Le voyageur qui baptisa « fleuve Bleu » le Yangzi jiang était ou poète, ou ivre, ou daltonien : ses eaux sont aussi brunes que celles du fleuve Jaune. Les Chinois ont donné des noms bien plus terre à terre à ce géant de 5 980 km : en amont – où il est aurifère -, il est le fleuve aux Sables d’or (Jinsha jiang) ; quand il franchit les Trois Gorges, il devient le Long Fleuve (Chang jiang), pour terminer sa course au-delà de Yangzi, le « gué des Yang », dans un immense delta. Barrière climatique, il dessine une ligne de partage entre la Chine du Nord et ses champs de blé et les rizières de la Chine du Sud. Artère navigable, il traverse, du Sichuan au Jiangsu, les régions productrices de la plus belle soie du monde.

Le Sichuan : sols rouges et bouddhas au pays de Shu

A l’ouest, le Shu, aussi grand que la France, fut une terre de grands marchands et de petits colporteurs. Aux commandes du Long Fleuve navigable, il était aussi au carrefour des caravanes de sel qui partaient vers le plateau tibétain et des convois de petits chevaux qui allaient quérir rubis et jade de Birmanie. Son bassin rouge reste une terre de cocagne, où poussent le riz et le mûrier. Par deux fois, quand vacillèrent le pouvoir des Han (début du IIIe siècle) puis celui des Tang (milieu du VIIIe siècle), il fut une terre d’asile où les Chinois tentèrent de reconstruire l’empire.

Suivez le guide !
Lisez Monsieur le Consul, de Lucien Bodard, avant ou après votre voyage à Chengdu, qui en est le théâtre : chaos hallucinant de la Chine des seigneurs de la guerre.

Chengdu

La capitale du Sichuan a perdu son rempart, mais on en devine le tracé au carré que dessinent la rivière des Brocarts et son affluent, reliés par un canal. Au cœur de ce dispositif se dresse une statue du Grand Timonier qui règne sur un centre-ville hérissé d’immeubles clinquants. L’âme du vieux Chengdu a trouvé refuge dans ses parcs, ses temples et ses maisons de thé.

Magiciens et poètes 
Au sud de la ville, pavillons et cyprès composent le temple du Marquis de Wu, construit près du tertre funéraire du souverain dont le marquis fut le conseiller. Stratège, un peu magicien, celui-ci est passé à la postérité, sous le nom de Zhuge Liang, en devenant le héros du plus célèbre roman chinois, Les Trois Royaumes. Du Fu fut un poète mélancolique, témoin de l’exil d’un empereur et du sac de sa capitale, en 755. Réfugié à Chengdu, il y trouva la paix. Une chaumière commémore son séjour, dans un joli parc au sud-ouest de ville (Du Fu caotang).
Un autre jardin, aménagé sud-est, rappelle la passion de poétesse Xue Tao pour les bambous. Il en pousse de toutes les espèces autour du Pavillon pour contempler la rivière (Wangjianglou gongyuan).
A 2 km de là, le Musée provincial (ouvert du mardi au dimanche de 9 à 17 h. Entrée payante) expose fabuleux trésor de l’âge du bronze ce qu’était le quotidien de la région aux environs du début de notre ère, à travers les « bandes dessinées gravées » sur les parois des tombes ce temps-là.

Entretien de sages 
Le monastère de la Lumière divine de Xindu(à 18 km au nord de Chengdu) est un vieux temple bouddhique, reconstruit au XVIIe siècle. Dans son enceinte se dressent une pagode reliquaire de 13 étages et une salle où 500 statues, portraits des disciples de Bouddha, semblent poursuivre une éternelle conversation.

Bouddha géant à Leshan © Chi King

Bouddha géant à Leshan © Chi King

Leshan et le mont Emei
A 170 km au sud de Chengdu.
Pour veiller sur les bateliers de la rivière Min, on dressa, entre 713 et 803, un bien curieux sémaphore : un Bouddha assis de 71 m fut taillé à même la falaise, protégé de l’érosion pluviale par un savant système de drainage interne. C’est tout ce qu’il y a à voir à Leshan, mais à 37 km de là s’élève une des quatre montagnes sacrées des bouddhistes, Emei shan, où, dès le VIe siècle, on bâtit des temples dédiés à Puxian, le bodhisattva monté sur un éléphant blanc. Le long des sentiers qui grimpent vers les sanctuaires, pousse une flore volubile qui s’enroule sur les arbres et les fougères et fait le bonheur des herboristes ambulants. On dit qu’au sommet (3 099 m), on peut voir, certains après-midi, la « lumière de Bouddha ». Rares sont ceux qui peuvent prétendre l’avoir aperçue… car il faut monter ! Quatre jours pour gravir les marches du temple de la Proclamation du royaume à celui des Dix Mille Années, du pavillon au Son clair à la terrasse du Cèdre, et pour atteindre le sommet d’Or. On peut, pour le charme du paysage, se contenter de flâner à mi-pente, du temple des Dix Mille Années à celui du Tigre couché.

Les maisons de thé
Improvisées dans un coin de parc, dans l’enceinte d’un temple ou sur les quais de la rivière, elles sont l’une des scènes de l’art de vivre à la mode de Chengdu. Sous les cages d’oiseaux chanteurs suspendues au plafond, les serveurs glissent avec aisance autour des convives, installés dans un mobilier de bambous assemblés. Porteurs d’une bouilloire à long bec, ils scrutent le ballet des mains manipulant la coupe et son couvercle. Si celui-ci est posé de travers, c’est que l’on attend une rasade d’eau bouillante ; s’il est posé près de la coupe, c’est que l’on en a terminé.

Songpan, en territoire Aba
A environ 400 km au nord-ouest de Chengdu.
Le voyage à Songpan est une échappée en pays tibétain, l’ancien pays de Kham, aux sources de la rivière Min. Les bannières bouddhistes signalent les pèlerinages. Aux pâturages d’altitude vont les troupeaux de chèvres et de yacks, conduits par les cavaliers et leurs chevaux.

Huanglong
Classée patrimoine naturel de l’humanité par l’Unesco en 1992, cette vallée (à 56 km à l’est de Songpan) est une forme d’idéal de la montagne, avec ses neiges éternelles (pic Xuebao, 5 588 m) et ses forêts d’épicéas et de bouleaux, descendant au fond d’un canyon que baignent des cascades et des bassins aux eaux de jade.

Jiuzhai gou
Neuf bourgs (jiuzhai) tibétains dessinent cette vallée (gou) profonde, à 103 km au nord de Songpan. Elle est dédiée aux jeux de l’eau qui circule en torrents limpides ou dort en lacs turquoise.

Dazu
A 305 km au sud de Chengdu ; 164 km à l’ouest de Chongqing.
A l’orée de Dazu, 500 marches montent sur la colline du Nord, qui domine une anthologie de la campagne du bassin rouge : théiers alignés comme des bonsaïs sur les pentes, terrasses plantées de riz ou de maïs, vallons où se nichent des maisons carroyées de blanc à l’abri d’un jardin de mûriers. Au bout de l’escalier, 250 m de falaise blanche ont été ciselés, du IXe au XIIe siècle, en chapelles et en images, en fleurs de lotus et en assemblées de personnages du bouddhisme, que domine Guanyin, la déesse compatissante.

La colline du Précieux Ding
A 15 km de Dazu.
Contrepoint à l’hymne de pierre blanche de la colline du Nord, cette colline se gravit plus facilement pour découvrir, dans une gorge en fer à cheval, un amphithéâtre de statues rupestres colorées qui mêlent le religieux et le profane, la doctrine de Bouddha et les préceptes de Confucius. Les supplices des damnés de l’enfer bouddhique sont dépeints avec une cruauté très universelle.

Chongqing
A 504 km de Chengdu.
Perchée sur un promontoire, au confluent du Long Fleuve et du Jialing jiang, Chongqing est l’un des « fours » de la Chine : en été, le thermomètre y grimpe vers des températures peu avouables. Elle partage cette fâcheuse réputation avec Nankin et Wuhan, et toutes trois furent pourtant les capitales successives de Chiang Kaishek durant l’occupation japonaise de la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci valut à Chongqing de copieux bombardements, malgré les brouillards qui montent du fleuve chaque hiver. Ce n’est donc pas ici que l’on quêtera le passé millénaire des Chinois… Mais, à l’occasion d’un séjour pour embarquer sur le Yangzi jiang, on pourra se plonger dans le grouillement de ses ruelles en pente, où monte la rumeur des vapeurs et des sampans, ou découvrir la statuaire funéraire de l’Antiquité, moissonnée par Victor Segalen en 1914, au Musée municipal(ouvert tlj de 9 h à 12 h et de 14 h 30 à 18 h. Entrée payante).

Les feux du Sichuan
A Chongqing, l’occasion est trop belle de s’attabler dans une gargote autour du huoguo, version locale du pot-au-feu. La belle couleur vermillon du bouillon qui mijote dans la bassine de métal n’a rien d’artificiel : piment et poivre rouge du Sichuan sont les notes indispensables à cette préparation. On y plonge, à la mesure de son appétit et de la résistance de son palais, des verdures et tous les morceaux (bas ou nobles) du cochon. En cas d’incendie de la langue, sachez que la cuisine de Chongqing dispose de saveurs plus subtiles, tel le canard fumé au bois de camphrier ou parfumé aux chrysanthèmes.

Au fil du Yangzi

Avant que des avions de tourisme ne couvrent les centaines de kilomètres qui séparent les villes de Chine, le Yangzi jiang faisait office d’artère touristique. Venu d’outremer, on débarquait à Shanghai, puis on remontait le fleuve jusqu’à un port, où l’on pouvait prendre, selon ses aptitudes, le relais d’un cheval ou d’une chaise à porteurs. Le métier de haleur fut l’un des plus terribles, ce que l’on devine aisément au spectacle des chemins taillés à mi-pente des gorges qui enserrent le Chang jiang. De nos jours, on descend le fleuve plutôt qu’on ne le remonte pour le seul plaisir du spectacle des Trois Gorges, dont le temps est compté : en juin 2003 a débuté la première phase de mise en eau du Grand Barrage.

Fengdu, bouche de l’enfer

Première escale des croisières des Trois Gorges, le lieu est considéré comme l’une des portes des enfers par laquelle, fatalement, s’échappent quelques démons. Desservi en télésiège, un grand parc « d’attractions » met en scène les supplices, dûment présentés par catégories de fautes. Garantie pour l’avenir : la cité des démons sera protégée des eaux du barrage par une digue.

Les Trois Gorges (San Xia)

Dépassant des grottes et des pics, des temples et des villages disséminés le long des berges, les bateaux parviennent à Fengjie, qui surplombe Qutang, la première des Trois Gorges : deux parois rocheuses de 1 500 m, dressées vers un ciel lointain… à peine diminuées par la montée de 135 m des eaux en juin 2003, débute la gorge de Wu, la deuxième : un défilé de 12 pics sur 40 km. Enfin, passé les 75 km (depuis Chongqing)des gorges de Xiling, le Yangzi s’écoule comme un long fleuve tranquille, dompté par le barrage des Trois Gorges (franchi par monte-charge pour les bateaux de faible tonnage, par cinq écluses pour les autres) et par celui de Gezhouba.

Quand la Chine fait plier un géant
Etés 1995, 1996, 1998, 2002 : les inondations du Yangzi font la une du JT chinois. Raison de plus pour mobiliser l’opinion autour du très controversé barrage des Trois Gorges. Pour la bagatelle de 203 milliards de yuan et 17 ans de travaux, l’ouvrage, de 2 km de large sur une hauteur de 185 m, doit assurer une retenue d’eau de 1 000 km2 sur 600 km de long, noyant 24 500 ha, déplaçant 1,5 millions de personnes (43 % du coût du barrage a été affecté à leur relogement), balayant des milliers de sites archéologiques majeurs. La régulation n’est pas le seul objectif, il s’agit de créer une centrale hydroélectrique de 18 200 mégawatts, soit 10 % de la production nationale d’électricité, et d’augmenter la navigabilité (remontée de Shanghai à Chongqing – 2 500 km – de cargos de mer de 10 000 t).

Wuhan
Des automobiles au capot estampillé d’un double chevron ou d’un losange sortent des usines de ce grand centre de construction mécanique depuis les années 90. De la colline du Pavillon de la Grue jaune, on découvre le visage résolument moderne de la capitale du Hubei, qui s’étire en grandes artères dynamiques et commerçantes. Le long des quais du Yangzi, dans le quartier de Hankou, quelques bâtiments néo-classiques, dont celui des douanes, rappellent que les « barbares » d’Occident s’enfoncèrent dans l’intérieur du pays, en établissant une concession ici dès 1861. Cinquante ans plus tard, une rébellion militaire scella la fin d’un empire de vingt-deux siècles.
Il existe des alternatives reposantes à cette grande ville trépidante. Les kiosques et galeries construits autour du lac de l’Est invitent à quelques pas, surtout l’été, lorsque ses eaux disparaissent sous la floraison des lotus. Le campus voisin mérite la visite. Cette cité universitaire est très prisée pour l’agrément de son cadre et ses constructions de caractère bordées de vieux arbres.

Le Musée provincial
Ouvert tlj de 8 h 30 à 12 h et de 14 h à 18 h. Entrée payante.
Il héberge le mobilier funéraire du marquis de Yi, mort au Ve siècle av. J.-C. et certainement mélomane si l’on en croit les grands carillons de cloches en bronze et de pierres musicales que recelait sa dernière demeure.

 

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