Issu des flux migratoires, réuni par la langue et la lecture d’Homère, un peuple est né au nord de la Méditerranée. Aux rois perses, il a opposé les atouts de la démocratie ; aux Romains, les séductions de l’art ; aux Turcs, la force de l’unité ; aux dictateurs, l’endurance du peuple.
La Grèce antique
Petits pas, grandes invasions (- 10 000 à – 1000)
Bien sûr, l’homme de Néandertal est passé par la Grèce, mais les débuts sérieux viennent plus tard, vers – 3000 : surgi du Proche-Orient, un peuple méconnu introduit le bronze et deux plantes prédestinées, la vigne et l’olivier. Les Cyclades se mettent alors à polir leur marbre en statuettes futuristes, et la Crète donne le jour à la civilisation minoenne : cinq palais s’élèvent bientôt, dont celui de Knosos. Débuts prometteurs balayés par un séisme : Santorin, le volcan voisin, explose vers – 1500. Sur le continent, les Achéens, d’origine indo-européenne, envahissent le Péloponnèse. Ils s’installent à Mycènes, où ils recueillent les restes de la grandeur minoenne pour donner naissance à une nouvelle culture. Les Mycéniens ne se contentent pas de sculpter leurs célèbres masques d’or, ils ressassent leurs souvenirs de guerre contre Troie, la clef des Dardanelles. Trois siècles plus tard, le poète Homère met tout en vers : la langue hellénique est née.Entretemps, d’autres conquérants ont surgi, les terribles Doriens. Ils tiennent déjà la Crète, et depuis longtemps le sud du Péloponnèse : pour échapper au servage, les Achéens doivent s’entasser dans le cul-de-sac de l’Attique ou fuir vers les îles.

Temple of Apollo, Corinth © Alun Salt
Cités et colonies (- 1000 à – 500)
Chacun trouve bientôt ses marques et des cités s’imposent : Sparte, Argos et Corinthe dans le Péloponnèse; Athènes, Eleusis, Mégare et Thèbes dans l’Attique. Chacune a son roi, dont l’autorité s’arrête où commence la loi du sang. Beaucoup de guerriers périssent inutilement dans les allersretours de la vengeance. Alors, les sages locaux créent une justice dure plus séduisante que les représailles stériles. Dracon crée son code draconien. Lycurgue fait jurer aux Spartiates de suivre ses lois jusqu’à son retour – et il se suicide en route.Après avoir hésité entre monarchie et oligarchie, aristocratie et tyrannie, Athènes adopte la démocratie directe : toute décision est votée par l’Ekklesia, l’assemblée de tous les hommes libres ; fonctionnaires et ministres sont élus, les ambitieux sont bannis, et on rend des comptes publics à la fin de chaque mandat – de quoi rêver ! Beaucoup de cités adoptent le système. Mais la terre est ingrate. Il faut multiplier les colonies pour absorber le surplus de population. Ainsi naissent Milet, Ephèse, Byzance, en Asie Mineure; en Europe, Neapolis (Naples), Massalia (Marseille), Nikaia (Nice). Très liées à leur cité-mère (metro-polis), unies par la langue commune, les colonies forment vite un puissant réseau commercial qui maille toute la Méditerranée.
Voisins jaloux (- 500 à – 361)
L’Empire perse, qui s’étend de l’Egypte à l’actuel Pakistan, y voit une concurrence. En – 490, à la suite d’une émeute fiscale des Grecs de Milet, Darius fait porter le chapeau à Athènes. Son armée débarque à Marathon. Au lieu de se retrancher, les Athéniens attaquent : surpris, les Perses perdent tant d’hommes que Darius renonce.Son fils Xerxès veut laver l’affront. Il jette un pont de bateaux de 2 km sur le détroit des Dardanelles et ses troupes marchent sur l’Attique, par le nord cette foisci. Trois cents Spartiates défendent jusqu’au dernier le défilé des Thermopyles. Xerxès passe. Athènes est incendié. La flotte du Pirée doit se réfugier derrière l’île de Salamine, une souricière dont on ne peut s’échapper que par un mince chenal. Xerxès se frotte les mains. Il plante son trône sur une colline et envoie 1 200 galères. Dans l’étroit passage, c’est l’embouteillage. Les Grecs en profitent, et engagent les bateaux un à un. De son perchoir, le Perse voit les deux tiers de ses bâtiments descendre au fond du golfe Saronique.Athènes a désormais les coudées franches pour s’offrir un âge d’or : construction de l’Acropole par le sculpteur vedette Phidias, duo philosophique de Socrate et Platon, tragédies de Sophocle et d’Euripide, naissance de l’histoire-géo avec Hérodote et Xénophon… Un siècle de prospérité auquel l’habile Périclès, qui se maintient trente ans au pouvoir, va donner son nom. Cela fait des jaloux et, en – 461, la guerre éclate entre Athènes et Sparte. La première y laisse des plumes. La seconde y laisse la vie.
Le rêve hellénistique (- 336 à 51)
Survient un troisième larron : Philippe, le roi de Macédoine, en profite pour annexer la Grèce. L’orateur Démosthène tente de galvaniser les énergies contre lui, mais en – 338, les récalcitrants sont défaits à la bataille de Chéronée. Lorsque Philippe meurt poignardé, deux ans plus tard, il laisse un empire qui va de l’Albanie à l’Ukraine.Alexandre le Grand, son fils, fait mieux encore : il sème les cités grecques du Nil à l’Himalaya. A sa mort, ses généraux partagent : Ptolémée devient pharaon, Antigonos empoche l’Asie Mineure, Seleuchos la Syrie… Le monde hellénistique est né, qui est à la Grèce ce que l’Amérique sera à l’Angleterre.
Byzance
Le triomphe chrétien (51 à 1087)
A son tour, le monde hellénistique est gobé par un autre prédateur, Rome. La Grèce n’est plus qu’un satellite, mais son éclat fascine : César meurt en parlant grec, et Juvénal s’indigne que les Romaines fassent l’amour dans cette même langue.En 51, un juif hellénisé débarque au Pirée. C’est l’apôtre Paul, qui inonde de ses fameuses épîtres les habitants de Corinthe et de Thessalonique. Trois siècles plus tard, lorsque Constantin prend le pouvoir à Rome, le christianisme devient religion officielle. En 392, l’usurpateur fonde sur le site de Byzance une cité qui porte son nom, Konstantinopolis. L’Empire se retrouve avec deux capitales, l’une latine et romaine, l’autre grecque et byzantine. Ravagée par les invasions, Athènes la païenne s’endort. En 611, les Byzantins sont chassés de Syrie. Les nouveaux envahisseurs récusent le culte des images et de la Trinité : ils sont musulmans. Un long grignotage se prépare, pendant que Latins et Grecs se déchirent. En 1054, à la suite d’un long débat sur la modification du Credo -la profession de foi chrétienne – l’Eglise de Byzance et l’Eglise de Rome se déclarent mutuellement hérétiques. C’est la rupture.
Croisés, Turcs et Vénitiens (1087 à 1453)
En 1087, les musulmans écrasent les Byzantins à Mantzikert : Constantinople appelle Rome au secours. C’est la première croisade, qui offre aux Latins l’occasion de s’installer au Proche-Orient. En 1204, une autre croisade est détournée vers Constantinople, qui est mise à sac. Un Flamand devient empereur. Un Piémontais devient roi de Thessalonique. Le Champenois Villehardouin conquiert la Morée (le Péloponnèse). Vénitiens et Francs se partagent la Grèce. C’est compter sans Nicée, où une « Byzance libre » subsiste, avec son empereur. En 1259, celui-ci capture les chefs francs et échange leur liberté contre la Morée. L’aventure franque tourne court. Constantinople est reprise, mais les Turcs ottomans attendent leur heure, à un jour de marche de la capitale.