Depuis la nuit des temps, la Belgique s’est trouvée au carrefour des routes commerciales, culturelles et militaires. L’histoire du pays n’est qu’une succession d’annexions et d’invasions qui ont modelé son paysage et sa personnalité.
« De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves. » En affirmant cela, Jules César ne se doutait pas que les Belges allaient connaître l’une des histoires les plus mouvementées d’Europe.
Des Celtes aux Carolingiens
La domination romaine
En 57 av. J.-C., Jules César soumet les peuples celtes et germaniques qui occupent les terres comprises entre Rhin et Seine : Ménapiens, Nerviens, Trévires… Seuls les Eburons commandés par Ambiorix lui opposent une éphémère résistance.
Passée sous l’autorité d’Auguste, la Gaule Belgique est divisée en plusieurs provinces. Déjà, les Romains comprennent l’importance des voies de communication terrestres et fluviales pour l’essor de villes telles que Tournai et Arlon. Au milieu du IVe siècle débute la christianisation de ces régions : évangélisation de Tournai par Saint Piat, création de l’évêché de Tongres vers 340.

Belgium War Memorial 1914 – 1918, Victoria Emabankment, London © ell brown
Les Huns
En 406, les Romains sont vaincus par les Huns. Certains spécialistes estiment que c’est à cette époque qu’apparaît la première scission linguistique de la région. Si les Huns, d’origine franque, privilégient les langues germaniques, ils ont peu d’influence dans le sud du pays, fort latinisé et utilisant les langues romanes.
Mérovingiens et Carolingiens
L’arrivée au pouvoir de Clovis marque un nouvel épisode important : il veut unifier la Gaule et créer un royaume franc. Converti au christianisme, il permet l’évangélisation des campagnes et la création d’abbayes.
Sous l’emprise des Francs carolingiens et notamment de Pépin le Bref, la nouvelle dynastie fondée en 751 – marquée par le règne de Charlemagne – dure pendant huit cents ans.
Il faut attendre 843 et le traité de Verdun pour que cet empire soit partagé en deux : la France reçoit les terres situées à l’ouest de l’Escaut, tandis que la Lotharingie (annexée plus tard par le Saint Empire) reçoit le reste du territoire de la Belgique actuelle.
L’essor des villes et la bataille des Eperons d’or
A la suite du déclin de l’empire carolingien, les seigneurs féodaux prennent davantage de pouvoir dans les régions, et les villes confortent leur importance grâce au commerce et à l’industrie. Sous la houlette de commerçants, d’artisans et de financiers, Louvain, Gand, Bruges et d’autres villes importent la laine d’Angleterre et exportent des draps dans toute l’Europe, jusqu’à Constantinople. On voit également apparaître de nouveaux corps de métiers liés au cardage de la laine, à son tissage, à la teinture… A la fin du XIIIe siècle, Gand est la première cité drapière d’Europe. Bruges, sa rivale directe, connaît aussi un âge d’or économique et culturel grâce à l’industrie du drap.
Naissance de conflits sociaux
Mais, dans la cité brugeoise, les rivalités vont bon train entre les métiers et les patriciens, détenant le pouvoir politique local et soutenus par Philippe le Bel, roi de France. Des conflits surgissent, avec, en point d’orgue, la bataille des Eperons d’or : le 11 juillet 1302, les klauwaerts (qui correspondent à la classe moyenne actuelle) écrasent la chevalerie française.
D’autres conflits surgissent à Gand. En 1280, les ouvriers lainiers se soulèvent contre les notables locaux, soutenus par le roi de France. Plus tard, tout le peuple se révolte une nouvelle fois parce que le comte de Flandre, en s’engageant aux côtés de la France, provoque un embargo anglais sur la laine. Troubles également à Liège et dans d’autres villes importantes, avec pour résultat, dès la fin du XIVe siècle, de nouvelles chartes, plus de privilèges et des franchises pour ces villes.
L’Etat le plus riche d’Europe
La guerre de Cent Ans s’achève, laissant la France épuisée et l’Allemagne morcelée. Seul le duché de Bourgogne ne cesse de s’étendre. En 1369, l’union du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, avec la fille du dernier comte de Flandre, Marguerite de Mâle, amorce le passage des Pays-Bas (alors composés de Namur, du Hainaut, de la Flandre, du Limbourg et du Brabant) sous la houlette de la maison de Bourgogne.
Près d’un siècle plus tard, Philippe le Bon annexe le Luxembourg : le duché de Bourgogne devient l’Etat le plus riche d’Europe.
Au début du XVIe siècle, les Etats provinciaux, dirigés par une assemblée composée du clergé, de la noblesse et du tiers-état, lui-même composé des corporations et des patriciens, prennent de plus en plus d’importance.
Charles Quint
Jovial et amoureux de la vie en privé, Charles Quint, né à Gand en février 1500, fut aussi un monarque austère et rigide. Admirant l’Empire romain à son apogée, il a toujours défendu sa vision personnelle de l’empire : un Etat chrétien et universel, créé dans le respect des particularismes nationaux. Pour ambitieuse qu’elle soit, cette conception n’aboutira à rien de concret, bien que l’empereur se soit entouré de conseillers avisés. Il ira d’échec en échec et finira par abdiquer en 1555, avec l’espoir que son héritage ne sera pas éparpillé. Trois ans plus tard, il décédera dans la province espagnole d’Estrémadure.
Luthériens et calvinistes
Suit une nouvelle période de troubles. Gantois d’origine, Charles Quint tente une nouvelle fois d’unir les Pays-Bas du Nord et du Sud. Il abdiquera en 1555.
Fidèles à la philosophie humaniste d’Erasme, les luthériens, surtout flamands, s’opposent aux calvinistes implantés dans les régions wallonnes et qui seront pourchassés par le duc d’Albe, dépêché sur place par le roi d’Espagne Philippe II. En fait, l’Espagne réussit là où Charles Quint a échoué : les Pays-Bas s’unissent face aux Espagnols et, en quatre ans, la guerre tourne au désavantage de Philippe II. En 1576, il signe la pacification de Gand, libérant les 17 provinces des Pays-Bas unifiés.
Le rattachement à l’Autriche et le développement industriel
Catholiques et protestants vont s’opposer, aboutissant à la scission des Pays-Bas entre les Provinces-Unies (sept provinces protestantes) et les Pays-Bas du Sud, catholiques, sous la domination des Habsbourg d’Espagne. Après une succession de mariages, guerres et traités, les Pays-Bas du Sud sont rattachés à l’Autriche, intégrant trois villes importantes : Bruxelles, Gand et Anvers.
Gand se tourne vers de nouvelles industries : sucre, coton imprimé, Anvers développe des industries de luxe (diamant, soie) et Bruxelles, ancien centre drapier, devient capitale politique et développe de petites entreprises actives dans l’alimentaire (brasserie) et l’habillement (bonneterie, chapellerie). Dans d’autres régions (Hainaut, pays de Liège) s’amorce une nouvelle révolution industrielle grâce à l’avènement du charbon de bois.
Cependant, nombre d’institutions politiques et religieuses ne s’adaptent pas aux évolutions ni aux idées novatrices de la philosophie des Lumières qui imprègne toute l’Europe.
Révolution brabançonne et annexion française
En 1789, la révolution brabançonne boute les Autrichiens hors des terres situées à l’ouest de la principauté de Liège et, le 11 janvier 1790, l’indépendance des Etats belges unis est proclamée. Indépendance éphémère : les troupes autrichiennes se réinstallent sept mois plus tard et l’empereur Léopold II rétablit l’ancien régime.
En novembre 1792, la Belgique est envahie par l’armée du Nord, qui chasse les Autrichiens et proclame une nouvelle indépendance. Un peu plus tard, Danton prône l’annexion de la Belgique, qui sera effective dès juin 1794. Divisé en neuf départements qui préfigurent les provinces actuelles, le pays est soumis aux mêmes mesures que la France : abolition de la noblesse héréditaire, confiscation des biens de l’Eglise, etc. Les régimes qui se succèdent à Paris appliquent en Belgique une politique centralisatrice et la laïcisation de la vie sociale.
La révolution industrielle
Grâce aux commandes de l’armée française, la Belgique amorce sa révolution industrielle. Des lois sont adoptées, facilitant cette révolution : aménagement du port d’Anvers, percement d’un canal depuis Mons, nouvelles règles en faveur de l’exploitation minière et de la concentration économique…
Au début du XIXe siècle, plusieurs régions sont les piliers de l’industrie belge : Borinage (industries lourdes, production du verre), Liège (armement, sidérurgie), Gand (coton), Verviers (laine). Cette époque est marquée par la mécanisation de l’industrie textile, l’essor de la métallurgie, l’apparition de nouvelles techniques (haut fourneau à coke, par exemple) et le développement d’une nouvelle bourgeoisie industrielle, financière et anticléricale. Vers 1820, les provinces du sud des Pays-Bas sont parmi les plus industrielles d’Europe.
Divisions religieuses et linguistiques
Politiquement, les alliés décident, au lendemain de la première défaite de Napoléon Ier, d’unir les anciens Pays-Bas autrichiens, les Provinces-Unies et la principauté de Liège au sein d’un seul royaume placé sous l’autorité du roi des Pays-Bas. Bruxelles y a rang de capitale comme La Haye. La centralisation et la laïcisation entamées par les Français se poursuivent, entraînant la colère des autorités religieuses évincées du pouvoir. Le fossé se creuse entre l’Eglise et la bourgeoisie libérale. D’autres divisions linguistiques apparaissent également, rendant impossible l’unité du royaume des Pays-Bas. C’est autour des questions linguistiques et de certaines questions politiques (responsabilité ministérielle, liberté linguistique et de l’enseignement) que libéraux et catholiques vont s’unir.
L’émergence du royaume de Belgique
Les choses se précipitent. En juillet 1830, Louis-Philippe devient roi de France. Le 25 août, une insurrection soutenue en sous-main par la France éclate à Bruxelles. Un mois plus tard, un gouvernement provisoire est mis en place dans cette ville. Le 27 septembre, les troupes hollandaises quittent Bruxelles, puis tout le territoire. Le 4 octobre, l’indépendance des provinces de Belgique est proclamée. La Belgique devient une monarchie constitutionnelle, représentative et héréditaire le 22 novembre. Le 3 février 1831, la couronne est offerte à Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha, qui régnera sous le nom de Léopold Ier. Quatre jours plus tard, une nouvelle Constitution instaure un régime de libertés publiques qui satisfait libéraux et catholiques. Deux chambres législatives sont installées. Le 21 juillet 1831, le traité de Londres confirme la fondation du royaume de Belgique et garantit son indépendance.
Effervescence politique et sociale
Bruxelles devient le refuge de célèbres exilés (Victor Hugo, Karl Marx…) qui vivent les premiers problèmes linguistiques et l’évolution politique du pays sous les règnes de Léopold Ier et de son fils Léopold II : création du Parti libéral (1846), du Parti catholique (1884) et du Parti ouvrier belge (1885), mouvements sociaux (entre 1865 et 1909), droit de vote accordé aux hommes de plus de vingt-cinq ans (1893), lutte scolaire aboutissant à une laïcisation de l’enseignement officiel et à une rupture des relations diplomatiques avec le Vatican (1879), adoption du suffrage universel (1892). Parallèlement, Bruxelles accueille la première galerie commerciale d’Europe (galeries Saint-Hubert, en 1847) et se dote de quatre gares (dès 1870). Plusieurs puissantes banques sont également fondées, parfois sur fond de crise économique ou de récession (de 1846 à 1851).
Deux guerres mondiales
Première Guerre mondiale
La Première Guerre mondiale surprend l’armée belge en pleine transformation. Sous les ordres du roi Albert Ier, surnommé le « Roi Chevalier », les troupes belges se contentent de livrer des combats défensifs « jusqu’aux plaines de l’Yser ».
La libération, en 1918, trouve une Belgique exsangue mais élargie : le traité de Versailles de 1919 lui accorde les cantons germanophones d’Eupen, Malmédy et Saint-Vith.
Economiquement, la situation est catastrophique (la période 1929-1931 est connue sous le nom de Grande Dépression) et favorise, dans l’entre-deux-guerres, l’émergence du Parti communiste et de Rex, le mouvement de Léon Degrelle, qui collaborera avec les Allemands au cours de la guerre suivante et s’exilera en 1945.
Seconde Guerre mondiale
10 mai 1940 : sans ultimatum, les troupes du IIIe Reich envahissent la Belgique et, dix-huit jours plus tard seulement, le roi Léopold III signe la capitulation. Le gouvernement fuit à Londres. Léopold III est interné dans son palais de Laeken, puis emmené, en 1944, en Allemagne, où il rencontrera Hitler afin d’établir un dialogue favorable au peuple belge. Son attitude va diviser les Belges et, en 1945, la question de son retour au pays entraînera la « question royale ». A l’annonce du retour du souverain en Belgique, de nombreuses voix s’élèvent dans la classe politique et dans la population pour s’y opposer. Une régence est instaurée : le frère du monarque, le prince Charles, assume cette fonction. Finalement, Léopold III abdique en 1951 en faveur de son fils Baudouin Ier. Cinquante ans plus tard, la question royale continue à diviser le pays.
Le rêve congolais de Léopold II
Léopold II rêve de voir la Belgique à la tête de grandes colonies. Agissant à titre personnel, il parvient à faire reconnaître l’Etat indépendant du Congo, dont il devient souverain et dont l’union avec la Belgique se fait à travers lui. Le monarque engloutit une bonne part de sa fortune personnelle dans l’aventure et le Parlement lui consacre une avance de 25 millions de francs belges en échange d’un testament par lequel il lègue le Congo à la Belgique. Devenu Congo belge, cette terre africaine est livrée aux grandes sociétés minières, financières et industrielles belges, qui profitent des gisements d’or, d’uranium, de cuivre, de manganèse. Après de nombreuses violences dont la Belgique n’est pas toujours sortie grandie, l’indépendance du Congo est proclamée le 30 juin 1960. Depuis se poursuit entre les deux pays une histoire douce-amère, guidée uniquement par les intérêts économiques des dirigeants africains et des sociétés belges.
Sur les décombres de la guerre
Libérée, la Belgique se reconstruit plus ou moins péniblement. Au niveau international, le pays se positionne comme une place incontournable : formation du Benelux en 1944, installation à Bruxelles du siège de la CEE en 1958, de l’OTAN en 1967 et de l’Union européenne.
Sur le plan national, les choses vont moins bien : le Congo belge gagne enfin son indépendance, la scission linguistique est de plus en plus marquée, l’Etat se transforme en Etat fédéral, l’économie joue aux montagnes russes (l’économie wallonne, axée sur la métallurgie et l’industrie lourde, ne parvient pas à amorcer sa reconversion).
Les Belges pendant la guerre
Il fallut dix-huit jours seulement pour que Léopold III signe le protocole de capitulation du pays, sans pour autant signer d’armistice. En fuite à Londres, le gouvernement dirigé par le Premier Ministre Pierlot garde sur le papier sa légitimité. Dans la réalité, la Belgique est placée sous l’autorité allemande. Rapidement, une assez grande partie de la population belge se rapproche des occupants : les nationalistes flamands, les rexistes, etc. cherchent à s’accommoder de la situation. Dans un deuxième temps, le travail obligatoire, la répression, retourneront une partie de l’opinion publique contre les Allemands. Vers la fin du conflit, des mouvements de résistance apparaissent. C’est cependant aux troupes alliées que la Belgique doit sa libération, les Américains profitant de leur implantation militaire pour imposer une nouvelle domination économique avec le plan Marshall.
Vers le séparatisme ?
La Belgique est morcelée en une multitude d’entités administratives (communes, provinces, régions, communautés, Etat) qui induisent des frais de fonctionnement, gestion et salaires que les Belges, de plus en plus endettés, n’ont plus les moyens de s’offrir. En outre, rongé par une corruption galopante et des tendances séparatistes de plus en plus affirmées, le pays est de plus en plus difficile à gouverner. Au fil des révisions constitutionnelles, l’Etat central perd de son pouvoir au profit des régions et communautés. Les dernières élections législatives (juin 2007) ont confirmé une nette tendance au séparatisme (Flamands / Francophones). Plus que jamais, l’utopie d’une Belgique unie semble voler en éclats.