
Serpa © Habladorcito
L’Alem Tejo – « au-delà du Tage », en portugais – occupe un tiers du territoire portugais. Située à l’ouest de l’Espagne et au sud du Tage, c’est une région peu accidentée, où champs de blé et oliviers constituent les principaux paysages et où les photographes pourront à loisir solliciter leurs objectifs. L’horizon est en effet toujours prêt à poser : douces collines verdoyantes, oliviers épanouis, terre ocre et champs de blé et de tournesols, agricultrices en fichu noir, maisons basses blanchies à la chaux sur ciel bleu azur…
Déserté par les jeunes, l’Alentejo est une terre rude, froide l’hiver et étouffante l’été, et pauvre. Quelques villes – Evora, classée patrimoine de l’humanité par l’Unesco, Beja, capitale de l’huile d’olive, Portalegre, relais du Nord – évoquent la vie urbaine. Le vaste territoire compte plus de châteaux, couvents, monastères et villages aux placettes pavées, où trône presque toujours un pilori travaillé sous l’Inquisition, que le pays dans son ensemble. Sa position a d’ailleurs toujours incité les Espagnols à quelques incursions gourmandes ! L’Alentejo est du reste la région qui affiche le plus grand nombre de « pousadas ». Elles offrent, ici encore plus qu’ailleurs, l’occasion de pénétrer dans ces lieux chargés d’histoire, le temps d’une pause café, d’une nuit ou d’une halte déjeuner. Celle-ci sera d’autant plus appréciée que la cuisine est, en Alentejo, un art de chaque repas. Du sud au nord, le porc est à l’honneur de la table, de ses oreilles servies en amuse-gueules, assaisonnées de coriandre, aux recettes complètes, associant l’échine aux palourdes… Enfin, il y a les ruines, celtes et romaines, qui offrent d’intéressantes alternatives au Moyen Age !
Beja et le Baixo Alentejo
Le Baixo Alentejo est le grenier à blé du Portugal. On y traverse d’immenses plaines où la céréale est omniprésente. De petits bourgs souvent bâtis à flanc de collines – Mértola ou Serpa sont typiques – semblent s’y être endormis à l’ombre des jacarandas, tant la chaleur est pesante l’été. Les bougainvillées fleurissent sur chaque fenêtre, les sons de radios antédiluviennes parviennent du fond des cours – ou du fond des âges – et les boutiques et petites épiceries ne rouvrent leurs rideaux de fer que lorsque le soleil ne menace plus les hommes. C’est une ambiance un peu surannée, mais souvent pleine de bonnes surprises.
Avant d’arriver à Beja, au sud de l’Alentejo (à environ 150 km au nord de Faro), la plaine à la terre ocrerouge présente tout à la suite des vergers d’orangers, de la vigne et des oliviers. Quelques maisons basses fraîchement badigeonnées de chaux annoncent la proximité de la « grande ville », perchée sur une colline qui domine la plaine. La capitale du bas Alentejo s’efforce, malgré la désertification des campagnes, d’apparaître comme un relais de la civilisation moderne, perdu entre les champs de blé et les moulins. Est-ce parce qu’elle fut romaine, wisigothe puis maure durant quatre siècles que les habitants de Beja répondent si volontiers à leur légendaire réputation de gentillesse et d’amabilité ?
Convento Nossa Senhora da Conceição
Couvent-musée Rainha Dona Leonor, largo dos Duques de Beja. Ouvert tlj sauf lundi et jours fériés de 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 h à 17 h 15. Entrée payante.
Une halte à Beja promet toujours un moment agréable et émouvant lorsqu’on visite cet ancien couvent de clarisses sis derrière les murailles de la vieille ville. Transformé en musée régional dédié à la première abbesse Rainha Dona Leonor, il fut fondé en 1459 par don Fernando, le père du roi Manuel, et bénéficia tout au long de son activité des largesses de la cour. La façade d’influence gothique contraste avec l’intérieur de l’édifice de style mudéjar. En effet, influencé par l’art d’islam, le mudéjar se caractérise par l’utilisation de la brique, de la céramique, du bois et du plâtre.
Les romantiques jetteront un coup d’œil, au premier étage, à la Janela de Soror Mariana, la fenêtre par laquelle la sœur Mariana Alcoforado, auteur présumé des très célèbres Lettres de la religieuse portugaise, s’entretenait galamment avec son courtisan, le comte français de Chamilly. L’histoire prétend en effet qu’une jeune nonne, tombée amoureuse d’un comte français envoyé en Alentejo par Louis XIV, lui écrivit des lettres passionnées et d’une haute tenue poétique, publiées en France en 1669 – plus tard traduites en allemand par Rainer Maria Rilke. On n’a jamais retrouvé trace de ces lettres en portugais, mais la nonne exista vraiment.
De l’art du pilori…
Ornant la plupart des places des villages de campagne, les piloris – pelourinhos -, instruments de supplice apparus dès le XIIIe siècle au Portugal, devinrent prétexte, tout en conservant leur vocation répressive, à décoration artistique. De simples colonnes auxquelles on attachait un supplicié à un crochet pour qu’il soit soumis à la vindicte populaire, les piloris devinrent les témoins, au cours des siècles, des différents styles artistiques en vogue. Manuélins, gothiques ou baroques, les pelourinhos permirent à la Sainte Inquisition de se débarrasser d’un très grand nombre d’hérétiques… Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que cette coutume barbare soit abolie et que ces potences redeviennent de simples sculptures.
Praça da República
Avant de quitter Beja, flâner à l’ombre des jacarandas sur cette place typique des villages portugais, avec, trônant en son centre, un pilori torsadé datant du XVIe siècle.
Suivez le guide !
Idéale, l’escale déjeuner au Castelo de Alvito (à 34 km au nord-ouest de Beja) ! La décoration intérieure du château, les paons qui nichent sur les remparts et le panorama imprenable sur la plaine valent la visite à cette pousada magnifique et austère du XVe siècle, qui a installé sa salle de restaurant sous les voûtes en pierre du château.
Evora
A 150 km au sud-est de Lisbonne ; 215 km au nord de Faro.
La plaine recouverte de champs de blé, d’oliviers, de chênes-lièges, et de minuscules chapelles d’une blancheur étincelante qui mène de Beja à Evora ne présage en rien de l’incroyable richesse culturelle et artistique de cette ville-musée, estampillée patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. La capitale de la région d’Alentejo mérite que l’on s’y arrête au moins une journée entière, et si possible une soirée, quand la ville alors illuminée s’anime, grâce notamment à la présence des étudiants de l’université qui égaient cafés et restaurants. Les temples romains, la muraille médiévale, la cathédrale, les cloîtres, les églises et les palais, représentatifs de plusieurs époques et d’autant de civilisations, n’en gagnent que plus de majesté.
Tour à tour romaine, wisigothe et maure, la cité est arrachée aux musulmans en 1165 par Geraldo Sempavor – Gérard sans Peur -, avant de devenir une ville symbole qu’affectionne la cour, surtout aux XVe et XVIe siècles. Fief de l’intelligentsia de l’époque, l’université d’Evora est créée en 1559, alors même qu’y siège l’Inquisition. Plusieurs monarques séjournent dans le palais hispano-mauresque que le souverain Manuel s’est fait construire en les murs.
Le cœur de la vieille ville, entouré de murailles, qu’il est impératif de visiter à pied, tant les voies à sens unique, les rues piétonnes et les autocars de tourisme rendent la circulation épouvantable, n’est pas si vaste. Il faut bien observer chaque façade – presque toutes s’ornent à leurs fenêtres de moucharabiehs, témoins du passage des Maures dans la ville -, car c’est l’ensemble, et pas seulement deux ou trois bâtiments choisis, qui constitue une partie importante du patrimoine mondial de l’humanité classé par l’Unesco.
Cathédrale
La cathédrale elle-même présente un mélange intéressant de styles et de décorations. Bâtie au XIIe siècle, elle évoque les églises romanes que l’on peut admirer dans nos campagnes.
Toute de granit, sa forme élégante provient sans doute de la majesté de ses façades et de son dôme conique très particulier, entouré de plusieurs clochetons. Le portail, que précède un porche de style gothique, est encadré de statues des apôtres, sculptées au XIVe siècle.
A l’intérieur, l’immense nef, la voûte en arc brisé, la coupole octogonale, le transept décoré de rosaces gothiques et d’une porte mauresque, confèrent à l’édifice une atmosphère étonnante. Il faut jeter un coup d’œil, avant de pénétrer dans le cloître, sur la chapelle de style baroque qui abrite une statue en pierre polychrome de la Vierge enceinte, datant du XVe siècle.
Ville haute
Sur le largo do Conde de Vila Flor, au sommet de la ville haute, plusieurs centres d’intérêt occuperont les visiteurs.
Au Museu Regional (Rua de Serpa Pinto. Attention, le musée est provisoirement fermé au public. Son contenu est installé dans l’Église du Couvent de Santa Clara. Entrée payante), l’étage consacré aux sculptures réserve de belles surprises, avec une collection d’œuvres de Nicolas Chanterène, artiste français ayant vécu et travaillé au Portugal dans la première moitié du XVIe siècle. Au premier étage, on ne manquera pas le polyptyque datant de la fin du XVe siècle, composé de 13 peintures d’inspiration flamande, illustrant la vie de la Vierge Marie.
Toujours sur le largo, les colonnes du temple de Diane (IIe siècle ap. J.-C.) sont l’un des vestiges portugais les mieux conservés de l’époque romaine.
Enfin, en face du temple, le Convento dos Loios, ancien couvent des moines de saint Eloi, transformé en pousada, mérite vraiment une visite. Un restaurant a été installé dans le jardin de l’ancien cloître, où arums, jasmins, glycines, figuiers et orangers embaument l’air. A l’intérieur, la pousada évoque davantage le musée de mobilier et d’objets d’art que l’auberge !
De l’art culinaire
Le porc est à la base de bon nombre de spécialités d’Alentejo. Cela paraît logique, puisque la région possède une majeure partie du cheptel porcin du Portugal. Le porc à l’alentéjane – grande spécialité du cru – se marine tout d’abord dans une mixture d’herbes parfumées et d’huile d’olive, puis est cuit en ragoût avec des palourdes. L’Alentejo est l’une des rares régions productrices de fromages ! Le plus fameux – le queijo da serra – est fabriqué avec un mélange de laits de chèvre, de vache et de brebis. Il arrive qu’on le déguste accompagné de marmelade de coings. Les vins de la province ressemblent à la terre où ils ont été élevés ! Vigoureux, corsés, les Cuba, Reguengos de Monsaraz, Alvito, Borba, s’adaptent bien aux parfums épicés de la cuisine alentéjane.
Praça do Giraldo
C’est sur cette vaste et jolie place tout ombragée, encerclée d’immeubles à arcades à trois étages et ornés de balcons en fer forgé, que l’on prend le mieux le pouls de la ville. Les terrasses de café y sont nombreuses, souriantes et toujours pleines d’une foule bigarrée, faite d’étudiants, d’agriculteurs, d’intellectuels, de personnes âgées, mêlés aux touristes. Sous les arcades, des boutiques proposent des marchandises bien hétéroclites : poteries, meubles peints à la main typiques de la région, prêt-à-porter à la mode, chocalhos (cloches de vacher) travaillées, objets en chêne ouvragé, marrons grillés… Les échoppes vendent de gigantesques rubans de couleurs vives que les étudiants achètent à la fin de leur cycle scolaire pour les faire dédicacer par leurs camarades de classe, en guise de souvenirs…
Les tapis d’Arraiolos
La petite bourgade d’Arraiolos (à 20 km environ au nord-ouest d’Evora) est réputée pour ses tapis, que les femmes confectionnent encore à la main – à l’aiguille au point de natte, donc non tissés -, en accomplissant des dessins symboliques, de couleur bleu, ocre, rouge et moutarde, représentant des rosaces, des animaux ou des formes géométriques. On retrace l’origine de cet artisanat jusqu’à l’époque hispano-mauresque. Ceux qui ne ressentent aucune émotion devant ces tapetes ne regretteront pas d’avoir cédé à une halte dans ce village qui évoque la Grèce. Baignés de soleil, les ruelles pavées aux maisons basses blanchies à la chaux et cernées de frises bleu outremer, les femmes en fichu noir, les hommes assis devant leur pas de porte et les petits chiens qui rôdent de porche en porche pour éviter les rayons solaires n’ont rien de continental ni d’océanique…
Suivez le guide !
Buvez un verre au bord de la piscine de la pousada du convento dos Loios, construite sur l’un des paliers en étages et dont le sol recouvert de marbre rose est sublime. La région est d’ailleurs une importante productrice de marbre, qu’elle exporte même vers Carrare…
Vers l’Espagne
Au nord-est d’Evora, Estremoz, Elvas et Vila Viçosa valent une petite incursion vers la frontière espagnole.
La première est sans doute l’une des villes les plus actives de la région.
Marché agricole réputé – on peut d’ailleurs y faire provision de fromages de chèvre, de charcuteries ou de poteries -, Estremoz(à 44 km au nord-est d’Evora ; 226 km à l’est de Lisbonne) conserve également dans ses petites ruelles qu’égaient des lauriers-roses de belles maisons médiévales, ainsi qu’un donjon qui occupe les hauteurs de la ville.
Vila Viçosa(à 32 km au sud-ouest d’Elvas ; 62 km au nord-est d’Evora), ancien fief des Bragance, évoque davantage l’Italie que le Portugal, avec son parc et son palais ducal, que l’on peut visiter (ouvert tlj sauf lundi, mardi matin et fériés. Attention aux horaires très variables. Entrée payante. Tél. : +351 268 980 583).
Aux confins de l’Espagne, Elvas(à 88 km au nord-est d’Evora) avait une fonction militaire et stratégique, ce que confirme la présence de remparts fortifiant la cité médiévale. L’aqueduc, construit durant la Renaissance portugaise, approvisionne encore aujourd’hui en eau les fontaines et autres lieux publics !
La route des châteaux
Portalegre (à 57 km au nord-ouest d’Elvas), troisième « ville » d’Alentejo, toute proche de la frontière espagnole, a peu d’intérêt en ellemême. En revanche, c’est un point de départ idéal pour rayonner dans cette région de serras, de plaines et de champs, d’où surgissent un peu inopinément quelques très beaux villages médiévaux.
Marvão (à 13 km au nord-ouest de la frontière espagnole, 22 km au nordest de Portalegre), cité fortifiée édifiée au sommet de la Serra de São Mamede, offre l’un des plus beaux panoramas du Portugal. Toute proche, Castelo de Vide, située à un jet de pierre de l’Espagne, est une ville d’une quiétude rassurante. Bâtie à flanc de colline, la petite cité ne possède aucun monument d’intérêt, mais distille une atmosphère agréable.
A Crato(à 21 km à l’ouest de Portalegre), c’est l’ordre des Chevaliers de Malte qui surgit du passé, après avoir implanté son siège des décennies durant dans ce bourg.
L’ancien monastère fortifié de Flor da Rosa (à 2,5 km au nord de Crato) et le château d’Alter do Chão(à 13 km au sud de Crato) sont autant de témoignages riches et bien restaurés d’une époque où la région attirait des hordes de soldats et de moines – parfois les deux à la fois – désireux de défendre les frontières et de chasser les indésirables, Espagnols et Maures confondus !
Monsaraz(à 18 km au nord-ouest de la frontière espagnole, 50 km au sud-est d’Evora), emplie de vestiges médiévaux, a su conserver ses bâtisses intactes.
Le littoral alentéjan
Il attirera tous ceux qui apprécient les côtes sauvages, les longues grèves non aménagées, les galets, les dunes, les pinèdes. Entre Tróia (péninsule au sud de Lisbonne et de Setúbal), l’une des rares stations bétonnées de la côte, et Vila Nova de Milfontes (à 120 km au sud de Lisbonne), de belles falaises tombant à pic dans l’océan attirent de nombreuses colonies d’oiseaux marins. Les plages de Melides (à 44 km au sud de Tróia) offrent une tranquillité unique, que ne troublent aucunement les quelques campeurs amateurs de solitude. A déconseiller cependant aux enfants, l’océan étant assez dangereux et les surveillants rares.