(…) Paname
T’es bell’ tu sais sous tes lampions
Des fois quand tu pars en saison
Dans les bras d’un accordéon
Paname
Quand tu t’habill’s avec du bleu
Ça fait sortir les amoureux
Qui dis’nt « à Paris tous les deux »
Paname
Quand tu t’habill’s avec du gris
Les couturiers n’ont qu’un souci
C’est d’fout’ en gris tout’s les souris
Paname
Quand tu t’ennuies tu fais les quais
Tu fais la Seine et les noyés
Ça fait prend’ l’air et ça distrait
Paname
C’est fou c’que tu peux fair’ causer
Mais les gens sav’nt pas qui tu es
Ils viv’nt chez toi mais t’voient jamais
Paname
L’soleil a mis son pyjama
Toi tu t’allum’s et dans tes bas
Y’a m’sieur Haussmann qui t’fait du plat
Paname
Monte avec moi combien veux-tu
Y’a deux mille ans qu’t’es dans la rue
Des fois que j’te r’fasse un’ vertu
Paname
Si tu souriais j’aurais ton charme
Si tu pleurais j’aurais tes larmes
Si on t’frappait j’prendrais les armes
Paname
Tu n’es pas pour moi qu’un frisson
Qu’une idée qu’un’ fille à chansons
Et c’est pour ça que j’crie ton nom
Paname, Paname, Paname, Paname…
Extrait de Paname, Léo Ferré, 1956 (La Mauvaise graine, textes, poèmes et chansons 1946-1993, Léo Ferré, Editions no 1, 1993)
Le moindre des paradoxes de la capitale, c’est que ce soit « Paris by night » qui éclaire le mieux la légendaire Ville Lumière. Car c’est quand il fait nuit que Paris brille, clignotant de toutes les enseignes des Champs-Elysées, de tous les néons de Pigalle, reflétant tous les projecteurs de la Concorde et de la Conciergerie, scintillant de tous les réverbères de Bercy, et même de sa tour Eiffel, avec son phare qui tourne, comme une fronde, depuis là-haut, sur les kilomètres alentour.
Paris de droite à gauche
Ville Lumière ? Quand Paris conquit ce surnom à l’échelle internationale, c’était vers 1900, à l’heure où la Fée Electricité prenait le relais de la flamme fade du gaz d’éclairage. Grâce à elle, la Ville Lumière put devenir ville de couleur, avec les vitrines de mode de la rue Montaigne, les restaurants de velours bordeaux et les bars de mosaïque du XXe arrondissement, puis, plus tard, les tubes multicolores du Centre Pompidou et le gai Paris aux tons de champagne et aux airs de Moulin Rouge, auquel répond le Paris « gay », pavoisant le Marais de drapeaux arc-en-ciel.

Notre Dame de Paris By: Rui Pereira – CC BY-NC-SA 2.0
Autour de ce soleil insulaire, comme un escargot, comme une nébuleuse, une galaxie, peut-être, s’enroulent les 20 arrondissements. Transfigurant 100 villages, 1 000 lieux-dits d’autrefois, pour y prendre ses quartiers et les noms de ses quartiers : Chaillot et Charonne, La Muette et La Villette, Beaubourg et Belleville, le Parc des Princes et le Champ de Mars, les Buttes-Chaumont et la Plaine Monceau… une fusion chaleureuse comme un repas où l’on trinque, dans l’enclos rugissant des périphériques, avec, comme point de repère, Notre-Dame.
Là, sur le parvis de la cathédrale, se trouve le kilomètre zéro de toutes les routes de France !
Une fusion qui n’efface pourtant pas la double nature de la capitale, coupée en deux par le ruban d’argent de la Seine qui se tait sous le bronze des statues. La rivière est la frontière silencieuse, le fossé aquatique entre la Rive droite huppée et une Rive gauche plus populaire. Une rive droite en cravate, où les palaces oublient de compter leurs étoiles, où un arc triomphe sur « la-plus-belle-avenue-du-monde » et où la tour Eiffel joue les dames de fer sur le Champ-de-Mars. Une rive droite des boulevards, qui mélange les genres, avec les grands magasins et les casernes Grand Siècle, les brasseries et les derniers menuisiers, les tatoueurs et les ultimes cinémas ; un Paris Sacré-Cœur et ses messes permanentes, un Paris Vendôme, haut lieu mondial de la bijouterie et avare de prix affichés, un Paris XVIe et ses façades cossues…
Au sud, c’est la Rive Gauche en foulard. Saint-Germain-des-Prés en quête de son âge d’or, sur les traces de Juliette Gréco et de Boris Vian, avec ses caves où l’on joue le be-bop comme dans les années 1950. Juste à côté, le boulevard Saint-Michel, cour de récréation légendaire de la très studieuse Sorbonne. Et, dans l’ombre sérieuse du Panthéon, la rue Mouffetard qui s’endort tard.

Paris Tour Eiffel by night By: Matthieu Barreau – CC BY-NC-SA 2.0
Paris de haut en bas
Astre ou petit monde… Paris a ses maxima et ses minima, ses profondeurs et ses altitudes : le funiculaire qui grimpe au Sacré-Cœur et les escaliers qui descendent depuis Ménilmontant, la hautaine « montagne » Sainte-Geneviève et la « butte » Montmartre, la tour Eiffel, les 210 m de la tour Montparnasse, le Trou des Halles ou encore les – 20 m de la fosse de Villeneuve-la-Garenne, unique en Europe, où l’on pratique la plongée sous-marine en piscine. Les 33 ponts et les innombrables passerelles enjambant les trottoirs et les canaux.
Les cinq gares qui aspirent des rails venus des six côtés de l’hexagone. Les 200 km de voies du Métro mugissant dans 2 000 km de galeries. Et les rues, si nombreuses qu’on les a mises en dictionnaire. Royaume des petits commerces, reconquis par les fruitiers arabes et les restaurants chinois, un monde fait de bistrots qui font toujours un angle. Les boulevards s’emboîtent et se croisent, les avenues se télescopent, courant vers les monuments illustres ou jouant au marché populaire sous les ponts de fonte du métro aérien.
Les impasses portent le nom de « villa », et les villas donnent leur nom à des impasses.
Malgré cette concentration urbaine, Paris joue la carte verte avec ses poumons éclatés dans une multitude de parcs, de jardins publics, de squares, du Bois de Boulogne à celui de Vincennes, du parc Monceau à celui de Montsouris, du Luxembourg à la Coulée Verte, des Buttes-Chaumont jusqu’aux cimetières qui ébrouent quelque 35 000 arbres le long de leurs allées, et aux tilleuls insoupçonnés des cours d’écoles.

Paris Jardin du Luxembourg par: switchhook – CC BY-NC-SA 2.0
Parisien avant tout
Mais le véritable souffle de Paris, c’est le Parisien. Vingt millions de talons qui parcourent la capitale et qui scandent sur l’asphalte leurs mélodies : talons mocassin, talons d’escarpins, talons aiguille et talons crêpe battent comme les pulsations d’un cœur. Mais existe-t-il vraiment, ce Parisien portant la baguette et le béret ? Est-il né à la barrière du Trône, sur la Butte-aux-Cailles, ou plutôt à Oran, à Colombo, à Baltimore ou à Tombouctou… ?
Va-t-il à l’église Saint-Eustache, à la synagogue la plus grande d’Europe, rue des Victoires, ou bien à la Grande Mosquée ? Picore-t-il des chinoiseries porte d’Ivry, décortique-t-il les tartes salées de la cantine bio, compte-t-il les toques de L’Ambroisie ou encense-t-il le dernier curry du XVIIIe ? Peu importe, car en adoptant les baskets, les rollers, le jogging… il s’est aligné sur la panoplie de la « World Culture ».
Toujours avant-gardiste, il élit le premier maire de gauche de son histoire ; féru de mode, il invente les tendances au même titre que les Londoniens ou les New-Yorkais. L’ouvrier de banlieue croise l’infirmière de nuit, le noctambule prend un « petit blanc » tandis que le jeune patron de Start-up avale son expresso l’œil rivé sur les résultats boursiers. Souvent pressé, parfois bougon mais toujours un peu artiste, le Parisien a décidé de prendre un peu plus le temps de vivre, et peut-être enfin de profiter de sa ville et de tous les trésors qu’elle recèle !
La culture d’abord
Car près de 300 théâtres et musées s’ouvrent à lui. Passé la pyramide du musée du Louvre, on fuit l’œil sévère de la Joconde, on persévère dans les méandres des salles antiques. Un bond de quelques siècles et voici le Centre Georges-Pompidou, qui dédie ses verrières à l’art moderne. De l’autre côté de la Seine, l’ancienne gare d’Orsay sonne l’hymne des impressionnistes. Petit Palais ou Grande Halle de La Villette, Rodin qui joue les penseurs dans le musée qui porte son nom, et l’on s’incline devant le prestigieux parterre du Panthéon.

Pantheon By: Jaume Bonet – CC BY-NC-SA 2.0
Rue de Seine, ce sont les vernissages dans les galeries d’art, nuits de tragédies sur les planches de l’Opéra-Comique et nuits de drame à la Comédie-Française. Les studios de cinéma de Boulogne ne sont plus guère que des magasins à souvenirs, mais sous le ciel de La Villette, les séances en plein air ravissent les spectateurs. Au Stade de France, on se renvoie le ballon rond ou ovale, tandis que les chevaux piaffent sur les hippodromes de Longchamp ou d’Auteuil.
Et la musique, partout, de tous les styles et pour tous les âges. Jadis l’accordéon pleurant sur les pentes de Montmartre, naguère le jazz qui bourdonne encore dans les caveaux de Saint-Germain, le petit matin fredonné par Edith Piaf, aux couleurs de La Vie en Rose. Le pianiste prodige triomphe de Chopin et du public de la Salle Gaveau, le hip-hop se déhanche aux Halles, le raï enflamme Clignancourt, la techno hache les quais de Seine et le bal musette fait danser les bords de Marne, pendant que le Zénith brandit toute la musique que Paris aime.
Et pendant ce temps-là, à l’Opéra, le Cygne de Tchaïkovski n’en finit pas de mourir…
Paris intellectuel, Paris branché, Paris populaire… Paris aux mille visages, changeante en fonction du regard qu’on lui porte. « M’as-tu vu ? », minaude-t-elle au visiteur. « Regarde-moi », crie-t-elle au Parisien qui ne la contemple plus assez. Mais, mieux qu’éternelle, la Ville Lumière préfère dire qu’elle sera « toujours Paris ».