son propos : « Le roi Evagoras s’est montré le plus grand souverain de toutes les cités-royaumes. Il encouragea le commerce, les lettres et les arts. Il créa une flotte et, grâce à sa bonne administration, persuada de nombreux Athéniens de venir s’installer à Salamine. » Evagoras est toujours présent dans le cœur des Chypriotes parce qu’il demeure un symbole de la lutte contre l’envahisseur et un « champion » de l’hellénisme. Son combat solitaire contre les Perses, alors qu’Athènes la « mère patrie » n’ose pas le soutenir jusqu’au bout dans sa négociation avec l’ennemi, demeure, aujourd’hui encore, un souvenir mélancolique de l’histoire de l’île.

Tête d’homme © Gautier Poupeau
Les Romains (58 av. J.-C.- 330 apr. J.-C.)
En 58 av. J.-C., les légions romaines, parties à la conquête du bassin méditerranéen, s’arrêtent à Chypre.
La guerre entre l’Egypte et Rome fait rage et, après la défaite d’Antoine et de Cléopâtre à Actium, l’île est annexée à l’Empire romain. D’abord rattachée à la Syrie, Rome décidera, peu de temps après, d’en faire une province de l’empire gouvernée par un proconsul. Cicéron sera l’un d’entre eux. Ici, comme partout ailleurs, la paix romaine s’installe et bâtit thermes, théâtres, stades et demeures élégantes dont on peut voir aujourd’hui les ruines. C’est à cette époque que saint Paul et saint Barnabé débarquent à Chypre pour convertir l’île à la nouvelle religion. Mission réussie, puisque l’île deviendra le premier pays à être gouverné par un chrétien. Enfin, sous cette occupation romaine, Chypre connaîtra de terribles tremblements de terre, une révolte sanglante, en 116 apr. J.-C., des juifs de Salamine, et une épidémie de peste en 164 apr. J.-C.
Les origines du nom
L’île apparaît pour la première fois dans les livres bibliques sous le nom de Kittim. Mais la Bible évoque parfois les « Kittims », ce qui peut signifier que sous ce nom se cachent plusieurs îles du bassin méditerranéen. Dans l’Antiquité, Chypre s’est appelée « Keratia », « Makaria » et « Ofiousa ». Elle était « Elischah » pour les Babyloniens et « Alashia » pour les Syriens. Il apparaît, cependant, que c’est Homère qui, dans l’Iliade, baptisa l’île du nom de « Kypros » et donna le nom de « Kypris » à Aphrodite, née selon lui à Chypre. Mais ne faut-il pas chercher l’étymologie de Chypre dans le mot cuivre, qui a fait la richesse de l’île ? Ou est-ce le mot « Kypros » qui a donné cuivre ? Le mystère reste entier.
Les Byzantins (330-1191)
A son tour, l’Empire romain connaît de graves dissensions et est divisé en deux : l’empire occidental et l’empire oriental. Chypre passe sous le contrôle de l’empire oriental qui a pour capitale Byzance. Des édifices religieux s’élèvent à Kourion, Salamine et Paphos que de nouveaux tremblements de terre détruiront. A la fin du Ve siècle, l’empereur byzantin Zénon donne à l’Eglise chypriote son autonomie. Autocéphale, cette Eglise vivra sa vie orthodoxe. Et son archevêque possédera divers privilèges toujours en vigueur de nos jours : le droit de porter le sceptre au lieu du bâton pastoral, de revêtir l’écharpe pourpre et de signer à l’encre rouge.
C’est durant cette période, au VIIe siècle, que les Arabes envahissent l’île. Un fragile accord de paix, signé entre l’empereur byzantin et le calife, offrira à Chypre quelques années de tranquillité, troublées cependant par la présence, sur les côtes de l’île, de pirates dont les pillages sèment la désolation. Finalement, les Byzantins chassent les Arabes et reprennent le pouvoir à Chypre.
Les Français (1191-1489)
Dans l’histoire de Chypre, voici les siècles les plus étonnants, mais aussi les plus riches pour l’île puisqu’on appellera cette période le « siècle d’or de Chypre ». Tout commence par un banal naufrage qui jette sur la côte chypriote la fiancée de Richard Cœur de Lion. Comnème, le gouverneur de l’île, s’empare de la jeune femme et de sa suite, et les retient prisonnières. Richard attaque l’île, défait Comnème, libère sa bien-aimée et en profite pour l’épouser à Limassol (Lemesos). Mais Richard n’a que faire de Chypre et vend l’île aux templiers. Ceux-ci, après une politique malheureuse, essuient plusieurs révoltes de la population et, à leur tour, vendent l’île à Guy de Lusignan, dernier roi du royaume franc de Jérusalem. Jeté à la mer avec sa cour, ses nobles et ses institutions par Saladin, il se réfugie à Chypre dont il est le propriétaire et crée une dynastie. A partir de 1191 et pendant près de trois siècles, l’île sera gouvernée par une famille française totalement indépendante du royaume de France. Elle y imposera le système féodal et l’Eglise catholique (au détriment de l’Eglise orthodoxe), et bâtira de nombreux édifices gothiques.
Saint Louis à Chypre
En route pour la croisade, Louis IX, plus connu sous le nom de saint Louis, passera l’hiver 1248-1249 à Chypre. Il est accueilli par Henri Ier de Lusignan. Il sera reçu à Nicosie (Lefkosia), au palais royal. Il ira également, à Famagouste (Ammochostos) qui commence alors à devenir le port commercial le plus important de l’île. Son armée est installée aux abords de Limassol (Lemesos), mais, à cause des fièvres et de l’abus de vin, près de 300 hommes mourront dans l’île. Quand le roi embarque de Limassol pour Damiette, Joinville écrit : « Il semblait que toute la mer, à perte de vue, fût couverte d’une multitude de linge blanc. »
Le règne des Lusignan
L’histoire des Lusignan à Chypre, c’est l’histoire des « rois maudits » sous le ciel d’Orient. L’île est riche, très riche. Ses ports, notamment Famagouste (Ammochostos), sont des étapes incontournables pour le commerce en Méditerranée. Nicosie (Lefkosia) devient capitale et résidence des Lusignan. En Europe, on évoque la « riche cour de Chypre ». Saint Louis en route pour la croisade fera étape dans le port de Limassol (Lemesos). Mais de français, les derniers Lusignan n’en ont plus que l’origine : année après année, siècle après siècle, sous la douceur du climat, et malgré les guerres incessantes contre les Arabes, les Vénitiens et les Génois qui intriguent sans cesse pour s’emparer de cette formidable étape commerciale entre l’Orient et l’Occident, ces rois se sont orientalisés et ne parlent plus que le grec. L’aventure s’achève en 1489 lorsque, après la mort du dernier roi Lusignan, son épouse Catherine Cornaro cède l’île aux Vénitiens qui avaient admirablement manœuvré puisque… Catherine Cornaro était vénitienne.
Les Vénitiens (1489-1571)
On retiendra de cette période l’édification des remparts énormes, œuvre de l’architecte Guilio Savognarno, qui ceinturent Nicosie (Lefkosia) pour protéger la capitale des attaques extérieures. Une partie de ces remparts, élevés en 1567, existent toujours. Les Vénitiens, pour construire cette muraille, ont utilisé les pierres de nombreux et beaux édifices élevés par les Lusignan. Les représentants de la Sérénissime n’aiment pas Chypre en laquelle ils ne voient qu’une base commerciale. Ils devront faire face en 1562 et 1568 à deux révoltes d’un peuple affamé qui réclame du pain. De la langue française, on passe à l’italien. Ce changement provoquera encore des dissensions dans la population qui parle à cette époque toujours français. Un visiteur de cette époque écrira à ce propos : «Car tous ceux du pays, et spécialement les gentilshommes, sont aussi bons français que nous sommes en France et sont merveilleusement mal contents d’être en la suggestion de la Seigneurie de Venise.»
La prise de Nicosie (Lefkosia)
Le 9 septembre 1570, après 45 jours de siège, Nicosie est prise par les Ottomans. La ville est saignée, les églises profanées, les couvents brûlés. Le gouverneur vénitien a la tête tranchée et 20 000 cadavres jonchent les ruelles de la ville. Un témoin racontera : « Les horribles bruits et tonnerres d’artillerie et d’arquebuses cessèrent de sonner à nos oreilles, on n’entendit plus autre chose dans toute la ville que des cris et des pleurs de femmes et d’enfants. » Mustafa Pacha a gagné. La route de Famagouste (Ammochostos) est ouverte. Malgré une résistance héroïque, la ville tombera elle aussi. C’en est fini de la Chypre vénitienne.
Les Ottomans (1571-1878)
Venise ne pouvait résister longtemps aux coups de boutoir des Turcs. En 1570, les Ottomans s’emparent de Nicosie (Lefkosia) et vont aussitôt après mettre le siège devant Famagouste (Ammochostos). La ville sera prise après un an de siège. Dès qu’ils s’emparent de la ville, les Turcs font prisonnier son principal défenseur : Marc Antoine Bragadino qui finira écorché vif sous les yeux de la population. Apprenant la perte de l’île, le pape Pie V appelle à une nouvelle croisade et Ronsard, pour secouer les énergies occidentales, écrit un poème intitulé : « Vœu à Vénus pour garder Chypre de l’armée du Turc ». Ni l’un ni l’autre ne seront écoutés, et Chypre restera entre les mains des Ottomans. Les Turcs chassent l’Eglise catholique pour rétablir l’Eglise orthodoxe. L’archevêque orthodoxe, seul pouvoir en place, joue désormais un rôle politique incontournable puisque c’est à lui que les Turcs s’adresseront quand ils voudront évoquer les affaires de Chypre. C’est un tournant capital pour l’avenir du pays. Les archevêques conserveront, désormais, une parcelle du pouvoir politique (c’est d’ailleurs l’Eglise chypriote, avec monseigneur Makarios, qui lancera en 1955 la lutte pour l’indépendance de l’île). Plus tard, la population de l’île, solidaire des Grecs qui se soulèvent en 1821 contre l’occupant turc, paie un lourd tribut à la cause hellénique ; l’archevêque de Chypre Kyprianos est pendu et des centaines de notables chypriotes exécutés.
Les Anglais (1878-1960)
L’Empire ottoman s’étant rangé en 1914 aux côtés de l’Allemagne perd à l’issue de la guerre ses droits sur Chypre. En 1923, au traité de Lausanne, la Turquie renonce à tous ses droits sur l’île qui devient colonie anglaise. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des volontaires chypriotes s’engagent dans l’armée britannique. Après le conflit, l’épidémie d’autodétermination qui déferle sur le monde n’épargne pas l’île à laquelle les Anglais restent très attachés. Ne dit-on pas, alors, que Chypre est un « porte-avions anglais » ? Toute solution pacifique ayant été épuisée, les Chypriotes se lancent dans la guerre d’indépendance de 1955 à 1959.
La république de Chypre (1960)
Les Anglais résistent. Mais le désir de vivre libre est le plus fort. Et, en 1960, par le traité de Zurich, Chypre devient une république indépendante. Elle hérite d’un « monstre constitutionnel » qui, en voulant donner satisfaction aux deux communautés, la grecque (80 % de la population) et la turque, conduira l’île à son malheur. Chypre se retrouve avec un président, monseigneur Makarios, héros de la guerre d’indépendance, et une Constitution impossible à appliquer. Résultat : en 1963, les ministres chypriotes turcs se retirent du gouvernement. Les troubles entre les deux communautés ensanglantent la vie quotidienne. Les Casques bleus débarquent à Chypre. Favorable à la partition de l’île, la Turquie, sous prétexte de protéger sa communauté présente à Chypre, envahit l’île en 1974. Les troupes d’Ankara occupent 37 % du territoire de Chypre, chassent de leurs villages du nord de l’île 200 000 Grecs chypriotes qui deviendront ainsi des réfugiés dans leur propre pays. La partition est accomplie.
Une île coupée en deux (1983-)
En 1983 est auto-proclamée une « République turque de Chypre du Nord » qui n’est reconnue que par… Ankara. Aujourd’hui, le nord de l’île abrite toujours 35 000 soldats turcs. La plupart des instances internationales ont condamné ces initiatives de la Turquie. En 2001, Chypre demeure toujours coupée en deux. Alors que le mur de Berlin est tombé, celui de Nicosie (Lefkosia) existe toujours. Mais les Chypriotes grecs, installés dans le sud de l’île, ont relevé les manches. On a accueilli les réfugiés, bâti, aménagé, assaini. On a redressé un pays qui est, pour le visiteur, un des plus confortables du bassin méditerranéen. D’une économie saccagée, les Chypriotes grecs ont fait une économie prospère. Un récent rapport de la Communauté européenne indiquait : « la partie chypriote turque a un niveau de vie quatre à cinq fois inférieur à la partie chypriote grecque ». Après de nombreuses négociations entre les deux communautés, l’ONU prend l’initiative d’organiser un référendum – le 24 avril 2004 – visant à la réunification de l’île. Choquée par la proposition de laisser la liberté à la Turquie d’intervenir militairement à Chypre, la communauté grecque votera « non » à près de 76 %. L’île n’étant pas réunifiée, seule la république de Chypre a intégré le 1er mai 2004 l’Union européenne.
La guerre d’indépendance
En 1955, à l’appel de l’Eglise, les Chypriotes se soulèvent pour arracher leur indépendance aux Anglais qui ne veulent céder en rien sur leurs prétentions à rester maîtres des destinées de l’île. Le mouvement EOKA (Organisation nationale des combattants chypriotes) organise la guerre de libération et enflamme l’île. Contre les soldats de Sa Majesté, il lance la guérilla dans les villes et dans le Troodos. Aux bombes des révoltés répondent les pendaisons des Britanniques. Les Anglais sont vite débordés et accordent l’indépendance de l’île en 1960. Le visiteur français n’oubliera pas que, pour manifester leur soutien aux hommes de l’EOKA, les grands élèves des lycées chypriotes hissaient sur le toit de leurs établissements le drapeau bleu et blanc de l’hellénisme et appelaient à la révolte en récitant des vers de… Rimbaud.